Le désinformateur : sur les traces de Messaoud Djebari, Algérien ...

Recension rédigée par Christian Lochon


L’auteur, maître de conférences en histoire de la France à l’Université de Cambridge a découvert son antihéros M.Djebari en préparant sa thèse. Ce fut peut-être pour lui un délassement puisqu’il en plaisante avec le lecteur : « J’ai rencontré Messaoud Djebari en mai 2014 à la Courneuve. J’avais pris le RER pour me rendre aux archives diplomatiques, un bâtiment gigantesque planté comme une forteresse en banlieue parisienne. J’avais passé mon sac à travers le détecteur de métaux, laissé ma carte d’identité à l’accueil et pris un badge visiteur… J’étais là pour ma thèse qui portait sur le rapport des Algériens au monde sous la colonisation » (p.18).

Djebari désinformateur ? L’auteur étudie trois affaires qui se passent à Tunis, à Paris, à Bruxelles et qui vont l’en convaincre. La première repose « sur un document incroyable. Le rapport détaillé sur la réunion d’une société secrète qui s’est réunie le 29 janvier1881 en Algérie et a décidé d’envoyer un des membres se renseigner sur l’état dans lequel se trouve la Tunisie ». C’est le Consul de France à Tunis (p.18) qui transmet au Quai d’Orsay ce compte-rendu, obtenu par l’émissaire de cette organisation en Tunisie, Messaoud Djebari (p.26) dans une période critique puisque le12 mai1881, les troupes françaises imposeront un protectorat à la Tunisie. Ce Djebari est un ancien élève de la medersa bilingue de Constantine qui a été instituteur adjoint, chef de gare, est venu à Paris adresser des pétitions à Clemenceau, à Guichard (p.37).

La deuxième affaire est ainsi décrite : « Djebari a frappé chez moi en pleine nuit. J’étais au lit avec mon ordinateur. Je découvre un nouveau Djebari (p.50). Un entrefilet de La Petite Tunisie du 7 février 1894 le décrit ainsi : « Djebari nous revient du centre de l’Afrique après avoir passé seize mois seul au milieu de ces peuplade africaines la plupart cannibales ». Les archives de la Société Géographique de Paris possèdent un dossier relatif au voyage d’un Nigérian Ahmed el Fellati, qui partant de Kano rejoint Tunis. Là il rencontre le commandant Francis Rebillet qui cherche à pénétrer le « Soudan », en fait le Niger et le Tchad. La Société de Géographie donnant une caution scientifique, Rebillet qui a apprécié Fellati lui adjoint un de ses interprètes algériens Messaoud Djebari (p.57). En fait Djebari et Fellati se fâcheront et se quitteront. Djebari serait arrivé au Nigeria puis aurait pénétré au Dahomey ; on le perd de vue un certain temps (p.70). Il évoquera des endroits qu’il n’a manifestement pas vus comme le Nord du Ghana. Revenu à Tunis et en quête de reconnaissance médiatique (p.92), Djebari utilise la notoriété de sa belle-famille tunisoise pour donner à l’Institut de Carthage une conférence où il assure qu’il a rencontré des survivants de la Mission Flatters, disparue en février 1881 dans le Hoggar, et qui seraient encore prisonniers des Touaregs. La presse américaine et arabe locale diffuse l’information. Djebari, renvoyé de l’armée en mai 1895 pour motif de discipline, publie alors Les Survivants de la Mission Flatters (p.101). Le quotidien parisien Le Journal lance une campagne pour « la délivrance des captifs » et organise pour Djebari une conférence au Grand Hôtel de Paris le 20 septembre 1995 où « il provoque la passion et entretient le doute » (p.113). A Toulouse, La Dépêche du Midi invite Djebari à la Faculté des Lettres devant une salle comble. Devant le public métropolitain, « où la passion et l’irrationnel se retrouvent dans les deux camps » (p.120) la polémique s’estompe sans révélation choc et sans projet d’expédition pour retrouver les rescapés.

La trace de Djebari disparaît un certain temps. Il réapparaît en 1896 à Bruxelles, s‘étant emparé d’une nouvelle affaire de disparu retrouvé ; il s’agit du Marquis de Morès, qui avait été un fondateur de la Ligue Nationale Antisémitique, s’était installé en Algérie en 1994 (p.172). En 1896, espérant obtenir l’alliance pour la France de la puissante confrérie senoussie de Libye, il se rend dans le Sud tunisien, où il est assassiné par ses guides touaregs. Djebari affirme donc que Morès n’est pas mort. C’est l’affaire de trop et la presse le traite de menteur. Il disparaîtra par la suite.

M.Asseraf essaie de comprendre les motivations de ce personnage. Il serait un produit de la déstructuration de la société algérienne face à la colonisation (p.39). En tant que lecteur bilingue, Djebari est dans une position privilégiée. Il a accès à la presse francophone (p.40). C’est ainsi que ce spahi devient interprète militaire et est naturalisé avant son expédition au Dahomey (p.143). Entre1870 et 1919, les militaires formaient 27% des naturalisés algériens (p.151). L’auteur développe deux traits du caractère de Djebari. Son racisme qui décrit les Noirs comme des êtres inférieurs est celui des sociétés maghrébines avant la colonisation. C’est en arabe que naît le toponyme Bilad es-Soudan, Pays des Noirs. En arabe on utilise le terme abd esclave pour désigner un Africain (p.78).

M. Asseraf s’interroge aussi sur la répétition de ses affabulations, sur la complexité de sa stratégie politique et de son rapport à la vérité (p.175). Il estime que « Djebari cherche à émanciper les musulmans, à obtenir une forme d’égalité sociale ; il adapte la pensée républicaine française aux conditions sociales en Algérie » (p.194).

L’auteur compare l’origine de sa famille juive algérienne naturalisée par le Décret Crémieux (p.208) avec celle de Djebari « issue d’une famille pauvre dans un monde où il peine à trouver une reconnaissance sociale » (p.209).

Peut-être ce livre peut se résumer à cette apparente conclusion de l’auteur : « Appréhender Djebari m’a fait comprendre le rapport des musulmans et des juifs algériens à l’État français » (p.214).