Hygiène navale et médecine des colonies en France

Recension rédigée par Jean de La Guérivière


Qu’il y ait eu des partants pour les voyages d’exploration puis pour l’aventure coloniale ne laisse pas d’étonner quand on lit ce livre, thèse en doctorat reprise dans la présentation aérée des Indes savantes. Comme l’indique le titre, ces pages ont trait à deux questions distinctes quoique liées : les « périls de la mer » et « les tourments des zones torrides ».

 À partir d’ouvrages d’époque abondamment cités dans les notes de bas de page, tels Le traité du scorbut (1604) ou La Consolation des navigants ( 1657), l’auteur nous fait revivre les affres des premiers « voyageurs transocéaniques », dans l’enfer des entreponts où l’équipage dispute l’espace aux animaux vivants embarqués pour la nourriture, ou dans les réduits réservés aux officiers, aumôniers, ou « chirurgiens navigants », puisque, dès Colbert et la Compagnie des Indes orientales, la pratique se généralisa d’en prendre à bord pour essayer de soulager les malades victimes, entre autres choses, de « l’air corrompu » de la cale et de l’abus des salaisons avant que ne soit trouvé un début de « diététique transocéanique ». Les pages les plus étonnantes sont consacrées à diverses inventions « pour renouveler l’air des vaisseaux » au moyen de ventilateurs et soufflets reproduits en illustration.

L’ouvrage ne s’étend pas sur les conditions maritimes de la traite négrière mais il évoque l’intérêt porté à la condition physique des esclaves une fois qu’ils étaient arrivés à destination. L’enjeu de la médecine ne se limitait pas à la préservation des populations européennes là où sévissaient « mal de Guinée » et « maladie de Siam », il fallait aussi maintenir la santé et la vigueur d’une population servile qui formait, par exemple, les trois quarts du peuplement de la Guadeloupe en 1730.

« Durant une grande partie du XVIIe siècle, constate Guillaume Linte, l’assistance dans les colonies était essentiellement assurée par des religieux (ou religieuses), des barbiers et des chirurgiens - aux compétences professionnelles souvent mises en doute - et à des empiriques (européens ou non, notamment des soignants et soignantes originaires d’Afrique). Durant les dernières décennies du siècle des ‘’médecins du roi ‘’ apparaissent. Leur rôle ne se cantonne pas à celui du praticien, ils s’érigent en conseillers auprès des administrateurs locaux concernant les questions sanitaires. »

 Alors que les guérisseurs africains opposent de la résistance, les médecines pour Blancs et pour ‘’Nègres’’ seront de plus en plus souvent pensées séparément. « Cette conception différenciée en fonction de la race devient de plus en plus structurante de la médecine des colonies, tant au sein de l’empire français que chez ses rivaux européens, en particulier britanniques. »

L’auteur ne le dit pas mais il faudra attendre la création de l’Assistance médicale indigène (AMI) en 1903 pour qu’intervienne en France une rupture conceptuelle avec le courant de la médecine tropicale qui faisait une distinction entre l’humaine condition des Blancs et celle des Noirs. La parole sera alors aux « Navalais », ces brevetés de l’École principale du service de santé marine de Bordeaux qui n’appartenaient pas plus à l’École navale que les Troupes de marine n’appartenaient à la marine.