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Actualités, Événements

L’objectif de cette séance à deux voix est de reconstituer les oppositions au Centre d’Expérimentation du Pacifique (193 essais nucléaires menés entre 1966 et 1996) depuis un point de vue polynésien, ce qui n’est pas si simple à documenter dans la mesure où les archives régaliennes restent largement asymétriques – mais la réalisation d’entretiens permet à tout le moins d’accéder à la mémoire de cette période.
Afin de contextualiser les refus du CEP, nous reviendrons dans un premier temps sur la manière dont ce projet modernisateur a pu susciter des adhésions et des implications côté polynésien. Celles-ci ne sont jamais totales ni aveugles, la conscience des appauvrissements liés à la modernisation de la Polynésie se manifestant également du côté des Européens sous la forme d’une « nostalgie par anticipation ». Les changements sociaux et économiques induits par le CEP, massifs et brutaux (ce dont certaines trajectoires biographiques permettent de rendre compte) sont mis en balance avec les gains attendus par ceux qui adhèrent au projet modernisateur. Cette réflexivité participe du reste de la modernité – comme la conscience que le projet émancipateur de la modernité est lui-même incapable de se réaliser pleinement : les Polynésiens, eux non plus, ne deviennent jamais tout à fait des modernes, pour paraphraser Latour.
Du côté des refus du CEP, y compris chez les appelés ou les travailleurs des Armées et du CEA, deux raisons se manifestent de façon saillante pour dénoncer ce visage de la modernité : le risque sanitaire et le rejet d’un vecteur de modernité aliénante. Ces deux motifs s’opposent presque, si l’on suit la grille de lecture de la modernité et de la mondialisation : la critique du risque relève typiquement de la modernité critique, qui ne rejette pas le progrès mais alerte sur ses périls ; le rejet de la modernité aliénante et la volonté de pas de côté manifeste le rejet de cette modernité voire de ses agents et de ses conséquences en termes d’intégration à la mondialisation. Enfin, le refus se manifeste également, par des choix de vie ou des discours, par des pas de côté avec la modernité qui a pris le visage du CEP.
Au-delà ou en-deçà de l’opposition entre adhésion/refus du CEP, se développe une agency/agentivité vis-à-vis de ce projet hégémonique, une capacité à articuler l’expérience du CEP avec des manières de faire considérées comme « traditionnelles », proprement « polynésiennes ». Même dans la participation au CEP (chez les travailleurs), peuvent se loger des continuités, les moyens de reproduire un système de références propre aux populations de Polynésie française. Ainsi, d’un point de vue théorique, c’est le modèle de la « conversion » brutale à un nouveau mode de vie et à de nouvelles manières de penser (un modèle très répandu dans les recherches portant sur les territoires océaniens, notamment depuis les études sur les fameux « cultes du cargo ») qui est ainsi remis en cause. Ces manières de faire s’articulent avec des formes d’énonciation de type « renaissance culturelle » qui, contrairement à la renaissance culturelle tahitienne, n’impliquent pas une contestation directe (immédiate et explicite) concernant les essais nucléaires en Polynésie française. C’est donc finalement le continuum entre manières de faire, énonciation culturelle et contestations des projets modernisateurs qu’il s’agira de restituer.

Séance 3 (9 février)
Clément Thibaud (EHESS, CERMA), « Qu’est-ce que le « méridien impérial » atlantique peut nous dire de la question coloniale en Océanie ? »

Séance 4 (23 février)
Manatea Taiarui (MSH-P), « Une modernité dangereuse ? Circulation d’une controverse scientifique internationale : les Polynésiens face au risque radiologique (1962-1974) »

Séance 5 (8 mars)
Pascal Marichalar (CNRS, IRIS), « Mauna Kea, la montagne aux étoiles. Enquête sur les terres contestées de l’astronomie à Hawai’i »

Séance 6 (22 mars)
Florence Mury (MSH-P), « Océanie ou « triangle polynésien » : quelle échelle légitime pour le régionalisme culturel en Polynésie française ? »

Séance 7 (12 avril)
Régis Boulat (UHA), « Comment les responsables polynésiens pensent-ils la notion de modernisation à l’heure des 30 glorieuses et du CEP ? »

Séance 8 (26 avril)
Louis Lagarde (UNC) & Guillaume Molle (ANU), « Vestiges du quotidien : les îles océaniennes et la mondialisation au prisme de l’archéologie »

Séance 9 (10 mai)
Frances Steel (Otago), “TransPacific transport networks as seen from the Pacific Islanders”

Séance 10 (24 mai)
Antoine Lilti (Collège de France), « Les Lumières à l’épreuve de Tahiti »

Séance 11 (14 juin)
Benjamin Furst (UHA), « L’environnement polynésien à l’épreuve de la modernisation. Jeux d’échelles et circulations après 1945 »

Séance 12 (28 juin)
Alexis Vrignon (Orléans), « Modernisation et écologisation en Polynésie française (1960-2000) »
Renaud Meltz & Serge Tcherkézoff, « Conclusions provisoires ».

Le projet de ce séminaire est de penser la mondialisation et la modernisation, sur tout l’empan de la période contemporaine, depuis les îles d’Océanie. À l’articulation de l’histoire et de l’anthropologie, nous proposons de regarder le monde depuis le Pacifique, plutôt que de regarder le Pacifique de l’extérieur.

Dans le champ historique, les efforts pour recentrer la discipline sur le « terrain » des sociétés insulaires (island-oriented) au lieu de partir des archives des chancelleries européennes sont en cours depuis longtemps.  Il reste à opérer ce tournant pour l’ensemble des analyses socio-culturelles, économiques et politiques concernant les transformations récentes et contemporaines.

Ce séminaire entend étudier les effets de la modernisation et de la mondialisation dans le Pacifique à partir d’enquêtes sur place, en observant les situations contemporaines et en écoutant la mémoire des habitants concernés.

            Les responsables du séminaire et leurs invités considèrent l’ensemble des processus impériaux qui renouvellent les pratiques des empires de l’époque moderne et conduisent à différentes formes de colonisation ou de domination impériale, qui modulent le rapport à la modernisation et l’insertion dans la mondialisation. Nous refusons de découper l’histoire de l’Océanie en tranches, selon les catégories ou les conceptions des métropoles européennes, et nous souhaitons d’une part considérer chaque société dans le temps long, en prêtant attention aux circulations des Océaniens, (Nicholas Thomas, Islanders: The Pacific in the Age of Empire) et d’autre part les comparer entre elles, pour ne pas céder à la tentation téléologique d’une fatale convergence des processus de modernisation et de mondialisation qu’il s’agit précisément de penser à nouveaux frais.