Colonisations et répressions

Recension rédigée par Jean Martin


            Le 15 novembre 2007, une conférence internationale rassemblant une trentaine de chercheurs spécialisés en histoire de la colonisation s'est tenue à l'université Paris-Diderot, à l'initiative du laboratoire SEDET sur le thème de la répression aux colonies. Le présent ouvrage rassemble un bon nombre des communications présentées.

            Il ne suffit pas d'acquérir ou de conquérir des territoires, il faut encore mettre les populations au pas,  c'est-à-dire les assujettir  à l'ordre colonial. Alain Forest, spécialiste de l'Asie du Sud Est et notamment du protectorat du Cambodge, observe dans son avant-propos (pp. 7-14), qu'il existe un lien indissoluble entre colonisation et répression, pour la simple raison que la colonisation est toujours plus ou moins une violence  (même si Forest a lui-même admis que le Cambodge a donné l'exemple d'une colonisation sans heurts). Il est bien difficile de contester cette manière de voir. La violence appelle des mouvements de résistance que le colonisateur ne peut que réprimer. Et c'est ainsi que l'on débouche sur un cycle infernal maintes fois dénoncé. L'essence répressive de la machine coloniale apparaît alors au grand jour.

            Les contributions ici présentées sont regroupées en cinq parties correspondant à autant de thèmes principaux.

            1/ Les exemples de répression brutale : conquêtes, "pacifications" accompagnées de répressions, au besoin de massacres.

            2/ Instruments ordinaires de la répression: internement, prisons, bagnes.

            3/ appareils répressifs : police, forces supplétives, législation (indigénat etc.).

            4/ impacts des violences coloniales sur les sociétés locales : culture, presse, travail, migrants.

            5/ décolonisations et nouveaux aspects de la répression coloniale.

            La répression aux colonies n'est-elle pas la transposition outre-mer de violences dont certains groupes sont victimes en métropole? Vignerons du Midi languedocien en 1907, paysans bretons du mouvement "Haut les Fourches" en 1935, mineurs en grève du Valenciennois en 1948, paysans bretons encore, montant à l'assaut de la sous-préfecture de Morlaix en 1961 et de la préfecture de Quimper en 1967,  (il est à noter que ces manifestants dénonçaient précisément l'Etat colonial français) etc. Patrice Morlat observe toutefois judicieusement que la répression coloniale obéit à des lois qui lui sont propres : elle n'est pas guidée uniquement par la crainte de la subversion et des désordres, mais par celle de la submersion par l'élément indigène : explosion démographique, menace des maladies tropicales, revendications des élites sont autant de facteurs qui sous-tendent les mesures répressives et expliquent leur lourdeur par rapport à celles qui sont appliquées en métropole. L'iniquité fondamentale de la société coloniale, le statut d'infériorité du colonisé (souvent caractérisé par un régime juridique comportant des infirmités (indigénat), permettent le recours à des sanctions disproportionnées, voire sanglantes.

            Dans une première partie, cinq auteurs nous donnent une description de divers mouvements insurrectionnels et de la répression qui s'ensuivit : Catherine  Coquery-Vidrovitch (Congo au temps des concessions), Jean Martin (Comores 1856 et 1891), Benjamin Stora (Constantinois 1945 et 1955), Tovonirina Takotondrabe (Madagascar 1947) et Clotilde Jacquelard (Massacre des Chinois de Manille 1603).

            Une deuxième partie traite des institutions et des méthodes de la répression : Laurent Manière étudie l'application du code de l'indigénat en Afrique Noire, Charles Fourniau et Patrice Morlat nous  entretiennent de la répression des mouvements nationalistes en Indochine entre1885 et 1930, Pierre Ramognino, déjà connu pour son étude sur Boisson et l'AOF à l'heure de Vichy, revient sur la politique répressive  de ce régime qui, constate-t-il, n'a fait qu'aggraver le fossé colonial en Algérie et en Indochine (le cas de l'AOF méritant d'être traité séparément). Si  les colonisés sont très majoritairement des ruraux, il n'en importe pas moins de surveiller les populations urbaines dans les agglomérations naissantes : tel  est le sujet des préoccupations de Dominique Bois, qui étudie le "quadrillage" policier de la population de Diégo Suarez de 1886 à 1939.

            En diverses colonies, les tirailleurs " sénégalais " ont été les agents de la conquête aussi bien que de la répression. Dans une contribution qui n'est malheureusement pas exempte d'inexactitudes, Ahmadou Ba examine leur rôle à Madagascar, aussi bien dans les opérations de la conquête que dans celles du maintien de l'ordre, une fois l'île devenue colonie française (1896). Il nous montre les tirailleurs à l'œuvre dans la répression de divers soulèvements (Menabe, Ambougou) pour finir par la grande insurrection de 1947. Ces diverses interventions ont laissé un certain peuplement dans la Grande Ile et aussi, dans l'imaginaire malgache, une vision très négative des Sénégalais et parfois de leurs épouses, commerçantes redoutées.

            Sous le titre : " Les corps habillés ", Joël Glasman aborde un objet de recherche encore très négligé à ce jour, celui des forces de l'ordre supplétives dont les appellations pouvaient varier d'une colonie à l'autre : miliciens, gardes de cercle, gardes civils indigènes, gendarmes auxiliaires etc. Il pouvait selon les cas s'agir de militaires ou, plus souvent, de civils, généralement recrutés parmi d'anciens tirailleurs. Cet auteur nous donne d'intéressants exemples de déroulements de carrière en Afrique de l'Ouest. Une étude sur le corps des commissaires de police aux colonies eût été la bienvenue. Des agents dont le niveau d'instruction était souvent des plus bas, parfois indésirables en métropole, et les cas de révocation pour fautes lourdes, vie dissolue, etc. étaient nombreux.

            Les insurgés qui ont échappé à la mort au combat se retrouvaient souvent en prison, au bagne ou dans un camp d'internement (pour ne pas dire de concentration). Tel est l'objet de la troisième partie dans laquelle Daniel Hémery nous entretient  du bagne de Poulo Condore et Alain Rouaud de celui d'Obock, tandis qu'Habib Belaïd et Sylvie Thénaut consacrent leurs interventions à la prison civile de Tunis et aux camps d'internement en Algérie.

            Une quatrième partie est consacrée aux violences coloniales: Samuel Sanchez nous parle des escarmouches à Nosy-Bé et Daouda Gary Tounkara, dans une très belle intervention, nous montre comment la " pacification " de la Côte d'Ivoire a donné naissance à un antagonisme, toujours vivace de nos jours, entre autochtones et immigrants, principalement voltaïques (Burkinabé). Jamaa Baida étudie le régime de la presse au Maroc sous le protectorat et Abdelmadjid Merdaci cherche à établir un parallèle entre  les notions de territoire de l'autre et de territoire de l'interdit : il étudie dans la toponymie de la ville de Constantine, la prédominance du modèle colonial sur le modèle " arabe ".  La situation de la Syrie sous mandat britannique apparaît sous la plume de Maher Charif qui a consacré sa contribution à l' " étouffement" de la révolte palestinienne de 1936-1939. Ouarda Siari Tengour relate la répression qui s'abattit en 1949, sur le gros village kabyle de Sidi Ali Bounab dont les habitants étaient soupçonnés d'avoir donné asile à un hors la loi déserteur. Anissa Bouayed traite de la répression syndicale en Algérie sous la Quatrième République. Dans ce pays dont la population était en grande majorité composée de paysans pauvres, le syndicalisme était peu implanté sauf chez les dockers, les mineurs et dans une moindre mesure les ouvriers agricoles, mais elle note avec perspicacité que les mesures répressives s'alourdissent à mesure que croit le sentiment d'insécurité.

            Pierre Brocheux nous apporte enfin de précieuses indications sur la répression dans le monde du travail en Indochine, colonie où il exista assez tôt un prolétariat industriel, parfois syndiqué et assez perméable aux propagandes du VNQDD et surtout des communistes.

            Dans une cinquième et dernière partie, cinq contributions sont regroupées sous le titre: Décolonisations et néo-colonisations. Monique Chemillier-Gendreau nous apporte l'opinion d'une juriste sur la colonisation au regard du droit international et Alain Ruscio étudie la décolonisation de la Tunisie au cours des années 50 d'après la presse française. Comme beaucoup, il incline à penser qu'il s'agit d'une décolonisation pacifique. Didier Nativel nous livre de bonnes pages sur la répression politique et culturelle exercée par les autorités coloniales à Lourenço-Marquès pendant les dernières décennies de la présence portugaise au Mozambique (1940-1975).

            Les deux dernières contributions traitent de la répression exercée dans deux territoires asiatiques colonisés par des puissances non-européennes : Jacques Weber examine le cas de la répression au Bangladesh en 1971 et Marion Libouthet celui de la répression au Tibet depuis 1950.

            Un recueil où le lecteur pourra trouver, en fonction de ses centres d'intérêt, de très utiles références. Nonobstant les riches analyses de l'avant-propos, l'absence d'une conclusion reste regrettable.                                                                                                   



 
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