Promesses de Patagonie : l'exploration française en Amérique australe ...

Recension rédigée par Yves Marek


Paz Núñez-Regueiro est conservatrice du patrimoine, responsable de l’Unité patrimoniale des Amériques au musée Jacques Chirac et on pourrait accueillir ce livre avec la prévention que méritent souvent les ouvrages des conservateurs chez qui le notaire a étouffé l’historien d’Art ou le savant joyeux et qui, au lieu de faire partager la passion des chefs d’œuvres, se passionnent sur l’histoire après tout contingente des collections et des acquisitions.

Si le fil rouge du livre est bien en effet l’histoire de la constitution du fonds Amérique australe du musée de l’Homme, il faut reconnaitre que ce livre est si passionnant qu’il échappe aisément à la critique de cette fâcheuse manie de bien des conservateurs, d’autant que l’histoire de chacun des grands apports aux collections est en elle-même presque un roman.

Le livre donne en effet une place particulière à plusieurs aventures. La première est la mission scientifique du Cap Horn (1882-1883) dans le cadre de l’année polaire internationale, placée sous la direction de l’Académie des Sciences, avec le concours de la Marine Nationale qui fournit un équipage de 152 personnes et du Muséum d’histoire naturelle. Le programme scientifique pluridisciplinaire est très ambitieux et les scientifiques ont l’occasion de découvrir les populations yahganes de la baie d’Orange. Les découvertes de la mission, au riche butin scientifique, sont exposées en 1884 au Palais de l’industrie.

Le livre relate aussi la mission d’Henry de Vaulx en Patagonie argentine (1896-1897), conduite à ses frais alors que ce riche héritier n’a que 25 ans. Chez lui, la recherche des potentialités de colonisation, la recherche anthropologique, les fouilles de sépulture se mêlent et les considérations raciales ne sont pas absentes. De la mission, il rapporte 1400 objets. A son retour, il fait préfacer son « voyage en Patagonie » par José-Maria de Hérédia.

Enfin l’auteur s’arrête sur le séjour du Frère des écoles chrétiennes Claude Joseph en territoire mapuche (1926-1932), à l’origine d’un des fonds les plus significatifs du musée du Quai Branly.

Mais au-delà de ces aventures, c’est une véritable épopée intellectuelle que nous décrit l’auteur. Non contente de décrire chaque mission avec une absolue rigueur scientifique, croisant les écrits des explorateurs avec d’autres sources sur leur mission, reproduisant des documents et des photographies qui font voir d’un seul regard la richesse de leur collecte, l’auteur n’oublie jamais de replacer ces explorations dans le contexte de l’époque.

Les premiers chapitres évoquent ainsi le mythe des géants patagons et tous les fantasmes sur ce bout du monde chargé de projections rousseauistes et toutes les controverses à ce sujet. Les intentions coloniales sont précisément décrites, comme l’émulation entre les sociétés savantes européennes. Les préjugés, à certaines époques, sur les races, font l’objet de développements profonds. La passion de l’anthropométrie, de l’importation de crânes humains, la manie de les mesurer, sont décrites comme des modes de la science de l’époque. L’auteur évoque aussi le statut artistique au cours de l’histoire des objets de la tradition populaire des indigènes.

C’est ainsi, l’histoire non seulement des collections mais du regard de la France, si dépendant des idées du temps, chargé des préjugés et de la géopolitique de chaque époque, qui est magistralement racontée dans un livre exhaustif, rigoureux et extrêmement dense d’informations et de réflexions pénétrantes dont la qualité force le respect.