La violence politique : vue par les historiens du Moyen- à l'extrême-Orient

Recension rédigée par Christian Lochon


Ce livre contient les communications de deux Colloques universitaires, le premier en juin 2019 consacré à la violence politique en Asie et le deuxième tenu au Collège de France en juin 2022 sur le Moyen-Orient (p.7).

Pour Eberhard Kienle, le Moyen-Orient n’a pas eu aux XXe et XXIe siècles le monopole du recours à la violence en politique (p.25). Dans les années 1950-1980, un certain nombre d’États du Moyen-Orient semblaient commencer à se consolider politiquement et économiquement (p.30) après l’augmentation considérable du prix du baril de pétrole. Mais dans les années 1980, la baisse du prix du baril affecte les pays producteurs et non-producteurs de pétrole (p.31). L’occupation de l’Irak par les États-Unis en 2003, douze ans après l’invasion du Koweït par l’Irak, a déclenché des dynamiques de violence qui ont encouragé l’essor d’acteurs armés non étatiques qui se sont définis en termes religieux ou linguistiques (p.33). Les occupants américains de l’Irak ont réduit la part des Sunnites au bénéfice des Chiites et des Kurdes. En Syrie, la militarisation partielle de l’opposition et l’internationalisation des soutiens aux rebelles et au régime ont conduit à la guerre civile (p.34). La reconstruction du Liban en 1989 à Taif a été imposée par l’Arabie Saoudite, la Syrie et les États-Unis (p.36). Mais le soutien à la reconstruction doit être encadré pour donner la priorité au consensus national (p.37).

M.N. Tannous étudie la condamnation récente du terrorisme par l’ONU en ce qui concerne Daech ou Al Nosra (p.45). Mais parfois les puissances extérieures s’accommodent de l’ordre milicien comme au Liban ou en Irak (p.47). En tout cas, la belligérance pérenne a brutalisé les sociétés (p.53). Mathieu Rey examine le jeu de l’État Islamique en Djézireh syrienne (p.55) qui utilise la violence pour qu’on lui prête allégeance (p.73) tandis que les Kurdes reprennent les canons léninistes d’un Kurdistan démocratique (p.74). Les violences politiques en terre d’Euphrate font comprendre comment la frontérisation opère dans l’ordre politique (p.77).

1947 a-t-il marqué la consécration internationale du panasiatisme indien se demande P. Singaravélou ? Les œuvres du Musée national de l’Inde, inauguré la même année avaient montré les relations entre les empereurs Mauriya et les mondes grec et égyptien (p.90). D’un autre côté, Nehru puise l’idée de « Grande Inde » dans l’œuvre de Tagore pour lequel « les enseignements de l’Inde s’étaient autrefois répandus hors de l’Inde » (p.93).

Pour Arnaud Nanta (p.99), le massacre de la population de Nankin et des prisonniers de guerre par l’armée japonaise en 1937 a été longtemps minorisé dans l’œuvre historiographique des officiers japonais impliqués dans ce crime de guerre et qui appartenaient à la Kaikôsha, organisation d’anciens officiers de l’armée de terre ou à la Suikôsha, réservée aux officiers de la marine et de l’aviation (p.108). Les deux organismes rassemblèrent des témoignages sur le déroulement des opérations japonaises qui allaient être utilisés ou contestés par les historiens et les négationnistes (p.115). Le contenu du corpus est analysé par l’auteur (p.123). Après le décès de l’Empereur Shôwa en 1989, l’historiographie universitaire fit un effort de mise en ordre et de publication de ces matériaux historiques (p.131).

François Guillemot parle de la guerre civile du peuple vietnamien, de la réunification forcée et regrette que peu d’études se soient intéressées aux discours vietnamiens de la guerre de part et d’autre du 17e parallèle (p.141). Le conflit idéologique qui opposa les deux Viêt-Nam a engendré une déchirure interne documentée par de nombreux récits personnels (p.145). La guerre civile reste un sujet sensible sur le plan politique (p.149). En 1975, la victoire est acquise mais la démilitarisation des consciences ne l’est pas (p.168) du fait de la contribution de la Chine à la réunification du Viêt-Nam (p.181). L’après-guerre conduisit à la rééducation infligée au Sud, à la tragédie des boat people et à une nouvelle guerre régionale (p.191).

Olivier Boutonnet évoque la tentation légiste en Chine. L’État de droit aux yeux des dirigeants chinois n’est pas la soumission de la puissance publique à la loi mais le gouvernement absolu du Parti par la loi (p.200). Les textes fondateurs du légisme remontent à la période préimpériale. Le livre du Prince Shang, en 388 av. J.C., affirme « Pour vaincre un puissant ennemi, il faut d’abord vaincre son propre peuple » (p.205). Le Parti joue le rôle premier en Chine aujourd’hui puisque les mêmes personnes sont aux sommets du Parti et de l’État (p.212). La surveillance devient technologique et en même temps humaine par la délation (p.219). La culture juridique chinoise n’est pas réductible au confucianisme comme le prétendent les officiels chinois. Le pouvoir reste fondamentalement étatique et bureaucratique (p.224). Victor Louzon-Benrekassa rappelle le mot d’ordre des réformes postmaoïstes « Civiliser les Chinois ». Pour Deng Xiaoping, en 1979, il était nécessaire de promouvoir une « civilisation spirituelle socialiste élevée » où règnent la politesse, l’hygiène, l’ordre et la morale » (p.238). Le modèle principal en Chine depuis le XIXe siècle est le Japon de l’Ere Meiji (p.243).

Marie Holzman (p.252) décrit le peuple martyr du Xinjiang ; plusieurs centaines de milliers de Ouighours ont été exposés à des conditions de vie qui ont porté gravement atteinte à leur intégrité physique et morale. Plus d’un million ont été déportés dans des camps de rééducation (p.269). Le descriptif du fonctionnement de ces camps a été révélé en Occident (p.271). En même temps, la destruction des sanctuaires, mosquées, cimetières est complétée par l’éradication de la culture, de la langue et de la littérature ouïghoures (p.277).

Claude Romano parle de l’Ukraine, condamnée dans un texte de Poutine de juillet 2021 intitulé De l’unité historique des Russes et des Ukrainiens à être revassalisée par Moscou. Il s’agit de la fabrication d’un récit officiel alternatif destiné à justifier l’injustifiable (p.287). L’Eurasisme fournit le monde conceptuel de l’idéologie impérialiste de la Fédération de Russie. « Grande Russie » et Eurasisme, pourtant antithétiques, deviennent un ensemble ethnique pour retrouver l’Empire des Tsars (p.290). Les Ukrainiens constituent un défi vivant à ce Régime, conférant à cette guerre son caractère existentiel qui ne peut conduire qu’à un triomphe total ou à une soumission totale (p.299).

Il convient de féliciter l’éditeur sur la qualité de l’impression de l’ouvrage du point de vue typographique, de la présentation très soignée des textes, de la perfection de la reproduction des caractères chinois. Le lecteur appréciera également la bibliographie multilingue de chaque chapitre.