Relations Afrique-France : les gâchis français : plaidoyer pour un changement de paradigme dans la politique africaine de la France

Recension rédigée par Jean-Pierre Vidon


« Français d’adoption et de nationalité », d’origine camerounaise, Pierre E. Moukoko est un juriste, spécialiste du droit de la consommation. Reconnaissant à notre pays de l’avoir accueilli, il entend plaider « pour un changement de paradigme dans la politique africaine de la France ». « Les gâchis français », ainsi le titre de l’ouvrage caractérise-t-il les relations Afrique-France. Le ton est donné, le but assigné : « la mise en place d’une nouvelle relation…qui enterrera définitivement la Françafrique de papa ». Dans sa préface, Julien Mbem rappelle les mots visionnaires de François Mitterrand en 1957 : « Sans l’Afrique, il n’y aura pas d’histoire de France au XXIème siècle ». Il ajoute qu’ils furent interprétés, trois ans plus tard, comme justifiant une mainmise de fer dans nos anciennes colonies africaines. L’auteur affirme, lui, que ces États francophones « ne sont ni libres, ni souverains », « des pans de leur indépendance étant confisqués » par la France qui conserve « les affaires étrangères, la défense, l’enseignement supérieur et la monnaie ». Il lui reproche aussi son appui « aux dictateurs qu’elle a installés au pouvoir, au préjudice des populations africaines » et l’échec de la coopération qu’elle a imposée, celle-ci ne servant que les intérêts français.

Procédant à « un relèvement des faits et des réalités contemporaines incontestables », Pierre Moukoko rappelle que l’Afrique précoloniale disposait de plusieurs formes d’organisation politique avec leurs systèmes de régulation, de pouvoir et de contre-pouvoir. Il existait aussi un commerce intra-africain qu’illustrait le Ghana avec ses richesses aurifères et sa maîtrise des flux transsahariens de richesses dont les esclaves. De tout cela, l’arrivée des Européens a marqué la fin ; peu scrupuleux, ils entendaient « s’enrichir, évangéliser, exploiter et piller le sous-sol africain ». Certains Africains ont tenté de résister mais en vain. Cependant, traditions et règles coutumières ancestrales ont perduré jusqu’à présent. Pour Cheikh Anta Diop, des secteurs de la société, au XVIème siècle, étaient plus avancés en Afrique qu’en Europe. Rappelant ces recherches, l’auteur revient sur le discours de Dakar du Président Sarkozy et s’interroge sur les propos qui ont « fait bondir des millions d’intellectuels dans le monde ». Pourtant, le même chef de l’État est celui qui, enfin, annonce, lors du Cinquantenaire des indépendances, la décristallisation, longuement revendiquée, des pensions des anciens combattants africains mobilisés lors des conflits du siècle dernier.

Recensant « l’arrivée des Noirs en France sous la contrainte du négrier », Pierre Moukoko évoque aussi, tour à tour, les millions d’esclaves déportés avec la complicité de certains chefs noirs mais aussi, le chiffre varie dans le texte, les milliers ou les millions d’Africains venus en France participer aux Trente Glorieuses. Après une digression consacrée, non sans raison, au premier génocide du XXème siècle, celui des Hereros perpétré par le colonisateur allemand au Sud-Ouest Africain, il se livre ensuite à un long réquisitoire stigmatisant la « stratégie stérile mâtinée d’hypocrisie, de tricheries et de mensonges » qui caractérise, selon lui, les relations de la France avec ses anciennes colonies d’Afrique. S’il est fondé de rappeler le massacre de Tiaroye en 1944, en revanche il est plus contestable d’affirmer que le franc CFA a été inspiré  du système monétaire externe conçu par Goering ou que la France empêche par tous les moyens le développement de l’Afrique. L’opération Serval, par laquelle « les Français se sont appropriés la zone », est présentée comme mise en œuvre au titre de l’accord de défense préexistant avec le Mali alors qu’elle a nécessité un échange de lettres spécifique. En revanche, a été passée sous silence la transformation, il y a une dizaine d'années, des « accords de défense » avec huit états africains en « accords de partenariat de défense », exempts de toute clause d'assistance en cas d'agression extérieure.

L’auteur met ensuite en avant tous les facteurs de nature à affecter la relation de la France avec l’Afrique. Il réprouve l’humiliation des immigrés africains et note singulièrement que « s’agissant des frais de santé, ils sont très peu nombreux à les revendiquer ». Il prédit la « perte imminente de l’Afrique » par notre pays, stigmatise les mauvais choix des responsables politiques français, la fuite des cerveaux tenant au rejet perçu par les Africains formés en France lorsqu’il leur faut trouver un emploi, les revendications de la diaspora auxquelles répondra notamment l’abandon du franc CFA au profit de l’ECO, et les manifestations de racisme. La responsabilité imputée aux dirigeants africains « dans le naufrage du continent noir » conclut cet état des lieux. « Dégradation et appauvrissement » de l’Afrique sont le fruit de leur « coupable complicité avec les anciens colons ». En cédant aux ordres de ces derniers, « ils spolient la souveraineté ». Et l’auteur d’affirmer que « depuis l’octroi des indépendances, aucun des pays concernés n’a pris d’initiative pour sortir la tête de l’eau et avancer vers un développement ». Après avoir décrit le manque d’intégrité des gouvernants, il en déduit que les chefs d’État eux-mêmes sont les responsables de leur maintien en esclavage économique. Les procédures engagées au titre des biens mal acquis lui apparaissent « une voie opportune ouverte à la diaspora pour agir ». Dans ce contexte, il conclut que « la France aura du mal à conserver sa confiance aux potentats condamnés » et ajoute qu’elle a « un rang à tenir car elle demeure malgré tout, dans plusieurs secteurs, un exemple dans le monde ».

A partir de son constat, Pierre Moukoko oriente sa réflexion vers une tentative de rapprochement et des convergences d’intérêts. Des prérequis sont nécessaires pour une nouvelle relation entre la France et ses anciennes colonies. Il place en tête le panafricanisme fondé sur la démocratie et susceptible de fédérer les volontés tout en générant la puissance. Il faudra alors créer les États-Unis d’Afrique. Ainsi « les Africains doivent se mettre sur les rails de la modernité et s’imprégner des règles du capitalisme et de la mondialisation ». L’éducation apparaît en second, avec une citation de Don Bosco, gage de l’importance accordée à la formation de la jeunesse, et avec une place à l’éducation civique, contre la mauvaise gouvernance. Un prérequis « patriotique » s’y ajoute, exigence pertinente de conserver des valeurs telles que l’entraide et la solidarité. Il s’y ajoute le bon usage du droit international compris comme un moyen de se prémunir contre le « consentement vicié des Africains signataires des accords avec la France au lendemain des indépendances ». C’est l’occasion pour l’auteur de répéter des contre-vérités dont la faculté pour la France « de déployer ses forces militaires dans la zone franc, comme bon lui semble ». Selon lui, des « mensonges d’État » contribuent de manière négative à la relation Afrique-France. Le plus marquant est celui d’affirmer que la France aide l’Afrique, or cette aide, 10 milliards d’€ par an, est parcimonieuse au regard de l’accaparement massif des richesses de l’Afrique. A ce titre est dénoncée l’obligation de dépôt de 50% des réserves de change des Éats de la zone franc en même temps que le chiffre fantaisiste de 500 milliards € est avancé pour leur montant alors que celui-ci est évalué à 20 milliards d’€, étant entendu que cette dernière somme n’est pas versée annuellement, contrairement à ce qu’affirme l’auteur. Ce dernier poursuit, s’agissant des entreprises françaises et de leurs filiales en Afrique, en affirmant qu’elles rapportent des dividendes et contribuent à l’économie française mais non à celle de l’Afrique.

Ces prérequis réunis, l’auteur invoque la nécessité impérieuse d’un changement stratégique de la France. La coopération doit parvenir à un équilibre acceptable pour tous : rejet des personnels en coopération imposés par la France, toutefois appréciés dans l’éducation et la santé ; reconnaissance de la présence militaire française comme facteur de paix ; annulation de la dette africaine ; mise en place d’une vraie politique de coopération, la France étant devenue un frein au développement de l’Afrique ; face aux émergents, formulation de propositions crédibles. Atteindre cet objectif impliquera de « restituer la souveraineté confisquée » en remettant en cause les accords de décolonisation » et de mettre fin à la Françafrique comme en ont pris l’engagement trois Présidents français successifs, reconnaissant ainsi son existence. Les Africains doivent assumer cette souveraineté qui apparaît mise à mal de toutes parts, à la fois par « leurs cruels potentats antipatriotiques », par « le pillage de leurs matières premières » grâce auquel « la France atteint sa place de 5ème puissance économique », par les « IFI, complices des pays nantis, dont les aides sont souvent fatales à leurs bénéficiaires », et aussi par l’absence d’un consentement éclairé lors de la signature des accords qui les lient à la France. Pour autant, « il va falloir que les Africains, francophones ou non, arrêtent de pleurnicher, d’accuser la France de tous leurs malheurs et se mettent au travail ». Après ces propos décapants, l’auteur revient à une vue plus encourageante en affirmant que « la France ne doit pas tourner le dos à l’Afrique » et que « le continent noir doit nécessairement rester proche de son ancien colonisateur ». Il ajoute que « tout doit être fait pour éviter la survenance d’un divorce entre la France et ses anciennes colonies ». Plaidant pour un « pragmatisme franco-africain au service d’une cause noble », il estime que doit être trouvée « la voie d’une realpolitik pour améliorer des relations dégradées et au bord de l’implosion ».

La finale de l'ouvrage, après les outrances qui ont pu être relevées, a cependant le mérite de souligner "qu'hormis la Chine qui focalise toute les attentions, il y a d'autres pays...qui posent au quotidien des actes stratégiques de conquête de l'Afrique". Et l'auteur d'ajouter que "dans le contexte mondialisé...l'avenir de l'Afrique est indissociable de celui de la France et par conséquent de l'Europe toute entière". Là se situe le véritable enjeu !