Histoire de l'Algérie contemporaine : de la Régence d'Alger au Hirak (XIXe-XXIe siècles)

Auteur Pierre Vermeren
Editeur Nouveau Monde
Date 2022
Pages 396
Sujets Algérie
Histoire
Cote 66.469
Recension rédigée par Jacques Frémeaux


Cet ouvrage a le mérite de conduire le lecteur de l’Algérie du XIXe siècle sous domination ottomane à l’Algérie actuelle, soit un itinéraire de près de deux siècles. L’entreprise est d’autant plus intéressante qu’elle n’a guère d’équivalent en français (voir par exemple James MacDougall, A History of Algeria, Cambridge University Press, 2017).

Cette histoire a été divisée par l’auteur en vingt-quatre chapitres, eux-mêmes regroupés en quatre grandes parties, qui ne suivent pas toutes exactement la chronologie. La première est bien en effet une synthèse de l’Algérie en 1830, mais les deux suivantes se chevauchent, puisqu’à la partie consacrée à l’Algérie coloniale (1830-1954), succède celle qui, partant de la naissance du nationalisme à la suite de la grande Guerre, traite du combat pour l’indépendance et de la construction de la République algérienne (1918-1978). Ce découpage s’avère plutôt heureux, en ratifiant l’idée, à laquelle nous serions pour notre part tenter d’adhérer, que la construction de l’Algérie indépendante s’est faite au moins autant en-dehors de la France que contre elle, ce qui explique beaucoup d’ignorances réciproques. Une dernière partie, intitulée « les crises de l’État-Nation algérien indépendant face aux chocs de la mondialisation » fait le point sur les quelque quarante-cinq dernières années (1978-2022). 

Il n’est pas question ici de se livrer à une lecture exhaustive de l’ouvrage. Tout le monde connaît la compétence de Pierre Vermeren en matière d’histoire contemporaine des pays du Maghreb, et aussi son heureux (et souvent courageux) penchant pour les appréciations sans concession. De ce point de vue, son lecteur ne sera pas déçu. Rapide, un peu trop elliptique, parfois au détriment de la précision, l’analyse de l’épisode colonial, dans les deux premiers tiers du volume, est impitoyable, tant en rappelant la violence de la conquête qu’en évoquant les illusions et les mythes du Centenaire. L’étude de la montée du mouvement national n’en cache pas la face sombre. La description de l’Algérie indépendante souligne les profondes mutations qui contribuent à effacer (et non seulement par l’oubli, mais par l’effet de mutations économiques, sociales et culturelles profondes et irréversibles), les traces de l’Algérie « française », et contribuent à donner aux questions mémorielles un caractère de plus en plus artificiel.

C’est peut-être, cependant, dans son analyse de l’évolution de l’Algérie depuis l’indépendance que l’apport de Pierre Vermeren s’avère le plus pénétrant. Dans ces 140 pages, soit environ le tiers du volume, on trouve d’abord le récit de l’évolution politique du pays, marquée par la prépondérance de l’armée, qui a su conserver le pouvoir en venant à bout de l’insurrection islamiste, puis, en tirant profit des mesures sanitaires prétextées par l’épidémie de covid-19, du mouvement du Hirak. L’auteur nous montre également le passage, au début des années quatre-vingt, d’une économie étatisée à volonté industrialisante vers une économie de rente, fondée sur l’exportation de  pétrole et de gaz, et dominée par les filières d’importations aux mains de puissants intérêts privés, tandis que l’allocation de revenus modestes, mais assurés, à un nombre pléthorique de petits fonctionnaires, et les subventions garantissant les produits  alimentaires de base à des prix modérés, freinent les revendications sociales. On notera aussi les portraits intéressants des principaux acteurs, notamment Houari Boumediene et Abdelaziz Bouteflika. Enfin, Pierre Vermeren n’omet pas d’évoquer l’importance de la diaspora algérienne en France, évaluée à plusieurs millions de personnes, et il est regrettable qu’il ne dispose pas de l’espace suffisant pour développer ce point si important pour l’avenir de la France et de l’Algérie.

L’ouvrage est complété par une bibliographie très développée. On regrette cependant de ne pas y trouver mention d’ouvrages importants, des classiques, comme L’Histoire de l’Algérie de la fin de la Régence turque à l’insurrection de 1954, de Xavier Yacono (Éditions de l’Atlanthrope, 1993), L’Histoire intérieure du FLN, 1954-1962 de Gilbert Meynier (Fayard, 2002), Chère Algérie. La France et sa colonie, 1930-1962, de Daniel Lefeuvre (Flammarion, 2005), mise au point très importante sur l’économie coloniale, ou de plus récents, comme Le Sillage de la tribu, imaginaires politiques et histoire en Algérie, 1843-1993, de Karim Rahem (Riveneuve, 2008), étude très stimulante de l’évolution de la société algérienne, et enfin La Première Armée française. De la Provence à l’Allemagne 1944-1945 de Claire Miot (Perrin, 2021) regard très intéressant sur l’attitude des soldats du Maghreb. Il est également regrettable que l’ouvrage ne soit pas accompagné d’un index.

Les réserves exprimées ne doivent pas empêcher la lecture de ce livre qui peut constituer une excellente introduction à l’histoire de l’Algérie contemporaine.