Mahomet : le lecteur divin

Auteur Olivier Hanne
Editeur Belin
Date 2013
Pages 269 p.-[16] p. de pl. en co
Sujets Mahomet
prophète de l'Islam

057.-0632
Biographies
Cote 59.438
Recension rédigée par Christian Lochon


 Cet ouvrage tranche sur les biographies précédentes du Prophète de l'islam puisque les historiens ne disposent d'aucun document écrit du temps de la vie de Mahomet (670-732), à part les allusions personnelles interprétées dans le Coran. C'est seulement deux siècles après sa mort que la Sira ou Vie du Prophète sera rédigée sous la forme d'une pure hagiographie, reprise au cours des siècles en Orient comme en Occident. Il convient donc, pour les lecteurs d'aujourd'hui d'appliquer les méthodes modernes de la recherche historique. C'est ce qu'a fait Monsieur Hanne, chercheur à l'Université d'Aix-Marseille et spécialiste des relations médiévales entre le monde musulman et l'Occident chrétien. On saura gré à l'auteur d'avoir également, en rappelant les grands traits de la carrière de ce Chef de guerre, Chef d’État et Prophète, analysé les doctrines qu'on lui prête, en matière religieuse, sociétale et même militaire

La première Sira a été compilée par le Médinois Ibn Ishaq (m. en 767), sans indication de sources, comme ont été compilés les hadiths (dits attribués à Mahomet ou à ses proches) par Boukhari et Muslim (m. en 875) ; ces œuvres ont été reprises par Tabari (m. en 922) dans son Histoire du Prophète et des Rois. Ce qui apparaît d'abord dans ces prétendues biographies, c'est l'environnement du Hijaz arabe, où des tribus de chameliers proto-arabes sont mentionnées dès 853 avant J.C. Le sanctuaire de la Mecque (« Makaraba » aurait ce sens) est attesté au IIe siècle, ainsi qu'un commerce d'encens (qui venait du Hadramaout au Yémen oriental), de perles et de soies ; au VIe siècle, cuir, armes et blé seront échangés. En 540, la digue de Mareb (Yémen) se rompt et des élites abyssines vont gouverner la région. En 606, le passage de la comète de Haley avait effrayé les populations locales. Mahomet devra tenir compte des croyances locales des Mekkois dans les déesses protectrices, Allat qui était statufiée, Manat, représentée par un bétyle (pierre d'adoration qu'on retrouve à Pétra), Al Ozza, habitant un arbre sacré ; les trois apparaîtront dans le Coran dans les « versets sataniques » (LIII 19-20). La Kaaba et la source de Zemzem seront également islamisées en attribuant la construction de l'une et le forage de l'autre à Abraham et à Ismaël, fils de Hagar. Le principe du pèlerinage et les sacrifices au Mont Arafat seront empruntés aussi à la période préislamique. Le rejet de l'idolâtrie n'apparaîtra que dans la substitution du calendrier lunaire au solaire.

Né à La Mecque d'une famille respectable mais pauvre de la tribu des Qoraïchites, dominant la ville, Mahomet se maria à Khadidja, femme d'affaires de 15 ans plus âgée, qui dirigeait une entreprise caravanière et qui était d'une famille nazaréenne (chrétienne proche du judaïsme). En 610, la révélation du Coran survient et le nouveau Prophète sera persécuté par les membres de sa tribu ; il devra se réfugier à Yathrib, devenue « Médine » après avoir vécu une « hijra » ou retraite dans une grotte du désert, à la manière de Moïse puis de Jésus.de 619 à 622. À Médine, soutenu par les tribus locales et ses partisans mecquois peu nombreux, les Ansar, il dirigera des expéditions guerrières contre les tribus juives de l'oasis qui contestaient son pouvoir et contre ses ennemis de La Mecque eux-mêmes. Un an avant sa mort, il reviendra à sa ville de naissance ayant réussi à imposer la nouvelle religion. En fait, c'est par le décryptage des versets dits conjoncturels que l'on va suivre les péripéties de son combat pour s'imposer aux siens et à ses ennemis. La sourate XXXXVII intitulée « Mohamed » cite son nom au verset 2 ; deux autres versets mentionnent Mohamed comme « messager d'Allah » (III 144 ; XXIII 40) ; sinon, il se présente comme « un être humain comme vous » (XVIII 110) ; son exil forcé à Médine est rapporté (VIII 30 ; IX 40 ; LX 1); ses ennemis dans cette ville sont évoqués (IV 78) et son opposant principal à La Mecque voué aux gémonies (CXI 1). C'est au cours de ses batailles contre les Juifs que le « jihad » sous sa forme de « guerre sainte » sera légitimé (une grande partie de la sourate IX) de même que le partage du butin des caravanes sera codifié et repris dans la future Charia (VIII 1 et 41).

Le Coran aura été révélé par la bouche de Mahomet (« tanzil ») et en langue arabe afin qu'il soit explicite (XII 12 et XVI 103) ; les premières sourates sont courtes, celles de Médine beaucoup plus longues. Monsieur Hanne souligne que les écrits étaient rares à l'époque et utilisés surtout pour la comptabilité ou les contrats tandis que les longs poèmes étaient appris par cœur. Aussi, ce fut une sorte de révolution que de retranscrire le texte coranique qui avait été mémorisé puis reproduit par plusieurs scribes sur des matériaux divers. À partir de ces extraits, deux siècles plus tard, les juristes de Bagdad développèrent le droit islamique en s'affranchissant souvent du Coran. L'apostasie n'est pas mentionnée dans le Coran, le voile des femmes, qui fut, dit-on, imposé par Omar, ne concernait que les épouses du Prophète. La polygamie était rare chez les Bédouins dont les mœurs étaient très libres ; elle fut recommandée et codifiée à cause des guerres devenues meurtrières au moment des conquêtes et pour empêcher les veuves de tomber dans la prostitution. Il ne semble pas que Mahomet ait conçu une vision universaliste de la communauté musulmane ; d'ailleurs il n'envoya qu'à la fin de sa vie une expédition en Palestine contre les Byzantins et qui fut un échec ; l'expansion viendra plus tard. Le terme de « Musulmans » (« Muslimun ») ne sera retenu qu'au VIIIe siècle, lorsqu' Iraniens ou Byzantins se convertirent, car auparavant les seuls Musulmans n'étaient qu'arabes.

La culture juive est très présente dans le Coran ; l'expression « Rab el Alamin » (le Seigneur des deux mondes) est un calque de l'hébreu « Rabun ha olamin ». C'est que l'immigration juive dans le Hijaz commença en 70 après la destruction du temple de Jérusalem. Le Coran s'est approprié Adam, Abraham, la circoncision, le jeûne. Les sourates médinoises sont la réinterprétation de textes apocryphes juifs, de psaumes qui leur donnent cet effet incantatoire. C'est la lutte que dut mener Mahomet contre des tribus juives hostiles qui suscita tant de versets vengeurs, qui n'étaient que conjoncturels, mais la Charia les pérennisa. Quant aux Chrétiens, ils étaient moins nombreux dans le Hijaz ; ceux du Najran (province enlevée au Yémen dans les années 1930) qui étaient nestoriens et donc refusaient la divinité de Jésus, suscitèrent des versets bienveillants (V, 69) ; la description coranique du paradis est identique à celle des hymnes de Saint-Ephrem (m. en 373). Il semble que les rédacteurs de la Sunna étaient des convertis syriens, irakiens, perses imprégnés de culture biblique. C'est seulement au retour de l'expédition malheureuse en Palestine que des versets discriminatoires pourfendirent aussi les chrétiens (V 81, qui est la dernière sourate révélée ou IX 5), lesquels seront malheureusement repris dans la législation appliquée aux « dhimmis », les non-musulmans, soumis à des impôts spéciaux et souvent victimes d'exactions, voire de pogroms.

Le lecteur aura plaisir à voir les belles illustrations et les cartes régionales entre les pages 128 et 129 ; il consultera avec intérêt la chronologie « traditionnelle » sur le sujet, pages 255 et 256 ; la bibliographie présente 70 auteurs classiques et récents de 81 ouvrages pages 265 à 270. Les biographies traditionnelles étaient pour la plupart anhistoriques et hagiographiques ; il n'en est plus ainsi aujourd'hui et cet ouvrage est résolument historico-critique et donc particulièrement révélateur de l'instrumentalisation par des groupes radicaux actuels de versets dont le contenu n'était pas destiné à avoir une valeur éternelle ; les Mutazilites, au IXe siècle, à Bagdad, soutenus par quatre Califes ,avaient suggéré le concept de création du Coran dont certains passages pouvaient être déclarés caducs et réfutant celui d' in création qui allait rendre l'ensemble du texte irréfutable.