Entrer en guerre au Mali : luttes politiques et bureaucratiques autour de l'intervention française

Recension rédigée par Philippe David


“Une contribution extraordinaire à la compréhension (non mécaniste) des mécanismes de la politique étrangère française” signale très justement la quatrième de couverture. Extraordinaire en effet... et souvent même sans pitié mais éclairante et bienvenue.

            11 janvier 2013. Le président François Hollande, nouvellement élu, annonce l’intervention militaire de la     France au Mali, ancienne colonie française jusqu’en 1960, menacé par “une agression d’éléments terroristes” et le déclenchement immédiat de l’opération “Serval” qui va mobiliser jusqu’à 5 100 hommes puis fera place, en août 2014 et pour huit ans à l’opération “Barkhane”.

            Jamais une décision présidentielle n’aura suscité autant d’interrogations, soulevé autant d’inquiétudes, déclenché et justifié autant d’investigations aussi originales que légitimes. Les trois auteurs en donnent la preuve après avoir rassemblé pendant trois ans quatorze contributeurs, tous praticiens et praticiennes des sciences sociales, qui livrent ici, selon “quatre axes de réflexion” (p.25), en vingt-neuf pages d’introduction, neuf “chapitres”, trois “dossiers” et dix-sept pages de bibliographie, les résultats de leurs enquêtes souvent obstinées dans tous les domaines et presque tous les sanctuaires concernés. Leurs autopsies aboutissent donc à des révélations inattendues sur le poids et le fonctionnement des multiples rouages militaires et civils, parfois obscurs, de notre république. Elles décèlent et révèlent avant tout les compétitions, rivalités et escarmouches de toutes sortes entre, d’une part, des militaires, parfois encore héritiers de vieilles compétences coloniales redevenues brusquement nécessaires et bénéficiant “d’une rare liberté d’action et de moyens” (p.29) et, de l’autre, des diplomates finalement résignés et perdants, peu compétents sur l’Afrique, embarrassés sur place à Bamako, parfois plus instruits en langue swahili (p.28) qu’en bamanankan, jamais seuls sur le terrain mais toujours encadrés par les militaires qui les y ont partout précédés. 

            Au sommet de l’état, plusieurs personnages font l’objet de portraits précis, à commencer par la longue “biographie sociologique”, peu louangeuse, du général Benoît Puga, chef d’état-major particulier du président jusqu’en juillet 2016, fils d’un officier putschiste de l’OAS et clairement positionné à “droite voire à l’extrême droite” (chap.2). Suit le Ministère de la Défense, crédité de “relations politico-militaires rééquilibrées”, “trio de réformateurs pré-positionnés” autour du président Hollande : le ministre lui-même Le Drian, son directeur de cabinet Lewandowski et son conseiller spécial Mallet (chap.3). 

            A ce stade et avec eux, tout est déjà joué, tout est déjà dit : les diplomates s’inclinent et la diplomatie ne sert finalement qu’à faire la guerre en l’expliquant habilement aux Nations Unies, aux Américains, aux “Otaniens” et aux Maliens. Le Quai d’Orsay et l’ambassade à Bamako se retrouvent rapidement “isolés”, désavantagés”, “évincés” (chap. 4). De même, les finances suivent. Le budget militaire de la France est le troisième en importance mais, à l’Assemblée nationale, un “consensus interventionniste” a toujours marqué les débats sur le financement des “opérations extérieures” (militaires). L’opération Serval est rapprochée des trois autres “OPEX” de l’époque 2013-2015 (‘Sentinelle” “Sangaris” et “Chammal”) pour en comparer les coûts et “surcoûts dérogatoires” (chap. 5). Avec un seul article 35 qui “frappe d’abord par tout ce qu’il ne dit pas” (p.137), la Constitution n’est pas bavarde et l’Assemblée nationale ne manifeste à chaque fois que “consensus interventionniste” et conformisme parlementaire” (chap. 6). En effet, les députés se révèlent finalement presque tous “conformistes”, plus patriotes que militants d’une obédience précise (sauf peut-être deux d’entre eux, I. Attard et Noël Mamère (pp. 170, 171, 287).

Depuis l’origine, (janvier 2013), rien n’aura donc géné, freiné ni contesté le déclenchement d’une guerre mal définie, mal expliquée, mal comprise mais que les militaires vont longtemps pouvoir mener à leur façon. Les relations des journalistes avec l’armée sont très ambiguës et déséquilibrées. Celle-ci choisit et cajole évidement ceux qui lui plaisent, écarte les autres, devient même parfois sa propre agence de presse, nous inonde encore un peu plus de vocabulaire militaire américain (“embedment”, “blacklists”, “off”, “scoop”, “sourcing”, “think tank, “smoking gun”) et s’apitoie parfois, quand elle y pense, sur le triste état des FAMa / Forces armées maliennes (chap.7).

            Le Dossier 1 recense sur plusieurs chaînes de télévision les programmes d’une “guerre sans images” ou en tout cas “d’images sans combats” propres à en renforcer justement l’acceptabilité. Même quand elle est révélée, la “rusticité” de nos soldats et de leur matériel joue encore en sa faveur (chap.8). Suivent : le portrait un peu insolite d’un colonel non nommé (dossier 2), puis l’évocation des pertes humaines et des violences au Sahel (chap.9 et dossier 3).

            Il faut saluer encore cet ouvrage légitime, révélateur et courageux, en regrettant toutefois qu’il impose souvent au lecteur le jargon et tous les néologismes français hélas à la mode universitaire d’aujourd’hui.