Islam and social change in French West Africa : history of an emancipatory community

Recension rédigée par Josette Rivallain


Pour pouvoir mener à bien ce travail, l’auteur a consulté de nombreux dossiers d’archives en France, au Sénégal, au Mali et en Côte d’Ivoire, mené des enquêtes dans ces différents pays africains où séjournèrent les héros qu’il étudiait, auprès des survivants et des acteurs des évènements de la fin des années 1920 au Sénégal.

Ce livre présente l’étude d’une forme d’insoumission de communautés relevant de l’islam au sein du système colonial, sans pour autant s’en séparer et entretenant de bonnes relations avec lui. L’un des événements marquants se produisit le 15 février 1930, en plein ramadan, à Kaédi, en Mauritanie. Deux hommes réclamaient des changements sociaux et scolaires : Mamadou Sadio et Dieydi Diagana, l’un était fils d’un responsable lettré de l’école islamique, l’autre le chef du village appointé par les français à Gartaga, enclave soninké de Kaédi. Depuis 1929, autour d’un nouveau venu, Yacouba, naquirent des tensions entre croyants et représentants locaux de l’Empire français. Ces mouvements concernaient quelques marchands et des lettrés, certains étant des esclaves ou d’anciens esclaves, et beaucoup étaient pauvres. Yacouba prônait des changements dans le domaine social et de l’école : les Soninké de Kaédi lui prêtèrent une oreille attentive. En décembre 1029, cet homme fut arrêté et déporté en côte d’Ivoire, à Sassandra ; mais ses idées firent leur chemin sur place. En janvier 1930, des conflits opposèrent 600 de ses supporters aux autres habitants de Kaédi ; ces hommes furent violemment attaqués et leur maisons brûlées.

Le 15 février 1930, le meneur, Mamadou Sadio, clamant qu’il agissait au nom de Yacouba, lança un mouvement contre les bâtiments administratifs français. La manifestation fit plusieurs morts, plusieurs furent emprisonnés, exilés aux quatre coins de l’Empire français ouest africain. Le groupe resta soudé autour de Yacouba, malgré la détention. Peu à peu ces hommes furent relâchés et formèrent une communauté solide, se tournant vers les activités de transport, de commerce et de plantation. De son côté, Yacouba devint proche de nouveaux leaders politiques tels qu’Houphouët Boigny, ou de grands intellectuels comme Amadou Hampâté Bâ. Autour d’eux tous se faisaient jour de nouvelles idées d’organisation entrepreunariales et de la mise en place de gouvernements autonomes. Yacouba fut une grande figure en Côte d’Ivoire et au Mali notamment des années 1960 à 1980. Il disparut en 1988, laissant derrière lui une véritable communauté dans laquelle ses fils disposaient d’une autorité importante, à la fois religieuse et politique. Leur action dépassa les frontières du Mali et de la Côte d’Ivoire, jouant un rôle dans la diaspora des musulmans de l’Afrique francophone.

Cette dynamique reste peu connue alors qu’elle ouvre de nouvelles voies et offre de nouveaux dynamismes aux sociétés ouest africaines. Ce dynamisme a existé tout au long de la période coloniale et l’a même précédé, mais les administrateurs coloniaux se sont focalisés sur d’autres objectifs. Les descendants de Yacouba développèrent une approche mystique, promouvant une république islamique.

Ce livre cherche à retracer les origines et le développement de la communauté Yacouba à travers la période coloniale et jusqu’à nos jours, ainsi que l’histoire de ses dirigeants et de leurs supporters. L’auteur est persuadé que leurs racines plongent dans les éléments du commerce transsaharien de l’esclave des XVIIe et XVIIIe siècles, en phase avec les travaux des Sufi établis par Sidi-al-Lukhtar-al-Kunti au XVIIIe siècle, ainsi que dans les violentes réformes suivies des crises intellectuelles que la conquête impériale a exacerbé. De tout cela sont nées de nouvelles pratiques religieuses et une autre politique culturelle post-coloniale.

Ce sont ces longs cheminements que Sean Hanretta développe en trois parties avec une approche totalement différente de celle suivie par l’histoire coloniale classique. La communauté yacoubiste entretint de bonnes relations avec les pouvoirs en place, mais n’en constitua pas moins un exemple d’insoumission cohérente au pouvoir politique, dans une logique voisine de celle étudiée par Jean Boulègue dans son ouvrage sur l’Empire Jolof du XIIIe au XVIIIe siècle : on est proche du pouvoir, mais on se confond pas avec lui. Yacouba Sylla et ses successeurs ont élaboré une autorité religieuse établie sur une relation entre les nouveaux matérialismes du XXe siècle et une spiritualité de soi et de la communauté. Ce livre dense, riche en connotations historiques et spirituelles, est à lire de près par les historiens de l’Afrique occidentale coloniale car, par ses réflexions, il se démarque des modes d’approche établis, plongeant dans une autre logique, celle de l’histoire de communautés locales qui surent s’adapter aux réalités ambiantes en se référant au spirituel, bien avant que ne s’impose l’État colonial.