La conquête : comment les Français ont pris possession de l'Algérie, 1830-1848

Recension rédigée par Jacques Frémeaux


Sous ce titre, l’auteur étudie avec beaucoup de précision et de rigueur les dix-huit premières années de la conquête française de l’Algérie. Cette présentation est précédée d’une introduction copieuse, qui expose les principaux aspects de la Régence d’Alger à la fin du XVIIIe siècle.

Colette Zytnicki s’abstient de répondre à la question faussée de savoir s’il existe alors un État ou une nation algérienne. Elle définit l’Algérie comme une province ottomane, largement autonome, non sans ressources, notamment la production de blé, mais dont les dirigeants n’ont plus les moyens de résister à la pression des puissances européennes. Celles-ci lui reprochent (non sans raison) la persistance à protéger la course et la traite des esclaves, mais aussi lui dénient (bien moins légitimement) le droit de maintenir des monopoles sur le commerce. Le gouvernement français de la Restauration a d’autres raisons d’intervenir, notamment sa volonté d’engager une grande politique méditerranéenne, destinée à conforter son prestige à l’intérieur comme à l’extérieur.

Après avoir montré dans quelles conditions fut prise la décision de monter une expédition contre Alger, puis de s’y installer durablement, l’auteur retrace les principaux épisodes de ce qu’on pourrait appeler l’enracinement colonial. Pendant sept ans (1830-1837) le manque de suivi dans le détail, marqué par une succession de gouverneurs plus ou moins actifs, et une série de campagnes sans lendemains, s’accompagne d’une évidente détermination à dominer le pays, même sans l’occuper tout entier. Cette période s’achève avec la prise de Constantine (1837), puis la rupture avec l’émir Abd el-Kader (1839), maître des provinces occidentales et centrales.

Les sept années du gouvernorat de Bugeaud (1840-1847) s’accompagnent d’un effort militaire sans précédent (100 000 hommes). Les paysans algériens, pillés et massacrés, constituent la cible principale des colonnes qui parcourent le pays pour le soumettre. La colonisation commence à s’installer, encore timidement, aux abords des villes, dont l’urbanisme est revu selon les exigences européennes (rues droites, immeubles à étage, cafés et théâtres). Toutes ces transformations se font au détriment des populations autochtones, repoussées des villes et touchées par la dépossession foncière. Les Juifs en revanche, bien que les conquérants ne les traitent pas toujours avec égard, bénéficient d’un début d’émancipation et s’ouvrent à la société moderne. L’Algérie entre timidement dans le domaine culturel français, par le biais de la recherche archéologique, de la littérature et même, avec Tocqueville, de la science politique. Trop souvent, ces acquis resteront cachés sous un placage d’orientalisme à trop bon marché.

Au total, sans apporter véritablement des éléments nouveaux, cet ouvrage constitue une bonne approche sur une période dont l’importance ne sera jamais assez soulignée pour expliquer les origines d’une confrontation franco-algérienne bientôt bi-séculaire.

On regrettera cependant que, dans une bibliographie pourtant abondante, ne soit pas cité notre ouvrage, La Conquête de l’Algérie. La dernière campagne d’Abd el-Kader (éditions du CNRS, 2016), qui étudie avec précisions les années 1845-1847. Il serait souhaitable aussi que soit explicité le chiffre de 825 000 morts algériens entre 1830 et 1875 (p. 272), qui est affirmé sans justification[1].

 


[1] Voir mon livre La France et l’Algérie en Guerre, 1830-1870, 1954-1962, Economica, 2002, p. 260-261.