Le syndrome de Beyrouth

Auteur Alexandre Najjar
Editeur Plon
Date 2021
Pages 303
Sujets Liban
Roman
Cote 64.556
Recension rédigée par Christian Lochon


Notre confrère Alexandre Najjar, avocat, né en 1967 à Beyrouth, a reçu le Grand Prix de la Francophonie de l’Académie Française en 2020. Il dirige le supplément littéraire du quotidien libanais L’Orient Le Jour. Son nouvel ouvrage est dédié aux « victimes de l’explosion du 4 août 2020 ». L’auteur explique (p.16) le titre de son ouvrage. Le syndrome de Beyrouth est le syndrome de la résignation qui consiste à pactiser avec l’horreur sans se révolter. Ce syndrome est un poison. Cette oeuvre de fiction comme il la caractérise, où personnages, faits et lieux réels ne sont cités que pour donner à ce roman un arrière-plan réaliste, semble en partie autobiographique.Le personnage principal fictif est Amira Mitri, orthodoxe d’Achrafieh dont la guerre civile hante encore les nuits lorsqu’elle était engagée dans une section féminine combattante du Parti Kataeb (p.35). Installée à Paris, elle étudie le droit à Assas puis entre à l’Agence France-Presse (p.73) ; 22 ans passent (p.77) ; elle revient à Beyrouth où elle travaille comme reporter au quotidien An Nahar.

Le Liban a deux voisins malveillants ; l’armée syrienne censée pacifier le pays en guerre civile, le bombarde, l’occupe, l’exploite (p.66) sous la direction de Ghazi Kanaan dirigeant les services de renseignements syriens (p.94). La Syrie, mise en accusation par l’opinion mondiale après l’assassinat du Premier Ministre Rafic Hariri en 2005, organise une manifestation de soutien le 8 mars 2005 (p.140) mais une contre-manifestation d’un million de personnes l’oblige à évacuer son armée comme le lui intimait la Résolution 1559 du Conseil de Sécurité (p.147). De son côté, Israël, en juillet 2006, envahit le Liban par riposte aux attaques du Hezbollah mais bombarde des régions chrétiennes pour faire pression sur la population, causant la mort de 1100 personnes, en blessant 4000, et condamnant à l’exode un million de réfugiés (p.179).

Parmi les personnalités citées, des journalistes comme Ghassan Tueni directeur du An Nahar fondé par son père en 1933, qui rappelle que : « la stature, l’indépendance et l’insolence de notre journal n’ont jamais cessé d’irriter belligérants et gouvernants » (p.88). En 1976, l’armée syrienne ferme le journal 18 jours et en 1982, l’armée israélienne bombarde le siège du journal qui s’interrompt une semaine.  Le 8 juin 2012, Ghassan Tuéni décède et l’auteur reconnaît que « nul mieux que lui n’aura illustré le courage du Libanais capable contre vents et marées de garder le front haut » (p.198). Gebrane Tuéni,son fils, également député, qui dirigea le supplément jeunesse du quotidien(p.91) fut assassiné à son retour de Paris où le Premier Ministre de Villepin l’avait décoré de la légion d’honneur (p.161) en décembre 2005. Lorsque Samir Kassir qui avait collaboré au Monde Diplomatique et lancé la revue l’Orient Express fut assassiné, Ghassan Tueni publia son éditorial sous le titre : « Aucun terrorisme ne nous fera reculer ! » (p.150). Parmi les politiciens évoqués, Rafic Hariri qui « avait appris à jongler avec les clowns de la classe politique, créant des structures parallèles à l’Administration, favorisant certains abus », redoutait le régime syrien dangereux et fourbe. Il périt dans un attentat spectaculaire (p.118). Pierre Gemayel (34 ans) député, qui avait reconstitué le Parti Kataeb meurt dans un attentat (p.172). Marwan Hamadé, beau-frère de Ghassan Tueni, et ministre, réchappa d’un autre attentat (p.134).

Depuis 1990, pour l’auteur « Ce pays a été réduit à un État tiers-mondiste à cause de l’incurie d’une classe politique corrompue, incompétente (p.105). La reconstruction fut entreprise sans conscience de la sauvegarde du patrimoine, des vestiges archéologiques sacrifiés pour ne pas freiner l’action des bulldozers (p.108). Depuis 2000, l’Université Saint-Joseph a été le cœur d’une contestation étudiante, réprimée par les services de sécurité libanais inféodés à l’occupant syrien (p. 118). Les réfugiés palestiniens accueillirent en septembre 2007 dans leur camp de Nahr el Barid au Nord de Tripoli, le groupuscule terroriste Fatah al Islam qui affronta l’armée libanaise, tuant 168 soldats. Le 7 mai 2008, les miliciens du Hezbollah pénètrent dans les quartiers de Mousseitbé et Hamra pour s’attaquer aux passants, détruisant les sièges du parti sunnite Courant du Futur et de sa station de télévision Future La crise qui fit 63 morts fut résolue par l’entremise du Qatar mais confirma l’hégémonie chiite sur le Liban (p.191). Aux Législatives de 2018, les électeurs des zones dominées par le Hezbollah et Amal votèrent en bloc pour leurs protecteurs. A Beyrouth, Joumana Haddad, candidate de la société civile, avait remporté le scrutin ; le lendemain, on apprit que son adversaire, ancien officier aouniste était déclaré vainqueur. Les 50% d’abstentionnistes montraient l’abdication populaire (p.223). La présidentielle du 31 octobre 2016 fut l’objet au Parlement, dominé depuis deux décades par Nabih Berri, d’une mascarade éhontée, décrédibilisant le Général Michel Aoun, finalement élu par 83 voix contre 128 (p.225). Le scandale des coupures d’électricité dure depuis 20 ans (p.82). Lors de sa visite officielle, Angela Merkel proposa aux dirigeants libanais de régler le dossier de l’électricité en le confiant à Siemens. Elle reçut un refus catégorique car les dirigeants avaient des intérêts dans les générateurs installés dans les quartiers, importaient grâce à des contrats juteux le fuel servant aussi à alimenter les centrales flottantes turques, prétendument censées suppléer la défaillance des centrales terrestres (p.234). Le 17 octobre 2017, la « Révolution d’Octobre » débuta ; les jeunes manifestants furent attaqués par des fauteurs de troubles, des motards agressifs. Le service d’ordre du Parlement tira sur la foule à balles de caoutchouc (p.242) faisant plusieurs blessés graves. En 2019, année noire, 18.000 entreprises ont fermé. La dépréciation de la livre menace les économies, les retraites, les salaires de la population (p.251).

L’explosion du 4 août 2020 dans le port de Beyrouth fut la catastrophe de trop. « Ma ville natale est à genoux, brisée, défigurée. » (p.15) ; l’auteur décrit la situation des blessés immobilisés sous les décombres, la course vers les hôpitaux pour déposer les rescapés, dont beaucoup meurent faute de soins immédiats ; l’auteur s’interroge sur les raisons de l’explosion de cette « bombe à retardement plantée au cœur de Beyrouth » (p.275). Malgré cela, « des centaines de volontaires venus de tout le pays, armés de pelles et de seaux, nettoient les rues, de leur propre initiative, mus par le devoir civique » (p.277). La visite du Président Macron, sans le Président libanais qui craignait d’être conspué, se déroule dans un bain de foule émouvant qui entendait un responsable politique étranger leur dire « Je ne vous lâcherai pas » (p.279).

L’auteur constate que « les organismes de contrôle sont sciemment paralysés, les plus corrompus dénoncés par les ONG continuent de sévir en toute impunité (p.253), que le laxisme de notre justice, l’incompétence de nos enquêteurs qui n’ont élucidé aucun assassinat politique, la complicité des autorités qui couvrent les criminels par crainte ou par complaisance et le jugement décevant du Tribunal spécial pour le Liban, ont assurément encouragé les tueurs à reprendre du service » (p.291), qu’il est temps de sanctionner notre classe gouvernante au lieu de la réélire chaque fois en sachant pertinemment qu’elle va nous asservir » (p.289).

L’auteur est également poète ; on retiendra ces deux phrases, « La guerre est l’éteignoir des rêves » (p.34) et « la mer est généreuse et indolente, tendre et dangereuse, attachante et imprévisible. Comme le Liban » (p.291).