Un jésuite anthropologue au lac Iro, Tchad : l'anthropologie visuelle de Claude Pairault ...

Recension rédigée par Paul Coulon


Le jeune professeur qu’était alors l’auteur de cette recension se souvient avec une réelle émotion qu’au début des années 1970, pour ses cours et sessions donnés à des jeunes se préparant à partir en coopération en Afrique, il se servait notamment des travaux de Claude Pairault (1923-2002) : non seulement de ce chef-d’œuvre de thèse qu’était Boum-le-Grand, village d’Iro (Paris, 1966, Institut d’ethnologie, collection « Travaux et mémoires » n° LXXIII, 470 p., 120 photographies, cartes), mais également du film 16 mm (38 minutes) Bienvenue à Boum Kabir, réalisé à partir de ses longs séjours dans ce village du sud Tchad depuis 1958. Le fait que Claude Pairault fut à la fois jésuite (depuis 1940) et anthropologue donnait à son approche une profondeur particulière, rejoignant à son tour tous ces jésuites explorateurs, linguistes, savants de toute sorte qui accompagnent toute l’histoire de la Compagnie de Jésus.

Après le Tchad initiatique, Claude Pairault devait passer une grande partie de sa vie en Afrique comme professeur des Universités (Abidjan, Ouagadougou, Bamako) avant de passer six ans à l’Université de Tours. Après sa retraite universitaire en 1990, il retourne une année au Tchad sur le terrain de ses premières recherches et en ramène l’ouvrage Retour au pays d’Iro. Chronique d’un village tchadien (Paris, Karthala, 1994, 293 p.) qui comporte une soixantaine de photographies.

Claude Pairault était donc un homme qui, à la suite d’un Jean Rouch, explorait une culture non seulement par les écrits de ses carnets mais par l’œil attentif de son appareil photo et de sa caméra : jamais pourtant il n’apparaît lui-même sur ces photos ou dans le film… D’où la surprise de Rabia Bekkar - qui a été son étudiante à l’Université de Tours et qui est aujourd’hui chercheure à l’Institut de Recherche pour le Développement, membre de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris - lorsqu’elle a découvert à N’Djamena plusieurs cantines métalliques remplies de photographies de Claude Pairault, toutes classées, annotées, en couleur, en noir et blanc, sur lesquelles on le voyait lui aussi à l’œuvre sur le terrain.

À partir de cette richesse iconographique jusque-là non exploitée, Rabia Bekkar a tiré le magnifique et savant ouvrage ici présenté, qui met sous nos yeux un véritable portrait de Claude Pairault, sa méthode de travail et la qualité de son regard sur les personnes, et cela à partir de dizaines de photographies, de dessins, de croquis… Rigueur du jésuite et finesse de l’ethnologue, dit la quatrième de couverture avec raison. Ouvrage magnifique, au sujet duquel je n’exprimerai qu’un regret : certes, les légendes des photos sont données, mais à part, et comme celles-ci ne sont pas numérotées, on a quelque mal à se repérer sur des pages photos remplies à ras bord…

Mais quel festin pour l’œil et pour l’esprit !