Changement social chez les Peuls du Fuuta-Jaloo, de 1920 à nos jours ...

Recension rédigée par Roland Pourtier


Le livre d’Arsène Camara reprend l’essentiel d’une thèse en cotutelle associant l’INALCO et l’Université Général Lansana Conté (UGCL) de Sonfonia à Conakry, soutenue en février 2020. Son intitulé, « Changement social chez les Peuls du Fuuta-Jaloo, de 1920 à nos jours : du pastoralisme au commerce » annonce l’ambition de la thèse, à ceci près que la recherche s’arrête à 2008, fin du régime de Lansana Conté, sans aller jusqu’à nos jours. Dans la perspective d’un temps long qui remonte en réalité jusqu’aux années 1880, l’auteur s’interroge sur les transformations profondes, tant économiques que sociales, des Peuls du Fouta-Djalon sous l’effet du choc colonial d’abord, des politiques étatiques post-coloniales ensuite.

L’ouvrage comprend deux parties, chacune subdivisée en deux chapitres, suivant une trame chronologique. La première partie est consacrée à la période coloniale : « Le Fuuta-Jaloo : de la Théocratie musulmane à l’impérialisme français (1880-1958) ». En s’appuyant sur d’abondantes sources bibliographiques, l’auteur focalise son attention sur les facteurs qui amorcèrent le passage d’une société de pasteurs, fortement attachée à l’image du Peul, à une société dominée par les activités commerciales. Il insiste à juste titre sur le rôle primordial de la monétarisation de l’économie et de l’impôt de capitation, et sur celui de l’ouverture de routes, de la création de marchés et de l’urbanisation. Ce travail de compilation s’appuie sur une abondante bibliographie sur le sujet. S’il n’apporte guère d’éléments nouveaux, il a le mérite de mettre l’accent sur l’impact de la colonisation dans les mutations de la société peule de Guinée, et plus généralement des sociétés africaines - impact à nouveau souligné dans la conclusion, « La colonisation reste d’ailleurs le vecteur d’un profond changement moderne de l’Afrique, tant sur le plan économique que social » (p. 310).

La deuxième partie, « Développement du commerce en Guinée ou comment les Peuls du Fuuta-Jaloo sont-ils devenus commerçants », reprend les mêmes questions pour la période post indépendance (1958-2008). Les politiques économiques et monétaires sont mises en exergue dans deux séquences historiques successives. L’étatisme sous Sekou Touré d’abord (1958-1984) avec pour conséquence un désastre économique, l’émigration massive de forces vives de Guinée, le développement du marché noir, jusqu’à l’accusation d’un « complot peul » en 1976. Le libéralisme sous Lanzana Conté ensuite (1984-2008) qui se traduit par un retour massif du commerce privé, dans les campagnes comme dans les villes et dans les échanges internationaux. Arsène Camara oriente ses analyses, à partir de la littérature et de quelques enquêtes de terrain, sur ce qui dans l’organisation sociale et la culture peule (les valeurs du Pullaku) contribue à expliquer la nature et l’ampleur du changement sociétal : importance des réseaux familiaux, n’excluant pas la compétition individuelle, résilience, capacité à thésauriser, toutes ces « stratégies individuelles et communautaires dont eux seuls ont le secret » (p. 39).

Un secret qui, cependant, n’a pas été complètement dévoilé dans un ouvrage synthétique, certes bien documenté, mais qui renouvelle peu les études consacrées aux transformations de la société peule du Fouta-Djalon entre pastoralisme d’autrefois et commerce d’aujourd’hui.