L'islam des musées : la mise en scène de l'islam dans les politiques culturelles françaises

Recension rédigée par Christian Lochon


L’auteure se propose de fournir un rapport sur la réflexion sur l’islam en France en creusant le champ encore inexploré des musées (p.38), où le traitement de l’islam permet de comprendre les rapports de l’État à l’altérité islamique (p.48). La gestion publique du culte musulman a toujours été exceptionnelle par rapport au régime laïque en oscillant entre contrôle, laisser-faire, partenariats et surveillance (p.41).

Dans les 29 dernières années, plus de 652 musées ont été construits dans le monde. Plus de 399 musées publics abritent des collections d’art islamique (p.19), dont 37 en France (p.37). Cette islamania a-t-elle un lien avec la médiatisation contemporaine de l’islam ? (p.21). Références culturelles par excellence, les musées d’art islamique deviennent aussi des réservoirs de sens religieux (p.51). Or, les institutions publiques doivent se montrer neutres face au religieux. Le fait même qu’une institution publique française définisse ce qu’est l’islam pose des questions sur le régime de laïcité qui régule le religieux en France (p.239) mais, négligeant l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 qui précise que les musées et les expositions culturelles font exception au modèle séparatiste (p.305), les militants de Riposte Laïque accusent le Louvre de participer à l’islamisation de la France (p.52 et 325). C’est pourquoi, l’islam au Musée devient un lieu privilégié d’observation du social, de ses mutations politiques, économiques, culturelles et religieuses (p.328).

L’art islamique était déjà présent dans les collections européennes du Moyen Age. Les pièces islamiques des trésors royaux et ecclésiaux comme l’aiguière égyptienne de Saint-Denis (p.182) furent confisquées en 1793 pour être déposés au Louvre (p.61). Puis l’expédition de Bonaparte en Égypte en 1798 déclencha une passion sans précédent dans toute l’Europe (p.62). L’art islamique est très présent dans les expositions universelles et coloniales du XIXe siècle. En 1893, l’Exposition d’Art musulman se tient sur les Champs Élysées au Palais de l’Industrie, sous la présidence de Jules Ferry (p.73). En 1903, se tient au Musée des Arts Décoratifs, une Exposition des Arts Musulmans. Gaston Migeon et Henri Saladin publient le premierManuel d’Art musulman en 1907, où l’on parle d’art islamique (p.76). La collection s’est formée en privilégiant les pièces en provenance du Moyen-Orient, l’art maghrébin ayant été considéré moins prestigieux au regard de l’art ottoman ou persan (p.295). Les multiples influences sur l’art islamique des arts gréco-romain, byzantin, persan, ottoman ou de l’Extrême-Orient sont mises en valeur au Louvre (p.28), devenu Musée public en novembre 1793. Avec ses 135.000 m2, il est le Musée le plus visité du monde (p.163). Les salles d’art musulman datent de 1893 (p.45). En 1945, la Section islamique est créée au sein du Département des Antiquités Orientales (p.80). Aujourd’hui, la marchandisation du Musée est visible dans la cession des droits de son nom au Louvre d’Abou Dhabi (p.237).

Les 2800 m2 du Département des Arts de l’Islam, imaginé par Jacques Chirac au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 (p.257) ont été installés dans la Cour Visconti sous une structure en acier partiellement transparente, profonde de 12 mètres, recouverte par une toiture ondulée en métal doré à la manière d’une « tente bédouine » d’après l’architecte Rudy Ricciotti (p.100). Le DAI est le neuvième Département de conservation à avoir intégré la structure pyramidale du Musée (p.109). Les deux directrices successives, Sophie Makariou, qui a privilégié une lecture non religieuse, voire antireligieuse des objets islamiques (p.319) et Yannick Lintz ont souhaité que l’art islamique soit inclus dans l’histoire de l’art occidental (p.118).

Les grands mécènes musulmans du DAI sont le Prince saoudien Al Walid ben Talal, dont la mère est libanaise, qui offrit 17 millions d’euros, le roi du Maroc, l’État du Koweït, le Sultanat d’Oman et la République d’Azerbaïdjan. Le DAI présente un islam anachronique, devant se conformer à l’islam d’hier dont la réalité est faussée (p.167). Ainsi le baptistère de Saint-Louis, fabriqué en Syrie vers 1320 (p.193), fut utilisé pour baptiser le futur Louis XIII puis les enfants royaux (p.194). La religion musulmane est de ce fait neutralisée par la civilisation islamique (p.238).

L’Acte de fondation de l’Institut du Monde Arabe est signé le 28 février 1980 par le Ministre français des Affaires Etrangères et les ambassadeurs de 19 pays arabes (p.89). C’est un organisme bicéphale présidé par un Français, dirigé par un Arabe, cogéré par le Haut Conseil présidé par le Président et dont les membres sont tous les ambassadeurs arabes, qui s’occupe de l’activité scientifique et le Conseil d’Administration, composé de 6 membres français, 6 arabes, et du Directeur, chargés de l’administration politique et financière. Mais certains pays arabes ne payant plus leur quote-part, l’État français assume seul les coûts de fonctionnement (p.131). En 30 ans, l’IMA aura été dirigé par 12 présidents (p.134) et 6 directeurs, libanais, marocain, 2 égyptiens, 2 saoudiens (p.136). Edgar Pisani, président de 1988 à 1995, né en Tunisie, laïque intransigeant, voulait en faire La Maison des Arabes en France (p.140). Jack Lang, depuis 2013, ayant une vision de la laïcité « souple, pragmatique et pratique » (p.322), veut faire connaître aux Français la pluralité des facettes du monde arabe en insistant sur l’islam (p.245). Depuis sa nomination, la fréquentation de l’IMA a augmenté de 70%. En 2012, le nombre de visiteurs était de 529.310 ; en 2014 de 1.085.383 (p.268).

L’IMA a ouvert ses portes en 1987 (p.46). L’architecture du bâtiment de 9 étages, confiée à Jean Nouvel est une interprétation moderne de la grammaire islamique classique ; les diaphragmes métalliques (p.208) de la façade s’inspirent des moucharabiehs utilisés pour la ventilation ; la salle hypostyle du sous-sol reproduit l’espace à colonnes d’une mosquée ; la « tour de livres » rappelle le minaret de la Mustansiriyeh de la Bagdad abbasside (p.92). Les collections du Musée sont venues du Louvre (p.91). Torah, Évangile, Coran se succèdent suggérant une progression du judaïsme à l’islam (p.221) et même présentant l’islam comme l’aboutissement des deux monothéismes précédents (p.232). L’IMA d’abord voué à la mise en valeur du monde arabe en France et en Europe, présente dorénavant un patrimoine commun franco musulman au service de l’État français (p.233) à un public jeune et de confession musulmane (p.109).

Porteurs de deux idéaux concurrents de l’État et de la nation (p.51), les similitudes et les dissemblances du DAI et de l’IMA apparaissent dans un tableau comparatif (p.234). Le DAI propose une image de l’autre islamique esthétisée, pacifiée, exceptionnelle, mais en circonscrivant cette exceptionnalité culturelle dans le passé et en l’intégrant au patrimoine national. L’IMA insiste sur la différence en la rendant désirable, met en scène un monde arabo-islamique divers et complexe avec lequel il devient souhaitable de dialoguer (p.291).

Au XXIe siècle, l’art islamique est mis en valeur pour apaiser la peur de l’immigration et des musulmans au sein de la nation (p.49).

Le lecteur appréciera la remarquable documentation graphique, les tableaux chronologiques (p.81, 97, 104), la copieuse bibliographie (p.345 à 365) et l’index des illustrations (p.369 à 371).