Histoire du Moyen-Orient de 395 à nos jours

Auteur Jean-Pierre Filiu
Editeur Points
Date 2023
Pages 517
Sujets Moyen-Orient
Histoire
Cote
Recension rédigée par Christian Lochon


J.P.Filiu, dont nous avions déjà recensé Les Arabes, leur destin et le nôtre (La Découverte 2015), enseigne à Sciences-Po Paris ; son expérience antérieure de diplomate lui fait entreprendre une réflexion sur le temps long de cette région « chargée de références, lourde de menaces et porteuse d’espérances » (p.482). Le Moyen-Orient est depuis 1945 une terre fertile en retournements d’alliances et de guerres inavouables. Les différentes branches du nationalisme arabe se déchirent avec constance comme les deux Baas, irakien et syrien. Les Israéliens misent sur les islamistes pour diviser le camp palestinien. Partout les régimes imposent leurs priorités au nom d’une nation réduite au silence (p.209). Les dictatures arabes du Moyen-Orient ont fragmenté la société civile avant tout par le confessionnalisme et en s’appuyant sur des gardes prétoriennes (p.445).

En 380, Théodose impose le christianisme comme doctrine officielle de l’Empire Uni (p.24). En 395, l’Empire romain d’Orient est créé abritant 40 millions d’habitants (p.15). Le Concile d’Ephèse de 431 reconnait Marie comme « Theotokos » en divergence avec l’Église d’Orient à Ctésiphon ; le Concile de Chalcédoine de 451 condamne le miaphysisme adopté par les Coptes, les Syriaques puis les Arméniens en 506 (p.33). Byzance est assiégée par les Arabes en 674-678 et en 717-718, mais les tribus ghassanides se rallient aux Byzantins (p.48). En 944, les Byzantins assiègent Edesse et récupèrent le Mandylion qui porte l’empreinte de Jésus (p.105).

Les Omeyyades reprennent la pompe byzantine. Les Abbassides recyclent les rites sassanides du pouvoir. Mansour de 758 à 762 bâtit Bagdad. La synthèse arabo-persane marquera le premier siècle abbasside (p.80). Le sunnisme établit au VIIIe siècle ses écoles juridiques, les chiites se divisent sur l’attribution de l’imamat aux descendants d’Ali (p.95). Sous Al Mamoun, le mutazilisme repose sur deux conceptions révolutionnaires, le caractère créé et historique du Coran et le libre arbitre de l’homme (p.84). L’installation du califat à Samarra consacre la montée en puissance des gardes turcs au milieu du IXe siècle (p.129). En 945, les Émirs bouyides chiites prennent le pouvoir à Bagdad ; les non-Arabes l’emportent sur les califes arabes (p.107) puis les Seldjouqides turcs les expulsent en 1055 (p.129). En 1258, Hulagu anéantit le califat de Bagdad ; en 1261, l’émir mamelouk Baybars emmène au Caire un survivant abbasside qu’il fait proclamer Calife (p.172).

Les États latins durèrent deux siècles parce que les Fatimides d’Égypte les craignaient moins que les Seldjouqides (p.136), que des chrétiens locaux, comme les maronites s’étaient ralliés à Rome (p.145) ou les soutenaient comme les Arméniens de Cilicie (p.135) et que leurs débouchés maritimes compensaient l’absence d’une colonisation de peuplement (p.175). En 1229, Frédéric II, anathématisé par le Pape, avait même signé avec Kamil Ayyoubide d’Égypte un traité concédant Jérusalem et un corridor de Jaffa à Jérusalem (p.163).

L’Empire ottoman est issu d’une tribu turque ayant chassé les Seldjouqides, adopté comme eux le sunnisme hanafite (p.86), conquis Constantinople en 1453 (p.188) puis l’Égypte où les émirs mameluks rétrogradés serviront dans l’armée ottomane avec les Janissaires (p.230). L’Empire Ottoman connait son extension maximale d’ouest en est d’Autriche à l’Azerbaïdjan en 1536 (p.207). En 1826, les Janissaires, ex-soldats d’élite sont massacrés ; les Bektachis, confrérie des Janissaires, se rapprochent des Alévis dont ils partagent le syncrétisme et fusionnent dans l’alévisme (p.285). En 1860, des milliers de chrétiens sont massacrés au Liban et à Damas (p.256) ; en 1878 en Anatolie, en 1909 en Cilicie (p.306). Le 24 avril 1915 débute le génocide arménien dont le bilan d’un million et demi de victimes sera effroyable (p.324). Le sunnisme d’État interdit toute reconnaissance officielle des communautés (p.311) et pourtant, en 1908, les 288 Parlementaires, comptent 147 Turcs, 60 Arabes, 27 Albanais, 26 Grecs, 14 Arméniens, 10 Slaves, 4 Juifs (p.306). La Laïcité d’État, laiklik, de Mostafa Kemal sera un dogme sunnite de rite hanafite fonctionnarisé imposé aux Alévis et aux Chiites (p.331).

L’Iran devient un Empire safavide (1501-1798) qui passera au chiisme en un siècle pour lutter contre le sunnisme ottoman (p.204). En 1794, un chef turkmène se fait couronner Shah à Téhéran puis Fath Ali Shah règne sur la Perse de 1797 à 1834 (p.233). La Russie conquiert la Géorgie empêchant l’Iran d’avoir accès à la Mer Noire (p.250). Au XIXe siècle, les Grands Ayatollahs deviennent « Marja, » ou « Référent de l’Imam » (p.234). En 1907 (p.303) puis en 1941, (p.348) Russes et Anglais se partageront l’Iran. En 1979, la République islamique est déclarée (p.390). En 1982, le Parti communiste iranien Toudeh est décimé et marque la fin au Moyen-Orient du mouvement communiste qui n’avait survécu qu’en pactisant avec les pires dictatures (p.399). Khomeini s’éteint en juin 1989, léguant son titre de Guide à Khamenei promu ayatollah sans en avoir la caution universitaire (p.402). Le Hezbollah libanais l’aura pourtant choisi comme Guide politique et religieux, « Marja ».

L’auteur évoque la décomposition du triangle égypto-syro-irakien qui a structuré le Moyen-Orient durant des siècles (p.463) dans une spirale de conflits entre Le Caire et Riyad, Le Caire et Bagdad, Damas et Bagdad ou par procuration à Beyrouth. L’islamisation en Égypte était devenue majoritaire au début du Xe siècle (p.100). Les califes ismaéliens pratiquèrent une tolérance affichée pour le sunnisme majoritaire de la population (p.116) ; la coexistence de deux Califats au Moyen-Orient dura deux siècles (p.150). Au XIXe siècle, la mainmise occidentale sur l’Égypte s’accompagne de privilèges aux Grecs, Levantins et Maltais. La flotte britannique prend Alexandrie en 1882 (p.259). En Irak, les Britanniques construisent l’État irakien autour des anciens officiers sunnites ottomans ; l’occupation américaine de l’Irak en 2003 entraîne la guerre civile entre Chiites et Sunnites en 2006 et l’émigration des Chrétiens, des Yézidis, des Turkmènes (p.434). Un « État islamique en Irak » se constitue à Mossoul remplaçant Al Qaïda avec des vétérans de Saddam en 2014 (p.443). Il faudra trois années pour reconquérir Mossoul (p.453). En Syrie, où Ismaéliens, Druzes, Alaouites, Chiites duodécimains cohabitent avec une majorité sunnite (p.124), se retrouveront les milliers de volontaires islamiques venus des zones tribales du Pakistan, incubateur de l’extrémisme arabe (p.407). Kissinger arrange un accord israélo-syrien de facture américaine en 1973 qu’Assad respectera scrupuleusement durant 25 ans (p.385). En 2015, l’aviation russe frappe les insurgés anti-Assad tandis que les États-Unis se chargent de Daech dans l’est du pays (p.455).

             L’Arabie Saoudite investit une part substantielle de la manne pétrolière dans ses réseaux de prosélytisme international. Il faut dater du choc pétrolier de 1973 la vague fondamentaliste du Moyen-Orient (p.383). Mais en 1990, Riyad démet la confrérie islamiste de ses postes de responsabilités (p.412) ; Ben Laden expulsé d’Arabie en 1991, constitue Al Qaïda à partir du Soudan et rejoint l’Afghanistan en 1999 (p.429). Les attentats de New York de 2001 y seront planifiés (p.429). Ben Laden est tué en 2011. Riyad et Abou Dhabi redoutent la menace de l’Iran, mais aussi la percée des Frères Musulmans encouragée par la Turquie et le Qatar (p.446).

Les habitants de Palestine en 1880 se répartissent en 400.000 musulmans, 40.000 chrétiens, 25.000 juifs (p.267) ; en 1914, en 600.000 musulmans, 40.000 chrétiens, 75.000 juifs (p.268). En 1931, 20.000 chrétiens, 20.000 musulmans et 50.000 juifs habitaient à Jérusalem (p.343).

En 1947, la Palestine disparait divisée entre Israël qui s’est emparé de 77% de son territoire et la Transjordanie qui en a annexé 22%, soit Jérusalem Est et la Cisjordanie (p.354). En 1949, l’abandon du peuple palestinien sanctionne l’échec des élites arabes à défendre leurs droits nationaux, (p.356). En 1967, Israël s’empare de la Cisjordanie, de Gaza, du Sinaï, du Golan (p.376) et l’OLP mesure son tragique isolement face à des régimes arabes qui s’accordent pour neutraliser son potentiel de déstabilisation (p.379) ; les islamistes palestiniens, encouragés par Israël contre l’OLP se sont constitués en Hamas, acronyme du « Mouvement de la Résistance islamique » (p.405). Les Accords d’Abraham visent à dissocier la normalisation israélo-arabe du traitement de la question palestinienne (p.486). La France en 1623 ouvre un consulat à Jérusalem (p.220) puis une légation en 1839 (p.253). L’auteur souligne que Paris ne reconnait pas de ce fait la souveraineté d’Israël sur la vieille Ville (p.472).

Les conflits russo-turcs furent constants. Le Traité de Kutchuk-Kaïnardji en Bulgarie en 1774 accorde la Crimée à la Russie tout en reconnaissant l’autorité religieuse du Califat ottoman sur les Tatars de Crimée (p.224). A la guerre de Crimée en 1856, la Russie est battue par les Anglais et les Français (P.254). Le Grand Jeu anglo-russe se jouera dans les provinces pachtounes de la frontière indo-afghane qui deviendra le berceau d’Al Qaïda et donc le creuset du djihadisme moderne (p.262). Les contemporains des Assassins percevaient bien la nature sectaire des groupes terroristes et n’auraient jamais commis l’erreur, aujourd’hui trop répandue, de voir en eux le fruit d’une radicalisation de l’islam majoritaire (p.152).

L’auteur nous recommande de réfléchir au fait qu’Abdülhamid II avait considéré les Arméniens comme une Cinquième Colonne des visées européennes. Cette focalisation sur les ingérences étrangères aboutit à exonérer les forces moyen-orientales de leur responsabilité avérée dans les malheurs de la région (p.274). La faillite des régimes arabes et leur dépendance clientéliste envers un parrain extérieur découle plutôt de l’inaboutissement des processus de construction nationale, lié au détournement dictatorial des indépendances (p.461). Ces autocrates ont plus à partager avec la Russie de Poutine (p.459) ou la Chine de Xi Jinping qu’avec un État démocratique (p.480).

Chaque chapitre est suivi d’une chronologie indicative et d’une courte bibliographie (p.12). L’Index des noms de personnes (p.493) et des toponymes (507), un dossier central de cartes présentées chronologiquement, font de cet ouvrage, un manuel très pratique pour étudiants et chercheurs, mais invitant aussi à relativiser tout ce que l’on croyait connaitre du Moyen-Orient.