L'asphyxie, Raqqa chronique d'une apocalypse

Recension rédigée par Christian Lochon


Raqqa partage avec Mossoul la grande épreuve d’avoir été la capitale du sanguinaire État islamique à partir de 2015. Auparavant, les habitants avaient subi la répression du régime Al Assad jusqu’en 2014. En 2017, les bombardements de la Coalition occidentale détruiront 80% des immeubles de cette belle cité sur l’Euphrate, qui fut, au Xe siècle la capitale d’été des Califes abbassides. Les auteurs, Céline Martelet, grand reporter à TMC et Hussam Hammoud, journaliste raqqaoui réfugié en Turquie publient dans ce livre émouvant 26 témoignages de 7 femmes et de 19 hommes. 13 d’entre eux restés ou revenus à Raqqa, 6 exilés en Turquie, 5 en France, 1 au Liban, 1 en Grande-Bretagne. 

Le témoignage de Hussam résume les trois occupations successives de sa ville : « J’ai éclaté en sanglots quand Raqqa a été libérée du régime Assad, le 6 mars 2013. Je pouvais sortir sans craindre les Chahibas, milice sécuritaire du régime Assad, dormir en toute sécurité, un plaisir délicieux (p.18). Puis l’insécurité a régné à nouveau ; des groupes de l’Armée syrienne libre assassinaient impunément ; des jeunes ont rejoint les groupes islamistes, convaincus que les moudjahidines défendaient leur ville contre le Régime Assad (p.20). En mai 2013, des groupes de Daech sont entrés et ont fusionné avec le Front Al Nosra, affilié à Al Qaïda. « Comment un Irakien inconnu (Abdellatif Al Baghdadi) pouvait-il décider de faire de notre ville un fief terroriste ? Ils ont attaqué la gare avec une voiture piégée conduite par un kamikaze tuant des dizaines de civils et de militaires (p.24). J’ai vu les djihadistes piller l’hôpital, l’un sortir avec un lit, l’autre avec un électro-cardiogramme, les emportant vers une destination inconnue » (p.40). Hussam est kidnappé à Markada et torturé par un Tunisien et d’autres Maghrébins (p.63). Hussam sera échangé contre des Daechis prisonniers de l’Armée syrienne libre (p.69). Dans la recension précédente d’Ecrits libres de Syrie, dirigé par Franck Mermier, Garnier 2018, un des coauteurs Yassin révèle que les Daéchis enlevèrent et assassinèrent tous les révolutionnaires syriens de Raqqa (p.109).

Ce que les citoyens de Raqqa reprochent d’abord aux terroristes daechis c’est que la plupart étaient des étrangers. Inas a vu « des Chinois, des Européens, des Russes » (p.31). Pour Bachir, « les Tunisiens étaient les plus redoutables » (p.53). Elias, chrétien, était gardé en prison par « un Français très jeune, blond, aux yeux bleus et la barbe longue qui lui demandait pourquoi il ne voulait pas devenir musulman ». ». Tarek a été torturé par des Européens qui parlaient mal l’arabe (p.125).  Pour Izat, jeune homme élégant « Sous Daech, on était obligé de s’habiller comme des Tchétchènes » (p.115).Ola décrit « Les femmes étrangères passant leurs journées dans les boutiques internet à parler avec leur famille en Europe. On entendait toutes les langues » (p.80). Maabad, historien, réfugié en France, est révolté d’entendre « des Français ayant rejoint Daech expliquer devant la justice qu’ils sont venus aider les Syriens de Raqqa. Ils ont tué des centaines d’activistes soulevés contre le Régime Assad. Les enfoirés ! ». (p.143)

Adham, réfugié en France leur reproche leur fanatisme : « Les discours de Daech ont été ciblés contre les chrétiens ; ils voulaient brûler les églises. Leurs chefs locaux étaient irakiens, saoudiens, koweitiens » (p.28). Najah, arménienne-catholique 69 ans, revenue à Raqqa, sa ville, après l’élimination de Daech rappelle que « Chaque année, les chrétiens devaient verser une taxe de sept grammes d’or par personne. 400 familles chrétiennes vivaient à Raqqa. Certains jeunes ont été égorgés (p.194). Daech avait fait de l’église un local de la Hesba, police religieuse, qui détruisit les croix.  Ils enfermaient les gens au sous-sol où nous célébrions les mariages, les baptêmes. » (p.144).  Ola, dont le mari avait été arrêté, essaya de témoignerau tribunal ; le juge égyptien refusa de l’entendre et exigea que son fils de 11 ans parle à sa place (p.77).

Les Daechis interdisent la musique et Abdulsattar, musicien, cache son oud, luth (p. 73). Ilsbrûlent les livres ; Bachir, libraire à Raqqa, rapporte qu’en 2015 « les Daechis ont brûlé les livres de la plus grande bibliothèque de Raqqa ». Ahmed Rami évoque son père l’historien Ali Al Swiha, décédé en 2021 : « Mon père, pour sauver notre vie, a dû brûler ses livres début 2015 » (p. 105). Les Daechis fermèrent les écoles ; le jeune Ismaël ouvrier de chantier (14 ans en 2021) regrette : « Sous Daech, je ne faisais rien ; on n’allait pas à l’école, je jouais au ballon avec mes copains » (p.123).  Mohamed Izzo, ancien directeur du Musée de Raqqa, évoque le pillage des oeuvres ; « Les Daechis ont transformé le Musée en snack ; ils y faisaient des grillades sous les mosaïques byzantines. Tout a été noirci par la fumée. Ils ont effacé les traces de notre histoire » (p.109).

La cruauté des Daechis est rappelée par Hamza, photographe professionnel : « Jamais nous n’aurions imaginé ces piles de cadavres » (p. 38), par Maabed : « Daech enlevait les activistes et les jetaient dans l’Euphrate avec 2 balles dans la tête » (p.27), par Ola : « Des femmes syriennes étaient lapidées ; ces monstres faisaient venir un camion rempli de cailloux et ils les jetaient sur la femme accroupie les mains dans le dos ». Ammar commente la décapitation au couteau de son camarade footballeur (p.129). Des geôliers battent à mort un enfant de 14 ans affamé qui leur demandait à manger (p 65)). 30 coups de fouet étaient infligés pour fumer une cigarette, 59 coups de fouet pour une femme qui ne portait pas le hijab (p.123).

Hamza accuse les Daechis de « vivre dans la schizophrénie, corrompus à l’intérieur, moralistes à l’extérieur (p.112), d’obliger les gens à faire la prière dans la mosquée mais ils ne la faisaient pas » (p.95) de même qu’Omar ; « Les Daechis prenaient du Captagon et du haschisch, fumaient les cigarettes prises en contrebande » (p.74).

Avec une profonde amertume, Maabed El Hassoun constate : « aujourd’hui, le pouvoir est entre les mains des Forces démocratiques syriennes à majorité kurde (p.142).  Pensons à l’émotion de la Docteure Souad « Vous, Occidentaux, devez savoir que vous nous tuez une deuxième fois en nous associant à nos assassins ! » (p.163) et à celle d’Inas, 22ans, étudiante en France : « Il faut ramener les enfants dans les écoles ; certains n’y ont jamais mis les pieds » (p.160).

Le lecteur appréciera la chronologie des événements 2011-2017 (p.173-175).