Femme, vie, liberté : parlons-en

Recension rédigée par Christian Lochon


Ce n’est pas une autobiographie ordinaire. Elle ne se déroule pas chronologiquement mais elle suit les méandres de la pensée de l’autrice qui se fixe sur des moments importants de son existence et de celle des siens. Pour Fahimeh : « L’Iran est mon héritage naturel, la France est ma terre adoptive » (p.320).

Sa jeunesse s’est passée en Iran. Au lycée, passionnée de mathématiques (p.37), elle est une des rares filles de sa génération à passer le bac scientifique (p.41). Elle est admise à la filière physique de la Faculté des sciences de Téhéran qui ne comptait que six filles pour une centaine de garçons ; en 4e année de licence, elle enseigne dans un lycée de filles les mathématiques, la physique et la chimie aux terminales (p.45). Elle obtient une bourse OMS de master international en santé radiologique qui se déroule en partie au Centre Nucléaire de Fontenay aux Roses (p.50) ; elle apprend le français, rencontre Michel (p.53) qu’elle emmène en Iran où ils se marieront après sa conversion à l’islam (p.135). Elle soutient sa thèse puis est engagée à l’Organisme iranien d’énergie nucléaire (p.56). Michel, qui est ingénieur, est engagé dans une usine construite par Saint-Gobain Pont à Mousson à Saveh, 135 km de Téhéran (p.19). Ils auront deux enfants : Tina mariée à un Américain, actuellement directrice d’études à l’ESSEC, mère de deux fils et Cyrus dont l’épouse française est médecin comme lui, parents également de deux fils (p.158). Michel sera expulsé lors de la Révolution islamique, Fahimeh et sa fille Tina le rejoindront à Paris en février 1979.

A son arrivée en France, après une formation de 6 mois d’ingénieure en informatique au CEA (p.60), elle y sera embauchée et y restera jusqu’en 2007 (p.64) à Fontenay aux Roses dans le cadre de la gestion des déchets radioactifs du CEA (p.67), dont elle deviendra l’adjointe au directeur. Nommée ensuite à Saclay, elle ne se voit confier aucune mission et constate la méfiance de ses collègues ; très mal à l’aise, elle accepte le départ négocié que lui propose la Direction en 2007 (p.72). Elle décide alors de se consacrer au consulting entre la France et l’Iran ; un ancien ministre lui permet d’obtenir un poste de membre associé à l’Institut de recherche et d’enseignement sur la négociation de l’ESSEC. En novembre 2006, elle y organise une conférence de Shirin Abadi qui obtient un grand succès (p.164). En 2008, un accord de l’ESSEC avec l’Université de Téhéran lui permet de revenir dans son pays pour enseigner aux étudiants de MBA des facultés d’ingénieurs (p.86) et d’assurer une formation similaire à l’île de Kharg et à Isfahan. Néanmoins, les conditions dues à l’intolérance des Autorités sont contraignantes. Les cours de management doivent commencer par des versets du Coran et toutes les paroles étaient contrôlées. Elle assure également des formations en R.D.C., au Burkina Faso, au Burundi et au Liban (p.84). « Ces années de travail m’ont permis, écrit-elle, d’améliorer considérablement mes connaissances et m’ont apporté la fierté d’être française » (p.70). En France, Fahimeh milite dans l’association franco-iranienne Ferdowsi qui célèbre les traditions zoroastriennes, comme Norouz, la nuit de Yalda, la Fête du Feu (p.170).

Le Chapitre XIII est consacré au déroulement de la Révolution islamique. Le 11 février 1979, un vol spécial d’Air France ramène Khomeïni en Iran. Dès mars 1979, les femmes vigiles arrêtaient, battaient toutes les femmes maquillées, ne portant pas le hijab (p.299). Le nouveau Régime a causé la mort d’un million de victimes dont un très grand nombre de mineurs sacrifiés durant la guerre avec l’Irak comme chair à canon. La plupart des personnes ayant accompagné le Guide ont été assassinées ou réexilées (p.303). Avec Khomeini, la religion a envahi la sphère publique. La moindre désobéissance avait des conséquences néfastes. A l’intérieur des foyers, on continuait à vivre comme avant, à s’amuser boire et manger, au dehors, tout était différent (p.132). L’islam idéologique s’est infiltré dans toutes les couches de la société. Le peuple a tout perdu au profit d’une bande de mafieux qui depuis 44 ans, scande « Mort aux États-Unis » alors que leurs enfants vont dans les universités, jouissent d’une vie de luxe avec l’argent du peuple, aux États-Unis, au Canada ou en Europe. Ce Régime est prêt à tout donner aux Russes, aux Chinois, aux Qataris pour subsister sans scrupule (p.103) ; la révolution de 1979 a apporté son lot d’interdits, notamment celui de la musique. Progressivement il y a eu quelques tolérances ; des chanteurs ont repris les chansons de leurs homologues féminins, oubliées ou condamnées à l’exil (p.108). Tant d’élites iraniennes ont fui cette ambiance sociétale et culturelle suffocante. La police politique des Basijis surveille la vie de tous (p.91). Depuis 2009, les contestations n’ont pas cessé. La pauvreté a gagné du terrain et les pauvres n’hésitent pas à vendre leurs organes pour nourrir leur famille (p.310). Récemment, des empoisonnements collectifs par attaque chimique touchant 5000 élèves ont eu lieu dans des lycées de filles, En 2021, l’assassinat de la jeune Kurde Mahsa Amini a déclenché la Révolution « Femme, Vie, Liberté » (p. 316).

Fahimeh a consacré plusieurs missions à l’Afghanistan. Elle enseigne à l’Université de Kaboul en 2017 et 2019, à la Faculté des Sciences Sociales, un mastère intitulé Etudes sur le genre et les femmes (p.248) puis un programme d’enseignement à la paix pour les enseignants, mais le représentant afghan à l’UNESCO déclare que « cette éducation à la paix n’a pas sa place dans nos écoles ; il faut le réserver à l’université ». (p.223). Elle surveillera le déroulement des élections dans les bureaux électoraux féminins (p. 200), soutiendra le magazine féminin Roz (Le Jour) sponsorisé par Elle (p.201), invitera pour une session à l’ESSEC une dizaine de députées, qui, à leur retour à Kaboul, mettront à profit la méthode de prise de décision enseignée (p.216). Elle constate aussi le mépris envers les minorités sikhes, hindoues, hazara-chiites (p.233). Le retour progressif des Talibans s’annonce par l’assassinat de femmes juges en 2018 (p.233). Le 29 février 2020, les États-Unis signent avec les Talibans, sans avoir consulté les Afghans, un accord pour ramener la paix en Afghanistan, approuvé par le Conseil de Sécurité le 10 mars 2020 (p.258). A l’arrivée des Talibans en août 2021, l’armée afghane de 100.000 hommes se désagrège du fait de la disparition de l’intendance confiée à 16.000 employés étrangers qui repartent, du manque du soutien aérien et de la corruption (p. 262). Fahimeh s’occupe d’exfiltrer des Afghans en danger, sauvant quelques femmes ayant suivi son séminaire (p.267). Elle s’interroge alors sur sa part de responsabilité en promouvant des études sur le genre et en laissant ses étudiantes dans une telle situation (p.294). 

Le sous-titre de cet ouvrage reprend le slogan de la révolte de 2022 « Femme, Vie, Liberté », qui « est un hymne à la laïcité » et revendique la liberté et les droits que cet islam a volés au peuple iranien. Pour les Iraniens, cet islam est le reflet de la tyrannie, de la violence, de l’hypocrisie et des promesses non tenues (p.133).

Le lecteur saura gré à Madame Fahimeh Robiolle de nous avoir décrit son combat pour un humanisme sans frontières.