Le roi Farouk : un destin foudroyé

Recension rédigée par Christian Lochon


 

Le précédent ouvrage de Madame Caroline Kurhan écrit en collaboration avec son mari, Monsieur Ali Kurhan, intitulé Une saga égyptienne (éd. Riveneuve, 2010), avait été analysé dans ces colonnes et décrivait également la dynastie fondée par Mohamed Ali, fonctionnaire de l'Empire ottoman, devenu gouverneur d'Égypte, quasi-indépendant de la Sublime Porte.

L'auteure, après avoir rappelé brièvement les principaux événements qui se sont déroulés sous les successeurs de Mohamed Ali, dirigeant l'Égypte comme Pacha à titre héréditaire, Khédive (le plus haut titre dévolu aux hauts fonctionnaires ottomans), Sultan puis Roi (en 1922), décrit les règnes du roi Fouad (1917-1936) et de son fils Farouk
(1937-1952).

Cette famille régnante se partagea en deux branches rivales, les Halim et les
Ismaïl ; Mohamed Ali désigna pour lui succéder Ibrahim, considéré comme son fils aîné mais les autres membres de la famille affirmèrent que ce dernier avait été adopté et firent de son successeur Abbas, autre fils de Mohamed Ali, l'héritier légitime ; les descendants de ces deux branches alterneront au pouvoir qui était dévolu au prince le plus âgé (comme en Arabie saoudite aujourd'hui).

Fouad Ier, né en 1868, était le fils du Khédive Ismaïl, déposé pour avoir conduit son pays à la banqueroute, et avait succédé à son frère Sultan Hussein. Fouad avait souhaité devenir roi d'Albanie lorsque le pays devint indépendant de l'Empire ottoman en 1913, arguant que Mohamed Ali était lui-même albanais ; ce que conteste l'auteur qui le décrit comme anatolien. En 1924, à la suppression du califat par Atatûrk, il convoqua un Congrès au Caire pour se faire élire Calife mais sans succès. C’était un homme très cultivé, d'abord formé à l'Académie militaire de Tunis puis à Turin  et qui se consacra à l'arabisation des structures culturelles et d'enseignement ; il fonda l'Université du Caire, créa les Archives nationales, suivant les consignes de son père Ismaïl qui avait imposé l'arabe comme langue de la correspondance de l’État, fondé le Musée égyptien (1868), le Musée de l'Art arabe (1870), la Bibliothèque Khédiviale (1870), Fouad eut à lutter contre les diktats britanniques qui maintenaient l’Égypte sous la tutelle de Londres. Son fils Farouk hérita de ces difficultés.

Farouk, né en 1920, était inscrit à l'Académie militaire de Woolich, lorsqu'il fut rappelé en hâte au décès de son père. Trop vite roi à 17 ans, trop vite détrôné à 37 ans, trop vite décédé, à 45 ans, Farouk a été très critiqué et a naturellement souffert de la propagande nassérienne qui accusa la dynastie de Mohamed Ali d'être restée étrangère à la nation égyptienne. L'auteure, elle-même européenne mariée à un membre de la famille royale, tente de réhabiliter le monarque, qui, en montant si jeune sur le trône, avait bénéficié d'une très grande popularité ; souverain très pieux et nationaliste convaincu, il lutta contre l'hégémonie anglaise et essaya d'imposer ses vues au puissant parti Wafd, dont les dirigeants connus pour défendre leurs propres intérêts allaient nuire au Régime. En 1942, un régiment anglais fait irruption dans le Palais Abdine, menace le souverain de le faire abdiquer s'il ne nomme pas Nahas Pacha, leur créature, comme Premier ministre ; un an plus tard, Farouk, qui aimait piloter des voitures de sport, a un accident sur la corniche d'Alexandrie et est transporté dans l'hôpital militaire anglais. Madame Kurhan rapproche cet « attentat » présumé de l'accident d'auto où se tua le roi Ghazi d'Irak en 1939, et dont on avait déjà accusé l'occupant britannique de l'avoir provoqué. Lorsqu'il regagne, le Palais, les familiers découvrent que le monarque a changé physiquement ; il devient obèse (il pèse à 30 ans, 130 kilos), taciturne alors qu'il était de caractère enjoué ; « il paraît souffrir de séquelles, non diagnostiquées à l'époque, qui seront à l'origine de sa déchéance »(page 168). Il divorcera de la Reine Farida, qui était très populaire ; sa deuxième épouse Narriman lui donnera un fils, le prince Ahmed Fouad ; son entourage immédiat est composé de courtisans médiocres et d'aventuriers étrangers qui le discréditent. L'incendie du Caire, le 26 janvier 1952, que l'auteure attribue à Nasser entraînera sa chute et son exil. Il mourra dans un restaurant romain, l'Isle de France. Son corps rapatrié sera inhumé finalement à la Mosquée Rifaï du Caire comme ses prédécesseurs

Un trop grand nombre de fautes typographiques ( ?) émaille le texte comme « en définitif »(pages 20, 75), orthographiques comme « Lybie », page 138, « au vue la situation militaire » (page 149), »il sépare de la Reine » (page 203), « quelque soit le niveau » (page 214) ; on trouve également « ces années 1943 » (page 161) ou « bourdes politiques » (page 214) ; une deuxième édition exigerait une relecture plus attentive.

Dans la bibliographie, qui comporte 54 auteurs pour 58 livres (page 223), il est surprenant de ne pas trouver les publications de notre éminent confrère Jean-Jacques Luthi, spécialiste de l’Égypte de cette période et dont nous avions recensé ici même les ouvrages particulièrement documentés, La vie quotidienne en Égypte au temps des Khédives (L'Harmattan 1997), Égypte et Égyptiens au temps des vice-rois (L'Harmattan 2004), Lire la presse d'expression française en Égypte (l'Harmattan, 2009).

Il faut toutefois reconnaître à Madame Kurhan d'avoir consacré une approche différente au règne du roi Farouk, peu épargné jusqu'à maintenant par les chroniqueurs et les historiens.