Une histoire oubliée : la Guyane française sous l'occupation portugaise, 1809-1817

Recension rédigée par Christian Lochon


Deux recensions récentes avaient évoqué la Guyane, La Colonisation de la Guyane 1626-1696 (Vanden Bel et Collomb, 2021) et Kourou 1713 (Godfroy 2011) ; le livre de Mme Machado, issu de sa thèse qui traite d’une période postérieure presque inconnue, celle de la très limitée occupation portugaise au début du XIXe siècle,évoque l’économie de la Guyane lorsque l’ensemble des ressources provenait de l’exportation des productions agricoles grâce à l’esclavage (p.234).

En 1674, la Guyane devient colonie royale et les soldats sont encouragés à s’installer sur le territoire (p.159). Le Traité d’Utrecht, signé le 11 avril 1713, institue le fleuve Oyapock comme frontière entre la France (à deux mois de navigation) et le Portugal en Amérique du Sud (p.15). En 1763, Choiseul programme l’installation à Kourou de plusieurs centaines de colons rapidement emportés par la malaria. Cet échec (p.48) est à l’origine de la mauvaise réputation de la Guyane. Victor Hugues commissaire du Gouvernement, décrié pour son enrichissement personnel, revient en France en 1809 (p.64).

Le recensement de la population en 1812 (p.19) dénombre 14.190 individus dont 6,20% de colons blancs, 9,45% de libres de couleur, 84,35% d’esclaves. En 1810, la ville de Cayenne compte 67 femmes blanches entre 15 à 44 ans et 41 enfants de 0 à 4ans (p.178) ; en 1812, sont dénombrés 237 enfants blancs et 380 enfants de couleur (p.164). Les actes d’état-civil de mariage révèlent l’importance de l’exogamie géographique ; 81% des mariages se faisant avec un conjoint masculin né hors Guyane. Les femmes blanches sont rares en Guyane et même sans apport de bien, recherchées par les candidats au mariage (p.316). L’entreprise coloniale de la Guyane reste basée sur la propriété rurale ou « habitation » (p.46) qui fournit à l’exportation le roucou, le cacao, la girofle, le café. 60% des Blancs ont des activités rurales. Un état des comptes de 1812 évalue à 2.500.000 fr. la valeur totale des propriétés et des 1985 esclaves. Les négociants blancs représentent les intérêts des compagnies commerciales de la métropole ou de Londres (p.337) ; les artisans blancs sont boulangers (le pain étant un produit type de l’alimentation européenne), armuriers, horlogers, orfèvres (p.339). Les Blancs conservent les habitudes alimentaires européennes en important du vin, du beurre, de l’huile d’olive. Ils ne consomment pas de manioc, ignames, patates douces, considérés comme « nourriture d’esclave ». (p.298). Mais l’absence de ravitaillement régulier entraîne des disettes (p.299). La participation des femmes aux activités économiques est restreinte par le Code Civil de 1804 (p.341) ; cependant des femmes de couleur sont blanchisseuses, et des femmes blanches veuves tiennent des garnis pour voyageurs (p.340).

Les Capucins puis les Jésuites évangélisèrent les Amérindiens du littoral jusqu’à Kourou et Sinnamary (p.286). En 1706, Pontchartrain, Ministre des Colonies, interdit l’esclavage des Amérindiens (p.289). En 1789, 806 Indiens sont recensés autour de Cayenne mais plusieurs milliers vivent dans l’intérieur du pays (p.164)

Les mulâtres libres sont artisans, charpentiers, tailleurs, coiffeurs-perruquiers, cordonniers, menuisiers (p.292). A Cayenne, 282 ménages appartiennent aux libres de couleur ; 115 chefs de ménage sont des hommes et 167, des femmes (p.182). Le nombre d’hommes de couleur est nettement inférieur à celui des femmes à Cayenne (p.189). Le plus grand propriétaire d’esclaves à Cayenne est un libre de couleur, André Berville maître charpentier (p.194). En 1810, dans cette ville, 150 ménages de Blancs vivent dans les mêmes rues sans ségrégation avec les ménages de couleur (p.213). Les puits creusés dans les cours sont partagés (p.216). Les Portugais ne faisaient pas de différence entre Blancs et Hommes libres de couleur ; ils se mêlaient entre eux dans les bals, les célébrations, les banquets (p.283) ; ils anoblirent même un mulâtre (p.284).

La Guyane aura reçu environ 26.000 esclaves en deux siècles (p.236). Le Code Noir de 1685 régit les rapports maître/esclave (p.237), prévoit le mariage et l’affranchissement qui en résulte (p.242). La mortalité est élevée chez les esclaves, accablés par un travail excessif (p.168). L’abolition de l’esclavage proclamée en Guyane le 14 juin 1794 ne dure que jusqu’en 1802. L’introduction du Code Civil en 1805 renforce la prohibition de mariage entre Blancs et non-Blancs (p.270). La population libre et esclave, âgée de 14 à 59 ans, doit payer l’impôt de capitation. De 1810 à 1817, les Portugais introduisent en Guyane 2942 esclaves (p.149). Durant cette période, à Cayenne, 1207 esclaves sont répartis entre 237 ménages, soit une moyenne de 5 esclaves par foyer (p.193) ; des propriétés rurales estimées à 7.000 fr. ne prenaient de la valeur que par le nombre d’esclaves, atteignant alors 40 à 50.000 fr. (p.359). 869 esclaves de l’État sont affectés à Cayenne aux travaux de voirie, du port, de l’hôpital (p.244) ou loués à la journée à des pêcheurs, artisans. Ils peuvent être autorisés à être vendeurs ambulants et ramasser un pécule pour se racheter (p.249). 93 esclaves seront affranchis par cession de droit de propriété ou par disposition testamentaire (p. 276). Il faut en ce cas payer au Gouvernement une taxe et donner au libéré des moyens de subsistance (p.196).

L’occupation de la Guyane est résultée de l’invasion du Portugal par la France en 1808 (p.18) ; la Cour portugaise fuit au Brésil et arrive à Rio le 8 mars 1808 (p.34). Cette expédition militaire satisfait les deux objectifs de la couronne portugaise, le contrôle géographique de la région et les représailles contre la France (p.115). L’expédition navale part de Belem le 27 octobre 1808 et occupera la Guyane durant neuf ans (p.27). Dans l’Acte de Capitulation du 12 janvier 1809.  l’article XI détermine le maintien des lois françaises en vigueur dans la colonie (p.17) ; le personnel administratif français demeure payé par le Portugal (p.19) sur la base d’un franc équivalent à 114 reis (p.107). Nouveau Gouverneur portugais, Manoel Marques s’appuie sur une Junte de colons, adopte l’administration française (p.75) sous la dépendance du Gouverneur du Grao Para (Belem) mais il manque du personnel bilingue (p.81). Il arrive à équilibrer le budget avec même un excédent (p.106), soit environ 2.200.000 fr. Émargent à ce budget 1300 soldats portugais, 92 employés français de l’administration, la gestion de l’hôpital qui accueille en permanence 200 malades, l’entretien des bâtiments publics et du port. Pendant la période portugaise, les principaux partenaires commerciaux sont les États-Unis, l’Amérique portugaise pour la viande et la farine (p.356), et les colonies de la Grande-Bretagne, dont le Surinam conquis en 1804 (p.125). Les Portugais n’apportent aucun changement social dans la société guyanaise. Cette occupation a toujours été pensée comme provisoire ; il n’y eut pas d’apport de population civile portugaise pour compenser le sous-peuplement guyanais ni d’aménagements pour conserver la colonie (p.385). La remise de la Guyane à la France sera déterminée par le Traité de Paris du 30 mai1814 (p.384).

Le lecteur spécialisé appréciera la richesse des sources puisées dans les archives nationales françaises, portugaises et brésiliennes (cf. Documents et Annexes p.389 à 455). Ceux qui sont intéressés par l’histoire de la Guyane liront avec intérêt ce qui concerne le rappel des époques précédant l’occupation portugaise et consulteront la bibliographie (p.465 à 473).