Lettres d'un capitaine terre-neuvas

Recension rédigée par François Bellec


Cet ouvrage est difficile à classer. Il s’agit de la retranscription d’un cahier dans lequel le capitaine du brick Saint-Brieuc gardait copie des lettres qu’il adressait à son armateur et à quelques autres correspondants entre 1853 et 1862. Cette retranscription est commentée par les deux présentateurs plutôt qu’auteurs - un titre qu’ils ne revendiquent d’ailleurs pas -  en une trentaine de pages d’introduction et par des notes complémentaires.

            Les protagonistes sont banals. Joseph Conan n’est pas Joseph Conrad, ni un brillant capitaine passionné par son métier. Son principal correspondant Mathieu Rubin de Rays, de Pléneuf, est un petit armateur. L’époque est difficile, et la guerre de Crimée accélère, via la marine de guerre et la compétition entre l’obus et la cuirasse, la mutation de la marine à voiles vers la propulsion à vapeur. Les vicissitudes de la grande pêche conduisent les armateurs à se reconvertir au commerce par la petite porte de la course erratique au fret. De Marseille à Alexandrie ou Gênes, de Port-de-Bouc à Dunkerque, et de Saint-Malo à Newport et Rio-de-Janeiro, chargeant du fer, du coton, du charbon, du sucre ou du sel, rien de très valorisant, le capitaine Conan se débat dans une concurrence acharnée. Tout cela ajoute une connotation grise à ces lettres à caractère administratif. Nous restons en dehors de l’aventure marine, sans apprendre grand chose, sinon que le monde des gens de mer peine à exister, et que ses quotidiens sont moroses.

            Les auteurs le reconnaissent. Je les cite : « À ce titre, les lettres de Joseph Conan valent par leur témoignage relatif à des activités particulières à une époque donnée. Mais elles ont été envoyées  pour des raisons très pratiques. Leur but initial n’était pas de témoigner des grandes mutations techniques et économiques en cours. Elles les ignorent. »

            Ce n’est pas tout. S’étant interrogés sur l’intérêt de conserver les innombrables fautes de ces lettres trop mal écrites voire incompréhensibles, ou de les corriger,  les auteurs ont choisi d’éviter au lecteur l’effort d’une lecture difficile. Sans doute ont-ils eu raison, mais force est de constater que contenant et contenu de la retranscription du cahier de Joseph Conan manquent totalement de chaleur humaine. Il n’en reste pas moins que l’initiative d’un éditeur universitaire est méritoire, et que les passionnés y glaneront cent petits détails émouvants sur le quotidien austère et rude des gens de mer en marge du Second Empire.