Grands marins : de Cartier à Charcot, la saga des explorateurs français

Recension rédigée par Yves Boulvert


En vue de présenter la part prise par les marins français dans les explorations au cours du dernier demi-millénaire, les trois auteurs spécialisés, F. Bellec, J. M. Demetz et D. Le Brun, ont retenu sept « grands marins » dont la notoriété a évolué, mais qui ont participé à la connaissance de notre globe et de ses habitants, lesquels s’ignoraient souvent les uns les autres et ont encore beaucoup de mal à se comprendre.

            Les navigateurs de l’Antiquité s’éloignaient rarement de la Méditerranée. Il fallut attendre le XVIe siècle pour que les Portugais, suivis des Espagnols, se lancent dans l’Atlantique. Les Français furent retardés par la guerre de Cent ans puis par les guerres de Religion. Ce n’est qu’en 1534 que Jacques Cartier (1491-1557) put évoquer l’émotion des premiers contacts avec les Amérindiens. Samuel Champlain (vers 1575-1635) observa la cruauté « des Sauvages ». Sans faire couler le sang, il jeta les bases d’une civilisation originale sur les rives du Saint-Laurent canadien.

            Le XVIIe siècle est le siècle des marchands et de la création des « Grandes Compagnies ». Au XVIIIe siècle, la marine française périclite : Indes et Canada doivent être abandonnés aux Anglais. Louis Antoine de Bougainville (1729-1811), mathématicien, ethnologue et militaire brillant, devint marin par opportunité en transportant à ses frais aux Malouines, dans l’Atlantique sud, des Acadiens, chassés du Canada. Lors de son retour rapide, il accomplit le premier tour du monde français. Un seul souvenir fut marquant : son escale en avril 1768 à Tahiti. Elle suffira à créer le mythe de la « Nouvelle Cythère » qui fera rêver les philosophes et les « beaux esprits » du « siècle des Lumières ». Poussé par le besoin d’avitaillement, il ne fera pas d’autres reconnaissances, même en nouvelle Guinée !

Jean-François de Galaup de Lapérouse (1741-1788) combattit les Anglais dans l’Océan Indien, la mer des Caraïbes et même, lors d’un raid risqué dans la baie d’Hudson, dans le nord canadien. Passionné de la mer, Louis XVI relança la marine nationale et soutint l’Indépendance américaine. Il souhaita, sans la moindre consultation de Bougainville, reprendre l’exploration du Pacifique interrompue par le tragique décès de James Cook en 1779. De 1786 à 1788, Jean-François de Lapérouse sillonne l’immensité de l’océan, avant que sa flotte ne se fracasse lors d’une tempête nocturne sur le récif corallien de Vanikoro. Après 40 ans de vaines recherches, les épaves ont été retrouvées mais le mystère subsiste sur ce que devinrent les survivants. Lapérouse aurait pu prendre possession d’îles comme Hawaï, mais il ne voulait pas priver les indigènes de la liberté de leur mode de vie, tandis que les Britanniques occupaient l’Australie.

Jules Dumont d’Urville (1790-1842) travaillait à la cartographie et à la « Flore du Pont Euxin » quand il comprit l’importance de la Vénus de Milo, récemment exhumée. De même, c’est de son « Tour du Monde » (1822-1825) qu’est extraite la « Flore des Malouines ». En 1835, il publia sa relation de voyage (1826-1827) dans le Pacifique (y compris Vanikoro), en 17 volumes, dont 4 Atlas. Envoyé vers l’Antarctique en 1837, il découvrit en janvier 1840, une terre qu’il baptisa Adélie, par égard pour le prénom de son épouse Adèle. Cette dernière a connu la vie difficile des épouses de marins au long cours qui partaient pour deux ou trois ans. Les femmes se retrouvaient enceintes, devaient accoucher seules et, trop souvent, perdaient leurs bébés. Le sort des marins n’était pas plus enviable du fait des aléas climatiques, de la nourriture avariée et des carences entraînant le scorbut, des empoisonnements dus à la consommation de conserves toxiques notamment à cause du plomb (saturnisme). Se rendant enfin aux « Grandes Eaux de Versailles », toute la famille périt lors du premier grand accident ferroviaire à Meudon, le 8 mai 1842.

D’origine modeste, Joseph René Bellot (1826-1853) sort diplômé de l’École Navale. La Marine vit sa transition de la voile à la vapeur. Il lui faut installer des bases de ravitaillement en combustible à Mayotte, Wallis, Tahiti, Marquises, Gambier, et bientôt Nouvelle Calédonie. Les Anglais recherchent toujours une voie arctique vers le Nord-Ouest canadien. Ainsi, en 1850, on restait sans nouvelles depuis cinq ans de l’expédition de Sir John Franklin (1845-1848). Curieusement, c’est le tracé de l’expédition de ce dernier qui est représenté sur la carte page 309 et non celui de l’expédition de secours (1851-1853) pour laquelle s’engagea et périt Joseph Bellot !

Jean-Baptiste Charcot (1867-1936) était le fils du célèbre neuropsychiatre, Jean-Martin Charcot (1825-1893) qui exigea que son fils fasse des études de médecine. Ce n’est qu’après le décès de son père que Jean-Baptiste Charcot put, grâce à sa fortune, assouvir sa vocation maritime sur le « Pourquoi pas ? », d’abord comme yachtman, puis en conduisant deux hivernages (en 1904-1905 et 1908-1910) dans les îles antarctiques, menant de pair cartographie et relevés scientifiques. Dans les années 30, il s’intéressa aux mers arctiques, entre Spitzberg, Groenland et Islande, avant de périr dans une tempête le 10 septembre 1936, sur des récifs proches de Reykjavik. La relève scientifique sera assurée par les expéditions polaires françaises.

De lecture aisée, cet ouvrage est accompagné de sept cartes, mais aussi d’une chronologie, d’une bibliographie et de deux index. Il met en évidence l’épopée de la marine française partie à la découverte de terres inconnues. Ces sept figures de « Grands Marins » animés par l’esprit d’aventure et la curiosité des terres et des peuples, laissent en filigrane deviner la vie rude des équipages, et, au-delà de l’isolement et des dangers, leur volonté de contribuer à la grandeur de leur pays.