L'islamisme décrypté

Auteur Haoues Seniguer
Editeur L'Harmattan
Date 2020
Pages 207
Sujets Islam et politique
Cote 63.392
Recension rédigée par Christian Lochon


L’auteur, qui est Maître de conférences en sciences politiques à Sciences Po Lyon et directeur adjoint de l’IISMM (Paris EHESS), a repris, corrigé et augmenté une première édition de cet ouvrage, intitulée Petit Précis d’islamisme (l’Harmattan, 2013), dont nous avions fait recension dans ces colonnes en 2015.

Une nouvelle fois, il faut féliciter et encourager ce chercheur franco-algérien pour ses prises de position courageuses dans la critique qu’il mène contre l’interprétation abusive de traditions et de mythes médiévaux sacralisés. Son projet aura été « de commenter quelques grands textes méconnus de l’idéologie majeure de la mouvance islamiste arabe » (p.189).

Cette nouvelle version met en relief trois aspects de l’islamisme contemporain.

M.Seniguer analyse d’abord les sources des conceptions islamistes dont le premier principe est de sacraliser pour mobiliser et sanctuariser la lutte (p.53). L’imaginaire qu’entretient l’organisation terroriste puise à des sources théologiques médiévales (p.11). Pour Yusuf Al Qaradawi, l’imam-vedette égypto-qatariote de la chaîne Al Jezira : « La femme doit privilégier l’entretien de la maison plutôt que d’être dans la rue » et il encourage le mariage précoce (p.104). Il faut rétablir le califat car celui qui rencontre Dieu alors qu’il n’a pas fait la ba’ya (allégeance) à un Imam, meurt d’une mort digne de la jahiliya » (p.106). En fait, « Le Mouvement islamiste est une activité populaire, collective, en vue de revenir par l’islam à la direction de la société, pour orienter toute la vie » (p.43) comme le verset « Agissez ; Dieu, son envoyé et les croyants verront votre travail » (IX 105) le recommande. La confrérie des Frères Musulmans s’appelle « Commanderie du Bien et Dissuasion du Mal » selon un verset coranique. En fait, l’islamiste est nécessairement politique. Hassan Al Banna, fondateur des Frères Musulmans, le définit ainsi : « Nous croyons que l’islam a une signification globale (« châmel ») qui organise toutes les affaires de la vie (p.37) ; Haoues Seniguer en déduit que le terme « Moslem » (musulman) signifie que le croyant n’est qu’objet ou sujet passif de son islam tandis que le deuxième terme « Islami » (islamiste) transforme le fidèle en sujet de son islam (p.39)

C’est une première critique de la part de cet analyste. Une autre est la déformation du contenu du texte coranique par les doctrinaires islamistes. Ainsi,dans le Pacte (Sahîfa) proposé par Mohamed aux Médinois, il n’existe pas de distinction identitaire ou ethnique dans le cadre contractuel (p.51). D’autre part, le pouvoir de Mohamed n’était pas de nature religieuse mais profane (p.54). On verra de même dans la deuxième partie du XXe siècle le nationalisme des combattants pour l’indépendance se muer en islamisme. En Algérie, les Ulémas, le PPA, le MTLD, puis le FLN, le FIS, adoptent une ligne islamiste (p.63). AuMaroc, le néosalafisme marocain soutient le nationalisme marocain qui reproche aux confréries maraboutiques leur liaison avec le Protectorat (p.67).

Au Maghreb, en Égypte, les dirigeants ont instrumentalisé les islamistes pour décapiter les oppositions socialiste et laïque de même que tous les pays arabes avaient fonctionnarisé le clergé musulman (p.88). D’une manière générale, les acteurs de l’islam politique « louvoient car ils ont des difficultés à sortir de l’enfermement sectaire » (p.9). On aura vu en France Tariq Ramadan demander un moratoire pour la condamnation à mort pour cause d’adultère, de fornication, d’apostasie, d’irrévérence religieuse (p.151). Les islamistes assurent leur survie politique par l’imposition de la norme religieuse dans l’espace social (p.131). Pour Qaradawi, « l’enseignement fusionne le religieux et le civil » (p.104) et pour tous les acteurs de l’islamisme « la Charia est un terme galvaudé, essentialisé, détourné de son sens original » (p.120). L’auteur pourfend l’islamisme devenu le niveau normalisé d’un islam prétendument un et homogène du point de vue des idées et des pratiques depuis les origines (p.13) et juge qu’en définitive « La solution islamiste est définie comme un corpus négatif » (p.106).

Le racisme s’est insufflé dans l’islamisme. Hassan Al Banna dans ses Lettres affirme que « L’État Islamique a été décomposé par le transfert du pouvoir aux non-Arabes, Perses, Daylamites, Mamelouks, Turcs et autres » (p.14). Saadeddine Al Othmani, leader du P.J.D. marocain qui fut Premier Ministre tente de réglementer l’utilisation des hadiths (p.143) mais conserve des préjugés racistes et islamo-centrés (p.153). Ainsi beaucoup de restrictions dans l’État islamique limitent les activités sociales des non-musulmans sous le prétexte du risque de chaos, « fitna » (p.133), par une idéalisation islamiste de l’histoire, les non-musulmans sont renvoyés à une négative altérité (p.15). Même lorsque Ghannouchi critique le vocable « Dhimmis » qu’il considère comme discriminatoire et qu’il veut garantir l’égalité des droits et des devoirs pour tous (p.124), il réserve la « choura » (Assemblée politique) uniquement aux musulmans (p.132).

M.Seniguer décrit un troisième aspect qui est celui des militants islamistes en Europe. Leur slogan diffusé sur le site Oumzaza les appelle à être« spirituellement forts, islamiquement formés pour être politiquement intelligents ». Comme le montre Mohamed Louizi, ancien adhérent Frère Musulman, ces « suppôts de Daech » (p.10) ont l’obligation de combattre les Gens du livre, justifiant les « attentats sur la voie prophétique » du 13 novembre 2015 au Bataclan (p.174). L’auteur énumère les attaques menées contre les cadres du CFCM comme Anouar Kbibech ou l’Imam de Bordeaux Tariq Obrou (p.176, 181 ss).

On peut espérer avec l’auteur, dont la connaissance des données sensibles ne laisse aucun doute, que la solution islamiste, semble-t-il, a vécu, sinon dans les slogans, du moins dans les effets pratiques (p.190).

 


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