La légion arabe de 1917 : dans le Hedjaz en guerre

Recension rédigée par Jacques Frémeaux


L’histoire de la Grande Guerre au Levant et dans la péninsule arabique comprend avec celle des armées des puissances engagées, celle des contingents locaux destinés tout à la fois à combattre et à préparer l’avenir politique de la région. On pense évidemment aux contingents bédouins de la Révolte arabe à la tête desquels se distingua le célèbre Thomas E. Lawrence, mais aussi à la Légion d’Orient et ses volontaires arméniens sous commandement français. Julien Morange se réfère ici à un épisode oublié, et d’autant plus que la Légion arabe dont il est question ne joua aucun rôle militaire, et son existence fut de très courte durée (mars 1917-avril 1918). Ses effectifs, du reste, n’avaient jamais dépassé quelques centaines d’hommes. Elle n’est donc qu’une très pâle préfiguration de la célèbre unité créée sous ce nom en 1921, et devenue le noyau de l’armée jordanienne.

L’histoire de la Légion arabe de 1917 mérite cependant l’intérêt à plus d’un titre. Tout d’abord, son organisation reflétait fidèlement l’esprit des accords Sykes-Picot (mai 1916), qui, on l’oublie trop souvent, ne visaient pas exactement à l’origine au partage du Moyen-Orient. Ils visaient plutôt à instituer une coopération franco-britannique pour organiser un État arabe délivré de la domination ottomane, sous la direction du chérif Hussein, proclamé roi du Hedjaz, et champion de la Révolte arabe. Force arabe, la Légion devait être encadrée et commandée par des officiers arabes, avec un petit nombre d’officiers français et britanniques limités à un rôle d’instructeurs. Par ailleurs elle devait symboliser, par un recrutement qui allait des frontières de l’Inde jusqu’à l’Égypte, la renaissance de la grandeur arabe, et l’unité de la nation arabe à l’intérieur du « grand royaume arabe » promis par les Anglais et les Français. Il ne faut pas s’étonner que cette création ait été prioritairement encouragée par Mark Sykes et François Georges-Picot, les négociateurs des accords.

Cette tentative se traduisit par un échec. Le projet ne trouva pas d’appui auprès des états-majors, peu enclins à attribuer des moyens à une unité dont ils n’espéraient pas une contribution militaire sérieuse. Dès le départ, le recrutement des hommes et des cadres se révéla décevant ; les plus motivés se refusèrent à apparaître comme une troupe de mercenaires au service des Alliés, et exigèrent d’être placés sous le seul commandement de Hussein ; des désobéissances, voire des mutineries, se produisirent. Le déplacement de l’unité depuis Ismaïlia, sur le canal de Suez, à Akaba, base de ravitaillement des armées arabes sur la mer Rouge (novembre 1917) ne marqua pas de changement durable, et finalement l’expérience ne fut pas prolongée. Cette tentative, pourtant, n’avait pas été sans signification. Elle avait notamment souligné le développement d’un sentiment nationaliste panarabe appelé à devenir par la suite une force politique. C’est ce qu’avait bien compris un capitaine de réserve attaché à Georges-Picot, l’islamologue Louis Massignon, pour lequel il ne devait pas y avoir contradiction entre ce courant et le développement de l’influence française.

Au total, l’ouvrage fournit sur l’épisode des données extrêmement précises, fondées sur une large consultation des archives françaises, mais aussi britanniques. On peut regretter que les pages introductives soient un peu elliptiques, notamment sur les accords Sykes-Picot et sur l’organisation des diverses missions militaires françaises. Mais ce ne sont que des réserves mineures. Julien Monange livre ici une contribution très utile à l’histoire, combien complexe, des rapports entre Britanniques, Français et Arabes au cours d’une période déterminante pour le Moyen-Orient.