Une histoire métallique des régions polaires : musée imaginaire

Recension rédigée par Jean-François Le Mouël


Sans-doute est-ce un des plus grands défis auxquels puisse être confronté tout recenseur, celui du compte-rendu d’une encyclopédie ! Car l’ouvrage de Benoît Tollu "Une histoire métallique des régions polaires" sous-titré "musée imaginaire" constitue bien une encyclopédie de l’histoire des régions polaires, arctique et antarctique.

Le défi serait impossible à relever si l’auteur n’avait choisi un angle très original – et jusqu’à plus ample informé, unique, - d’aborder son sujet par les reconnaissances "métalliques" qu’ont laissées les incursions de l’Homme exogène dans ces régions. En fait, les "artefacts" des archéologues et de son Musée imaginaire. Voilà qui demande explication.

Histoire métallique, le titre surprend… Au moins n’est-il pas accrocheur et, Étienne Taillemite, préfacier de l’ouvrage, nous l’explique : « La médaille a bien souvent, au cours des siècles passés, servi à illustrer tel épisode de la vie de la nation et à en glorifier les acteurs. Certains souverains comme Louis XIV n’ont pas négligé de faire frapper ainsi ce que l’on appelait alors une Histoire métallique ».

C’est donc la collection - d’une insoupçonnée richesse - des médailles, jetons et plaquettes, dédiés aussi bien aux exploits des explorateurs qu’aux baleiniers et autres
Terre-neuvas etc., sans oublier celles des représentations de la faune des régions polaires arctique et antarctique, qui constitue le fonds de ce musée imaginaire. Musée imaginaire, il l’est à plusieurs titres. Musée parce qu’il expose des photos de pièces ordonnées autour d’un thème ; imaginaire parce qu’il donne à voir des images de ces régions, de ceux - hommes et bêtes - qui les fréquentent ou qui les fréquentèrent. Imaginaire, encore, car il se pourrait bien qu’il soit rêvé par son auteur… et ait peu de chance de sortir quelque jour de cette virtualité…

Encore faut-il déjà donner quelques clefs qui permettent d’en apprécier l’efficace originalité dans toutes ses dimensions.

Dimensions géographiques, d’abord, celles des régions concernées puisque leurs limites ont varié au cours des siècles ;  l’auteur a retenu celles qui sont le plus généralement acceptées aujourd’hui ; savoir pour l’Arctique, l’isotherme +10 °C du mois de juillet, le mois le plus chaud ; pour l’Antarctique, celle que circonscrit la convergence antarctique et qui correspond à l’isotherme +4°C de janvier des eaux superficielles de l’Océan austral, là où, plus denses, elles s’enfoncent sous les eaux de surface plus chaudes du Subantarctique.

Dimensions historiques ensuite, explicitées par deux experts es-qualité, Michel Popoff du Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale dans le chapitre Histoire de la médaille et Béatrice Coullaré du Musée de la Monnaie pour introduire le lecteur aux Techniques de la médaille et à leurs évolutions au cours des siècles.

Désormais équipés de ces clefs de lecture et du nécessaire vocabulaire spécifique dont nous aurons besoin tout au long de la visite, nous pouvons entrer dans un premier chapitre de cet ouvrage devenu un guide ; il concerne la Présence française dans ces régions. Or, voici que cette présentation génère déjà une première révélation. Contrairement à ce qu’affirmait plus d’un d’entre nous sur la présence française dans ces régions, on s’aperçoit qu’elle fut plus importante qu’on ne le professe généralement. Vers le septentrion se succédèrent, du XVIIe au XXe siècles, Baleiniers et trafiquants, Voyageurs de Circumnavigation des découvreurs et des savants au Siècle des Lumières, Expéditions de recherche scientifique au XIXe siècle et plus encore au siècle suivant. Quant à la découverte d’un Antarctique d’abord imaginé sur les cartes comme la Terra australis incognita, elle commence au XVIIe s. En Patagonie et la Terre de Feu, pour se diriger jusqu’au XXe s. vers les Expéditions polaires spécifiquement françaises.

Au Nord comme au Sud, dans l’Arctique comme dans l’Antarctique, précédant même tous ceux que nous venons de citer, des baleiniers français – le plus souvent basques – ouvrirent le chemin.

Tout musée, fut-il imaginaire, suppose un sens de la visite, une structuration – celle-là même qui va être utilisée pour en réaliser ce guide, et une scénographie. C’est tout à l’honneur de l’auteur que d’avoir su mettre de l’ordre dans ce qui jusqu’à présent ne pouvait être qu’une sorte d’énumération à la Prévert, pire, de vide-grenier ! Sept chapitres y parviendront avec maestria.

Au premier, sans doute celui qui est le plus attendu, nous trouvons les Explorateurs. Ils ne sont pas présentés par ordre chronologique, mais alphabétique, d’Albert Ier de Monaco à Wegener, en passant par les noms les plus connus, tels, par exemple, ceux d’Amundsen, de Béring, Bougainville, Charcot, Kerguelen, Lapérouse, Shackleton…, et de tant d’autres souvent moins célèbres, puisque trente-cinq d’entre eux sont listés qui occupent, en pagination, presque la moitié du livre.

Puis viennent aux chapitres II et III ceux qui, certes, ne sont pas inconnus mais que, peut-être, l’on n’aurait pas pensé, d’emblée, à ajouter à la liste de ceux qui fréquentèrent les régions polaires et laissèrent des traces métalliques de leurs incursions dans ces régions. Voici d’abord les Cap-horniers aussi bien ceux de la découverte du redoutable Horn, que ceux de l’Amicale internationale des Cap-horniers qui s’éteignit aussi tard qu’en 2003. Marins de leur antipode les Terre-neuvas adonnés à la pêche morutière dont l’histoire est ici retracée aussi bien dans ses épisodes géopolitiques de la Neutralisation des bancs de Terre-Neuve, que de la création d’une Société centrale de sauvetage des naufragés et dans la mise en place d’une Protection des pêcheurs par la Marine nationale que par l’évocation du Pardon de Terre-neuvas et des artefacts qui les tiennent hors de l’oubli !. En fait, aussi bien dans les chapitres de Cap-horniers que ceux des Terre-neuvas, des sommes de connaissances constituent les savantes légendes des pièces mises en montre.

Cependant, on est encore loin d’avoir épuisé le sujet, et c’est pourquoi l’auteur consacre le chapitre IV abondamment subdivisé pour traiter des Ordres, des distinctions, des médailles de récompense attribuées pour des activités polaires. Dans les Ordres de chevalerie et autres décorations officielles il distinguera très naturellement les décorations étrangères des décorations françaises. À propos de celles-ci, allant de l’ordre de la Légion d’honneur aux Palmes académiques en passant par la Médaille d’Outre-Mer ou l‘Etoile d’Anjouan et de tant d’autres, on peut regretter - encore qu’il s’en explique - qu’il n’ait pas retenu même dans une simple liste soit chronologique soit alphabétique, les noms de ceux qui en furent les récipiendaires. Les « petits » ne sont pas les sans-grades, et beaucoup de ceux ici mentionnés, les plus capés, n’auraient pu l’être sans les secours et les sacrifices de ceux qui, à leurs côtés, furent les maîtres d’œuvre de leurs réussites. A l’évidence, on peut le comprendre ; le livre n’eût-il pas alors doublé de volume ? Sans doute aurait-il alors contribué à contrer cette propension de l’ère médiatique à prioriser le paraître sur l’être, déjà peut-être en germe dans les siècles antérieurs puisque l’attribution des récompenses métalliques l’était par le seul monarque ?

Mais, le sujet est encore loin d’être épuisé, et le chapitre IV.2 « Autres médailles », liste les décorations et françaises et étrangères qui ont été attribuées à des « Polaires » : Médaille de la Maroussia, de la Société de géographie, de l’Union de yachts français et du Yacht club de France, pour ne citer que quelques-unes d’entre ces rubriques, et pour illustrer, une fois encore, la méritoire tentative d’exhaustivité de l’auteur. Quant aux médailles étrangères qui font l’objet du sous-chapitre suivant, elles sont présentées par ordre des nations qui les ont créées et distribuées, Royaume-Uni, Belgique, URSS, Italie, Suède, Allemagne. Dans un sous chapitre sont encore exposées d’Autres médailles étrangères décernées au titre des régions polaires par les USA et l’Australie. Est-il encore besoin de souligner la somme considérable de connaissances rassemblées pour nourrir toutes ces rubriques, connaissances dont sont seules retenues, avec discernement, celles qui donnent sens à ces marques de reconnaissances créées et distribuées par les nations aux héros des régions polaires !

Un nouveau grand chapitre est consacré aux Expéditions et Missions, du XVIIIe s. à la période sub-contemporaine, de Maupertuis – mission en Laponie pour mesurer l’arc du méridien – aux expériences spatiales polaires franco-soviétiques en 1981, en passant par celles consacrées, sous la direction du CNES, à l’Etude des rayons X en Islande, aux Tirs de fusées sondes en Terre Adélie, aux Expéditions franco-soviétiques Ω2 et Araks au Kerguelen, etc. Un thème spécifique est consacré aux Passages de Vénus qui, outre dans l’Outre-mer tropical français ont laissé, par ailleurs, des vestiges dans les îles Kerguelen et Saint-Paul des TAAF (Terres Australes et Antarctiques Françaises).

Avec le même souci d’exhaustivité - et son quasi accomplissement, à n’en pas douter - un chapitre est consacré aux médailles des Administrations, Sociétés et Compagnies. Il nous entraîne aussi bien dans l’histoire de l’Acquisition de l’Alaska par les États-Unis qu’au Trentième anniversaire du Traité sur l’Antarctique, en passant par les traces métalliques laissées par la Société française des pelleteries Révillon au Canada, les Assurances maritimes des Deux Pôles, l’Exposition coloniale et maritime de Marseille en 1906 etc. Il n’est pas jusqu’aux Armoiries du Territoire des Terres australes et antarctiques françaises qui ne sont présentées et étudiées au moyen des clefs de lecture de l’héraldique.

Enfin, comment l’auteur naturaliste qui a fréquenté les régions polaires antarctique et arctique aurait-il pu oublier d’ajouter sa très nécessaire expertise critique des représentations faunistiques parfois gravées sur ces médailles et plaquettes ? Aucun détail ne lui échappe pour, taxonomiste averti, rectifier des erreurs de systématique et de nomenclature ou de préciser celles-ci.

En annexe suivent les très précieux Catalogues chronologique des pièces présentées dans l’ouvrage et un remarquable Index regroupant aussi bien les noms de personnes que des navires, des aéronefs, les sigles et acronymes, sans oublier de mentionner une solide Table des figures des 442 artefacts de ce musée imaginaire et l’énumération desOrigines des collections.

Devant un tel travail accompli, remarquablement présenté - notamment par le jeu des artifices typographiques et les photos - il pourrait sembler mesquin de signaler dans la bibliographie deux lacunes de taille qui devraient être corrigées dans une prochaine
édition : celle de l’Histoire des mers australes de Jean-René Vanney (Fayard, 1986). Toutefois, ce manque est-il partiellement excusable puisque cet auteur est cité dans l’index (p. 423), et celui de l’Amiral de Brossard et des deux incontournables volumes consacrés à Kerguelen le découvreur, etKerguelen le découvreur et ses îles (ed. France-Empire 1970 et 1971°), trois ouvrages de haute érudition dont il n’est pas possible qu’elle n’ait contribué à celle de l’auteur du présent volume.

Cela ne retire rien aux citations à l’Ordre de la Recherche et du Mérite – on pourrait créer une médaille pour ce thème (cependant déjà reconnu dans un prix attribué par le Président de la République), récompense que l’on doit à l’auteur de ces opiniâtres recherches et talentueuse étude ! A n’en pas douter, il accepterait volontiers d’en partager l’honneur avec notre collègue récemment disparu Patrick Arnaud, océanologue, naturaliste et historien, « polaire », membre de la Commission du patrimoine historique des Taaf et qui, comme notre auteur le mentionne lui-même (p. de titre), participa à l’œuvre ici présentée et qui (cf. p. de garde) prodigua à son auteur, « jusqu’à son dernier souffle /…/ aide et conseils.                                                                                           



 
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