Ma part de rêve : le demi-siècle de reportages d'un Asiate

Recension rédigée par Jean de La Guérivière


Le sous-titre de ce livre - Le demi-siècle de reportage d’un Asiate - est réducteur. Jean-Claude Pomonti, journaliste au Monde de 1968 à 2005 a beaucoup vécu en Asie et il l’a aimée au point de résider principalement à Bangkok depuis son départ à la retraite, mais il a aussi occupé le poste de correspondant à Nairobi et il a eu à connaître de l’Afrique dans ses fonctions de chef adjoint du service Étranger. Trente-sept ans de desk et de reportages ne pouvant pas contenir dans les 122 pages de ce livre, celui-ci se présente comme un témoignage cursif dont, généralement, il vaut mieux connaître l’histoire récente de l’Afrique et l’Asie pour apprécier la saveur. Accessoirement, ces pages permettent de voir comment fonctionnait un grand quotidien avant l’ère Internet, elles montrent aussi comment des amitiés basées sur de l’estime professionnelle peuvent se créer entre envoyés spéciaux de journaux « rivaux ».

Fils cadet d’une Américaine et d’un magistrat français, Pomonti, diplômé de Langues’O et de Sciences-Po Paris, accomplit son Service national comme coopérant à Saïgon quand il a l’occasion de « traîner en cyclo-pousse à travers la ville » avec Robert Guillain, une des grandes plumes du Monde dont il est le correspondant à Tokyo. D’où une proposition de stage au siège du journal pendant l’été 1967. Comme souvent, le stage se termine par la promesse qu’il serait fait appel à vous si l’occasion s’en présentait. L’occasion, pour Pomonti, c’est, dès janvier 1968, l’attaque d’une cinquantaine de villes du Sud-Vietnam par les Viêtcongs et l’urgence du choix d’un envoyé spécial. « Je suis entré dans l’univers du journalisme lorsque celui-ci traversait son âge d’or. »  Cruellement, cet âge est aussi celui du paroxysme d’un long conflit, cette guerre américaine du Vietnam pendant laquelle les reporters étaient assimilés à des officiers par l’armée US.

« Le reportage, écrit Pomonti, ne se limite pas aux famines, aux désastres écologiques, aux crises politiques, aux guerres, il se peuple également de pauses, de temps morts et, bien entendu de promenades exceptionnelles. » Concernant l’Afrique, la couverture de « l’indépendance chaotique de l’Angola », à l’époque de la lutte entre l’Unita de Savimbi et le MPLA de Neto, vaut à Pomonti quelques sensations fortes. Dans le registre des « promenades exceptionnelles », sa découverte de Djibouti donne lieu à des pages pleines de nostalgie.

« Les temps morts », ce sont plutôt ceux qui permettent au reporter perfectionniste d’étudier l’histoire. Ce bagage de connaissances sert à Pomonti quand, raconte-t-il, « le 26 décembre 2004, six mois avant ma retraite du Monde, un monstrueux tremblement de terre a ébranlé les côtes de l’océan Indien et provoqué un tsunami dont la hauteur a été estimée à l’équivalent d’une construction de trois étages. » Les visions d’horreur racontées par le reporter sont suivies, dans ce livre, d’un exposé très documenté sur l’histoire compliquée de l’Indonésie jusqu’à nos jours. Dans un contexte différent, il en va de même en ce qui concerne les Philippines.

Pomonti conversa avec Henry Kissinger, sur une base américaine proche de Saïgon le 30 juillet 1969 alors que le secrétaire d’État accompagnait Richard Nixon dans une visite au président sud-vietnamien Thiêu pour le préparer au retrait américain. Washington voulait « se débarrasser du fardeau de la guerre au Vietnam » pour normaliser ses relations avec la Chine et l’introduire dans le dialogue international - cette Chine dont l’expansionnisme asiatique inquiète tant le Vietnam d’aujourd’hui !   Moins de six ans plus tard, le Sud-Vietnam s’effondrait sous l’offensive des Nordistes. Expulsé du Sud-Vietnam en 1974, Pomonti était alors correspondant du Monde à Nairobi. Sa grande frustration fut sans doute de ne pas pouvoir couvrir la chute de Saïgon (l’auteur de ces lignes le fit à sa place). Il s’est ensuite rattrapé par de nombreux passages dans le Vietnam réunifié, particulièrement dans le « Sud devenu la locomotive économique du pays ».

 Aujourd’hui les Viêt Kiêu américains, autrement dit les anciens boat people, retournent au pays et les plus riches d’entre eux reposent au fond de caveaux construits dans un somptueux style kitsch à proximité de Huê, la ville des tombeaux impériaux. Leur réussite est admirée par les patrons d’entreprise dans un secteur privé qui avait déjà « le quasi-monopole de la création de l’emploi » trente ans après la victoire des communistes. Finalement, elle n’était pas vraiment paradoxale la boutade d’André Fontaine, directeur du Monde, auquel un dirigeant vietnamien avait demandé sa définition du socialisme en présence de Pomonti et qui avait répondu : « Le chemin le plus long du capitalisme au capitalisme. »