Les Juifs du Maghreb : naissance d'une historiographie coloniale

Recension rédigée par Marc Aicardi de Saint-Paul


L’histoire des Juifs d’Afrique du Nord, comme objet d’étude, a connu des fortunes diverses. Selon l’auteur, c’est le grand rabbin d’Alger Abraham Cahen qui écrivit le premier ouvrage en français sur le sujet en 1867. C’est en fait la période coloniale qui vit s’épanouir toute une littérature relative à cette partie de la population dont la majeure partie habitait déjà l’Afrique du Nord avant même l’irruption des Français au Maghreb. L’auteur nous livre cette somme qui, tout au moins pour le profane, apparaît comme très documentée tout au long de la période étudiée, du 15e siècle aux indépendances.

Colette Zytnicki nous livre tout d’abord les stéréotypes fondateurs du « Juif » d’Afrique du Nord, avant l’arrivée des Français, puis pendant la période coloniale. Elle nous expose ensuite comment cette partie de la population est devenue un objet de recherche jusqu’en 1939, grâce aux recherches d’Abraham Cahen et comment s’est perpétué le mythe de la Kahéna.

À l’évidence, la recherche des origines de l’implantation des Juifs d’Afrique du Nord a fait l’objet de plusieurs thèses, souvent contradictoires et non dénuée d’arrières pensées, et a même été instrumentalisée. Les travaux de Nahoum Slouschz seraient aux dires de l’auteur bien en de ça de ses « prétentions affichées », surtout pour les origines des Juifs anciens et sur leurs rapports avec les Berbères.

            Dans son chapitre : « De nouveaux usages du passé ; entre sociologie et histoire, Maroc, première moitié du XXe siècle », nous pénétrons dans le monde des périodiques, surtout au Maroc et également en Tunisie, qui fait l’objet de nombreux articles dans des domaines tels que : les études historiques, l’ethnographie, les sciences sociales et l’anthropologie. Parmi les auteurs les plus prolifiques, figurent des Juifs, tels que Auguste Mouliéras, natif de Tlemcen, et des chrétiens comme Edmond Douté universitaire algérois ou Robert Montagne, ancien officier de marine envoyé au Maroc après 1918.

Enfin, d’intéressants développements sont consacrés aux écoles et aux sociétés savantes juives d’Afrique du Nord, au premier rang desquelles figure l’Alliance israélite universelle, fondée par des Juifs français en 1860, qui contribua à émanciper leurs coreligionnaires d’Afrique du Nord en les ouvrant à la culture française et aux lumières de l’Occident. À telle enseigne que l’AIU a pu être considérée comme un allié objectif du colonisateur.

« L’histoire des Juifs d’Afrique du Nord s’est longtemps ressentie d’un manque de professionnalisme ». C’est le jugement porté par Colette Zytnicki dans la conclusion de son ouvrage. Mais elle s’empresse d’ajouter : « … il faut aussi reconnaître l’effort de rationalisation auquel se sont soumis quasiment tous les auteurs. Ils ont peu à peu ressenti la nécessité de procéder à une critique plus sévère des sources, de se détacher de l’univers merveilleux de la légende et des traditions ». Cette étude passionnante et complète se lit facilement et foisonne de détails et de notes relatives aux auteurs qui ont contribué à cette historiographie.