Choucha : la perle du Caucase : grand reportage

Recension rédigée par Christian Lochon


Le journaliste Jean-Michel Brun, avec la collaboration du Pr Elchin Ahmedov de l’Université de Bakou, consacre son livre au soutien de la reconquête récente de la région du Karabakht (en arménien Artsakh) par les Azéris, disputée depuis des siècles aux Arméniens comme une Alsace-Lorraine caucasienne. Il faudrait cependant comparer cette version des évènements avec ce que l’auteur arménien Michel Petrossian décrit dans son Chant d’Artsakh, Vevey, Editions de l’Aire 2021.

Le Karabakht (en turc : « Jardin noir ou grand et fertile ») est une région de l’Albanie du Caucase qui correspond à l’actuel Azerbaïdjan du IVe s. avant J.C. jusqu’au VIIIe s. après J.C. (p.15). Chrétiens dès le IVe s., les Albanais du Caucase se convertissent à l’islam au VIIe s. Ceux qui restent chrétiens se répartissent en Géorgiens et Arméniens soumis à l’occupation persane. Les Iraniens autorisent le Tatar Panahali Khan à fonder le khanat du Karabakht en 1747 (p.15). En 1805, les Russes envahissent le Caucase mais reconnaissent l’indépendance du Karabakht (p.19), dont Choucha est la capitale depuis 1752 (p.15). Au XVIIIe s., Choucha devient le centre de tissage de tapis de la région. On y trouve 1500 métiers à tisser et 2.000 artisans (p.45) ainsi qu’un centre d’orfèvrerie réputé dans toute l’Asie Centrale (p.52). Cette ville culturelle au XIXe siècle était appelée « le Petit Paris » (p.25). Son École de musique était célèbre. Alexandre Dumas dans son Voyage au Caucase (p.23 et 44) raconte sa rencontre à Bakou avec la Princesse Natavan de Choucha, femme de lettres francophone. En 1993, 549 bâtiments historiques (p.27) comme le Caravansérail sur la Place Maydan avaient été répertoriés. En 2022, Choucha a été déclarée « Capitale de la culture de l’Azerbaïdjan » (p.74).

Au début du XIXe siècle, les Russes expulsent les Iraniens d’Arménie et du reste du Caucase, ce qui conduit de nombreux Arméniens exilés en Iran à revenir en Arménie. En 1845, le Gouverneur russe du Caucase à Tiflis (Tbilissi) publie Le Calendrier du Caucase qui donne les chiffres de la population du Caucase : « La tribu la plus nombreuse est musulmane, composée de 675.000 Tatars-Turcs, puis les Géorgiens 490.000, et enfin les Arméniens environ 200.000 » (p.79). En 1918, l’Arménie et l’Azerbaïdjan deviennent provisoirement indépendants avant d’être réannexés par les Soviets qui pratiqueront la politique du « diviser pour régner ». En 1920, Moscou offre à l’Arménie le district de Nakhitchevan afin d’empêcher les contacts entre l’Azerbaïdjan et la Turquie et de permettre de ce fait un rapprochement irano-arménien. Puis les Bolcheviks créent une enclave autonome pour les 100.000 Arméniens du Karabakht en 1923 ; cette région était alors peuplée à 70% d’Arméniens, 22% d’Azéris et 8% d’ethnies diverses. En 1987, l’URSS laisse les mains libres à l’Arménie pour expulser les Azéris, puis suite à l’effondrement de l’URSS, l’Arménie occupe le Karabakht (p.75).

En 1987, l’Arménie expulse les 250.000 Azéris vivant sur son territoire. Le 27 septembre 2020 (p.12 et 156), l’armée azerbaïdjanaise réoccupe le Haut Karabakh, située à l’intérieur de l’Azerbaïdjan.

L’auteur rappelle des éléments de coexistence entre les deux peuples en citant le témoignage de Yusif Vazir, écrivain né en 1887 « Les Arméniens étaient tailleurs, maîtres de pierre, charpentiers ; ils travaillaient chez les Azéris. J’ai souvent vu des Azéris faire des vœux dans la cour de l’église et des Arméniens offrir des bougies aux lieux sacrés musulmans » (p.40). Les deux communautés avaient adopté la même musique traditionnelle instrumentale, le mugham, de l’arabe maqam, genre musical savant qui accorde une place importante à l’improvisation (p.65) et associe le chant à un luth à 11 cordes, târ, à une vielle à quatre cordes, kamantcha et à de grands tambours, qaval. Le mugham a été classé en 2005 « chef-d’œuvre du Patrimoine oral et immatériel de l’humanité » par l’UNESCO (p.67). L’ouvrage décrit également l’architecture locale caractéristique des 549 bâtiments historiques (p.27) répertoriés en 1993 comme le Caravansérail sur la Place Maydan.

C’est dans ce contexte qu’il faut évoquer cette réflexion de Michel Pétrossian du 5 octobre 2020 dans son livre cité plus haut : « Le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie est une véritable poudrière. La passivité du monde signe à cet égard une inconscience que l’opinion publique atone renforce » (p.17).

Choucha n’est pas la seule ville évocatrice de culture et qui soit menacée par la folie des hommes !