Grandeur et misère de la finance moderne

Recension rédigée par Jean-Claude Lesourd


Le cercle Turgot qui s'est donné pour mission de promouvoir la recherche fondamentale, mais aussi de faire éclore de nouveaux talents, auteurs, économistes et chercheurs, publie régulièrement des ouvrages collectifs. Le livre dont il sera question ici est l’un d’entre eux. Il a un caractère quelque peu exceptionnel puisqu'il marque le 25e anniversaire du prix Turgot du meilleur livre francophone d'économie financière.

Son titre : Grandeurs et misères de la finance moderne. Regards croisés de 45 économistes. Les auteurs sont issus de la banque, de l'industrie, de la haute administration ou de l’université. Ils sont tous membres du jury et lauréats du prix Turgot.

L'ouvrage est divisé en trois grandes parties. La première cherche à éclairer le sens des mutations des paradigmes de la finance moderne, la seconde des modes de régulation financière et la troisième des modèles de gouvernance de la banque et l'entreprise. Cela donne un livre riche, fort bien documenté de 429 pages. On ne peut s'empêcher cependant de noter l'inégale qualité des contributions, inhérente au choix fait au départ de réunir des auteurs venus d'horizons très différents. Certaines sont banales et s'apparentent à des questions de cours, d'autres au contraire recherchent l'originalité et veulent apporter des éléments nouveaux au débat.

L'impression générale qui domine, à la lecture de cet ouvrage, c’est le traumatisme provoqué par la crise financière de 2007-2008. Toutes les contributions, ou presque, y font référence. Certaines en analysent les causes et tentent d’apporter des pièces nouvelles à un dossier qui a été déjà très largement étudié. D'autres cherchent à mettre en place des remèdes pour éviter le retour d'un événement aux conséquences aussi dramatiques. C’est aussi le modèle économique qui est mis en question (J.M. Severino). La crise globale ne trouvera pas de réponse durable si on ne tient pas compte du basculement que connaît aujourd'hui la planète, à savoir l’inversion des raretés : l'homme devenu plus nombreux du fait du développement démographique perd de la valeur dans les calculs économiques, alors que les ressources naturelles qui se raréfient en gagnent.

Le marché est aussi l'objet de nombreuses critiques. L'approche classique qui repose sur la rationalité des individus est contrebattue par l'approche comportementale. M. Mangot observe le comportement réel des investisseurs et fournit beaucoup de preuves qui contredisent la notion d'efficience des marchés.

On a constaté au cours des deux dernières décennies une progression de l’influence des acteurs privés, devenus plus puissants que les états (C. Revel). Le rôle joué par les agences de notation (dont les méthodes sont jugées très contestables) en est l'illustration. « Le marché ressemble à une grande nerveuse sur laquelle la moindre remarque un peu froide déclenche des pâmoisons ». Pour Claude Revel, il est urgent de mettre en place des « régulations souples émanant d'auteurs légitimes et prenant en compte l'intérêt général. La finance mérite en effet beaucoup mieux que sa caricature actuelle présentée par les marchés ».

Une partie entière de cet ouvrage collectif est consacrée à la régulation financière. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'ambiance n'est pas à l'optimisme. La déréglementation financière et bancaire a eu incontestablement des effets plutôt favorables à l'économie mais elle a aussi généré des risques majeurs (D.
Zajdenweber) : le premier d'entre eux est la titrisation, qui « a donc engendré un risque nouveau, celui de la défaillance du système financier, qui n'est pas assurable ». Il en va de même avec les normes comptables qui servent de base à l'évaluation des actifs et passifs. Faisant référence aux cours boursiers, elles engendrent un très gros risque de volatilité.

S'agissant des remèdes, il semble que tout le monde souhaite rétablir une meilleure régulation mais des désaccords subsistent sur les moyens. Jean-Claude Gruffat plaide pour une remise en ordre des régulateurs et une diminution de leur nombre, afin d'atteindre une plus grande efficacité. La crise a poussé Washington à repenser la réglementation de l'industrie financière qui a aussitôt organisé la résistance (J. Mistral). Barak Obama a fait voter la loi Dodd-Franck, mais sa mise en oeuvre est bloquée par la majorité républicaine issue des dernières élections. Le constat que dresse Philippe Jurgensen est plutôt sombre. La redéfinition des règles prudentielles selon les accords dits Bâle III (et de Solvabilité 2 pour les assurances) en matière de fonds propres et les nouveaux ratios de liquidité qui vont être imposés peuvent pousser les banques à se détourner des prêts à long terme à l'économie. Aucun progrès n'a été fait en matière de normes comptables, pas plus que dans la réorganisation des agences de notation.

Des mesures devaient être prises en matière de rémunération des dirigeants et des traders. Ce qui a été fait paraît insuffisant puisque des gros bonus refleurissent un peu partout. Cependant, François Meunier prévoit la « fin du festin ». En effet, l'accroissement de la concurrence devrait avoir pour effet de réduire la rentabilité du secteur et de pousser à la réduction des salaires. La crise de l'euro ne tient pas dans cet ouvrage la place qu'on aurait pu attendre. Pourtant, deux contributions apportent un éclairage intéressant sur le sujet. Jean-Paul Betbèze donne des pistes pour accroître l'efficacité des institutions, seul moyen de retrouver le chemin de la croissance. Christian Saint-Étienne pointe les erreurs stratégiques du traité de Maastricht et insiste particulièrement sur la décision qui a été prise de fonder l'union sur la concurrence fiscale et sociale, cause, selon lui, des maux dont souffre la zone euro.

Cet ouvrage se révèle à la lecture très riche. La diversité des auteurs et des sujets traités, même si, on l’a dit, les contributions sont inégales, satisfera le curieux désireux d’approfondir un point précis. L’organisation de l’ouvrage et la clarté de sa présentation seront des aides précieuses pour trouver la réponse à beaucoup des questions que pose la finance moderne.