Lettres du Congo ( 1892-1893)

Recension rédigée par Josette Rivallain


Cet ouvrage en deux volumes est une reprise de l’édition de 1894, chez Plon, réalisée à l’initiative de la mère de l’auteur, la duchesse d’Uzès qui souhaitait faire connaître les lettres que son fils lui avait fait parvenir au cours de son expédition au cœur de l’Afrique. Yves Boulvert a légèrement amendé le texte de départ et surtout l’a enrichi d’une introduction documentée, d’une bibliographie utile, de la liste des européens rencontrés par le duc au cours de son voyage complétée d’une brève bibliographie pour chacun d’entre eux ; en fin d’ouvrage, il a placé quelques lettres adressées à la Duchesse d’Uzès pour l’informer des derniers moments de son fils, dont celles du célèbre Monseigneur Augouard.

Yves Boulvert a repris l’iconographie publiée dans la première édition, ce qui participe à nous plonger dans une époque où l’image ne jouait pas le même rôle que maintenant mais témoignait d’une certaine idéologie vis-à-vis de l’action des européens en Afrique.

Pourquoi cette expédition qui devait traverser d’ouest en est le cœur du continent et qui était le jeune duc d’Uzès ? A la première question, les lettres ne fournissent pas de réponse probante. Descendant d’une ancienne famille aristocratique, le duc d’Uzès était un homme jeune, sorte de dandy, ayant une formation militaire et une certaine propension à faire la fête. Ce voyage, à travers le texte peut apparaître comme une sorte de croisière avant l’heure dont le jeune homme note les différentes péripéties pour les communiquer à sa mère. Il apparait également qu’ainsi, il participait à renforcer et répandre la grandeur de la France, sans avoir le souci de conquérir de nouveaux territoires, tout en étant informé des actions de l’État indépendant du Congo, installé sur la rive gauche du fleuve et de la rivière qu’il devait emprunter. Le périple fut soigneusement préparé au départ, sachant que les déplacements se feraient surtout par voies d’eaux, comme cela était d’usage au début des années 1890. Des compagnons de route furent sélectionnés et recrutés.

Le voyage fut rythmé par les arrêts nécessaires à l’approvisionnement en bois de la chaudière du bateau que l’on devait aller couper sur la rive, par l’achat de vivres, et la recherche d’un gîte pour la nuit.

Au ton des lettres, l’auteur parait heureux d’être là où il est, surmontant les obstacles, les contretemps avec décontraction pendant une grande part des déplacements, veillant au bien-être physique et moral de son escorte.

Au fil des pages, il décrit la qualité des européens installés au cœur du continent : missionnaires, administrateurs, commerçants, leurs modes de vie ; également nous avons droit à la description des villages, à celle de l’ambiance de l’accueil, à la qualité des aliments et de leur préparation.

Le duc d’Uzès considérait les hommes et les femmes rencontrés avec bienveillance, s’attachait à nommer les différents groupes qu’il rencontrait, à mentionner leur réputation, s’inquiétait du nom du chef, un peu de son apparence, sans user de qualificatifs déplacés.

L’auteur insiste sur les moyens de paiements des denrées, leurs variantes locales. Il est sensible aux différentes armes des habitants qu’ils rencontraient, les décrivait rapidement, en faisait collecter, afin de les ramener en France à titre de souvenir et de curiosité, sans avoir le souci de noter le jour, le lieu de la collecte, ni le nom, l’usage précis de ces instruments, leurs modes de fabrication. Il n’était pas un naturaliste, restant peu curieux de la végétation, de la géologie, de la variété de la faune. Ce qui ne fut pas exactement le cas de l’expédition de Jean Dybowski, menée peu avant, à la recherche de Crampel, alors qu’il était également missionné par le Muséum d’histoire naturelle pour enrichir les collections de l’établissement.

Écrit avec élégance, le texte apparait bienveillant vis-à-vis des habitants qu’il considérait toutefois avec une distance bienveillante, mais sans mépris, comme si ces hommes et ces femmes étaient là, immuables, de toute éternité, caractérisés par un nom qu’il ne mettait pas en doute. Il répercutait les qualificatifs désignant chacun des ensembles de populations en usage à l’époque, sans avoir le souci d’en connaître l’origine et la valeur ; la dimension historique des populations du centre de l’Afrique ne parait pas avoir été envisagée.

Ici sont également décrites les souffrances de ces jeunes explorateurs peu armés pour affronter de nouveaux climats et leurs parasites. Au bout d’un certain temps, la santé des membres de l’équipe dont celle du duc, se détériora, parfois gravement et il fallut prendre des décisions. Aussi le voyage prit fin avant d’atteindre le rivage oriental de l’Afrique, avec le décès du jeune duc revenu sur la côte atlantique, mais trop tard pour embarquer vers la France.

Ce récit vivant nous décrit une des étapes de la pénétration du continent africain par les européens, une certaine idée que les français pouvaient avoir de l’Afrique, de leurs préjugés, de leurs visées d’installation sur des territoires étrangers comme allant de soi à la fin du XIXe siècle. Nous sommes là aux prémices de la naissance de l’Oubangui-Chari, puis, plus récemment, de la République Centrafricaine.

 


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