Les sables de l'empereur

Recension rédigée par Jean Nemo


Il s’agit ici d’un « roman historique » qui emprunte à l’histoire bien des faits réels. Cela, à travers quelques personnages acteurs ou témoins de cette histoire.

Mia Couto est descendant de ces dizaines de milliers de Portugais, très souvent nécessiteux, que sur sa fin, le régime fasciste de Salazar envoya dans ses colonies pour tenter de contrer les mouvements indépendantistes. On rappellera que la plupart des colonies africaines portugaises n’accédèrent à l’indépendance qu’au milieu des années 1970, suite notamment à la révolution des œillets, pronunciamiento de militaires hostiles aux guerres coloniales. D’autres colonies lointaines furent annexées d’office par de puissants voisins (l’Inde par exemple). L’auteur est né en 1955, à Beira. Il a délibérément choisi son prénom de plume et sa patrie mozambicaine, dont le portugais qui y est parlé semble avoir des particularités. Il s’en fait le héraut. Biologiste de formation, plume abondante (sa bibliographie, y compris en français, est bien nourrie). Ses approches sont clairement…mozambicaines, y compris sa langue d’écriture, le portugais. Comme il a été dit à propos de l’un de ses précédents ouvrages, « Les néologismes, les idiomatismes, les proverbes détournés, les jeux de mots font ici florès afin de faire entendre le bruissement de la langue. »

Il écrivait en 2012 « Il n’est pas de pire malheur pour une nation pauvre que de produire non pas de la richesse mais des riches ». Personnage complexe, donc, tant par son langage qu’à travers son idéologie. Il fut notamment acteur du Frelimo, parti marxiste qui obtint l’indépendance du Mozambique en 1975 mais le pays entra sans tarder dans une longue guerre civile.

Notation du rédacteur de la présente note de lecture : pour être allé plusieurs fois au Mozambique dans les années 1980, le contraste était saisissant entre la période proprement marxiste, aux marchés déserts parce que sans marchands ni marchandises et la période de plus grande ouverture, après l’affaiblissement du Frelimo, aux marchés africains habituels, vivants et bien pourvus.     

L’ouvrage sous revue est issu de la réunion en un seul tome de trois tomes initiaux parus en portugais. Ce qui amène l’auteur à préciser dans ses « remerciements » que « son élaboration a conduit à revisiter l’œuvre originale…afin de prévenir des répétitions éventuelles et d’atteindre une plus grande cohérence narrative… ». Fruit d’un travail d’équipe entre l’auteur, l’éditeur et la traductrice, « …ce livre me semble être bien davantage qu’une simple innovation formelle. ».

Venons-en au fond. Dans tout roman historique, des personnages fictifs sont témoins ou acteurs de l’histoire réelle, comme ce fut le cas dans de précédents ouvrages de Mia Couto. On ne fera pas l’injure au lecteur de rappeler que dès le XVème siècle les Portugais furent très présents au Mozambique. Mais la période couverte date de la fin du XIXème siècle, qui donna lieu notamment à la confrontation entre les Portugais devenus colonisateurs et l’un de ces « empereurs » que la conquête coloniale suscita sur tout le continent, Ngungunyane, empereur de Gaza au sud de l’actuel Mozambique. Lequel Ngungunyane fut féroce envers son propre peuple et détesté des Portugais qui néanmoins, sur ses terres, lui donnaient du « Majesté ». Lequel encore connut le sort de bien des souverains africains, déportés, vite oubliés.

Il n’est question de cet empereur et de son empire qu’en partie, la dernière. Car comme il a déjà été dit, la parole et l’action sont confiées à des spectateurs de l’histoire. Imani Tsambe du village de Nkokolani, à peine âgée de quinze ans, scolarisée par des missionnaires, devient l’interprète de Germano de Melo, sous-officier portugais banni par les siens parce que républicain déclaré dans le royaume du Portugal. Elle s’éprend vite de lui. Il est d’abord effrayé par ce qu’il prend pour des croyances païennes empreintes de sorcellerie, celles de la tribu vatxopi, pourtant alliée des Portugais pour lutter contre Ngungunyane. On notera qu’Imani signifie dans sa langue « qui est-ce », soit une gamine non réellement prénommée, elle ne peut être, à elle seule, qu’une tribu, une race ou un sexe.

En fait, deux mondes ici cohabitent, celui de l’adolescente Imani dont la mère « tricote des soleils ». Imami est suspecte à son peuple à cause de sa bonne connaissance du portugais, elle est, aux yeux dudit peuple par conséquent  réputée blanche et portugaise. Et celui de Germano, militaire sans talent et plutôt raciste. Le récit se poursuit car devant les exactions de Ngungunyane, tout ce monde voyage ou plutôt fuit, rejoint par d’autres fuyards, un prêtre, une aventurière italienne, une féticheuse… Mais ni Imani ni Germano ne seront finalement capables d’être « des ponts » entre deux mondes. La première sera  finalement exilée aux Açores, tout comme le tyran détesté Ngungunyane.

Parsemé en tête des chapitres ou dans le texte de proverbes, de légendes, de citations diverses des peuples autochtones ou des colonisateurs, l’ouvrage sous revue est irisé tout comme un arc-en-ciel, il se termine par un triste constat : « Voici la pauvreté de notre destin : nous finissons par regretter le tyran précédent ».

Cette note pessimiste ne saurait cependant effacer ou ternir la richesse et le brio de ce roman aux multiples facettes qui résume bien, au-delà du romanesque,  une histoire coloniale africaine complexe mais sans complaisance. Et, ce n’est pas la moindre remarque, une probable et remarquable invention verbale sans doute peu accessible dans la fort bonne traduction française mais que relèvent les critiques portugaises.