Les racines du chaos : Irak, Syrie, Liban, Yémen, Libye : cinq États arabes en faillite

Recension rédigée par Christian Lochon


A l’exception du Yémen, ces 4 créations coloniales partagent des points communs : l’État ne fournit plus de services publics, les régimes en place sont incapables de réformer car ils disparaîtraient ; appartenant à un clan (« assabiyya ») qui a réussi, ils ne sont plus que répressifs, utilisant des milices plus puissantes que l’armée officielle ; les citoyens, pris dans le piège confessionnel, sont victimes de la corruption dans ces États soumis aux ingérences des voisins et des grandes puissances qui convoitent leurs gisements gaziers et pétroliers.

L’IRAK (p.23) aura subi en un siècle les révoltes contre l’occupant britannique, les luttes du gouvernement central contre les chiites, les Kurdes, les chrétiens, les guerres fratricides entre chiites et sunnites, ponctuées de coups d’État sanglants. Le roi Faysal Ier, recyclé de Syrie, est imposé par les Britanniques en 1921 ; son petit-fils est assassiné le 14 juillet 1958. Lui succède le Général Kassem qui proclame la République et privilégie les chiites et les communistes. En 1963, Kassem est exécuté, les communistes poursuivis. De 1963 à1968, les Frères Aref chassent les Baasistes du pouvoir. Ces derniers reviennent en 1968 avec Ahmed Hassan Al Bakr et Saddam Hussein, qui s’arroge tous les pouvoirs en 1979. De 1980 à 1988, la guerre irako-iranienne fait un million de victimes. En 1990, l’Irak envahit le Koweït. En 1991, une Coalition internationale établit des sanctions contre l’Irak, interdit à l’aviation irakienne de survoler le Kurdistan mais laisse Saddam mater la rébellion de 15 provinces avec des gaz toxiques. En 2003, les États-Unis envahissent l’Irak ; la résolution 1483 met fin aux 13 années de sanctions contre l’Irak et confie aux États-Unis et à la Grande Bretagne pour 12 mois l’avenir politique du pays, dont les institutions et l’armée, dirigées depuis 1920 par les sunnites, s’effondrent. Washington doit faire appel aux Kurdes et aux chiites pour refonder une Administration. En 2006, de nombreux sunnites soutiennent l’État islamique en Irak, qui deviendra Daech en 2014, s’emparera de Mossoul jusqu’en 2017. D’autre part, les luttes entre miliciens chiites proiraniens et nationalistes créent une instabilité politique chronique. Le communautarisme structurel apparait dans la répartition des responsabilités politiques, la présidence de la République réservée à un Kurde, celle du Parlement à un Arabe sunnite et la primature à un Arabe chiite. En 2019, Place Tahrir, à Bagdad, un million de manifestants de la société civile en formation conspuent les dirigeants corrompus sans obtenir de résultat.

LA SYRIE (p. 83), ancien Bilad Echchâm ou Damascène, province ottomane, est marquée au XIXe siècle par le panislamisme. D’octobre 1918 à juillet 2020, Damas devient la capitale du Royaume arabe. Le 7 mars 1920, le Congrès National arabe proclame l’indépendance de la Syrie et intronise Faysal roi constitutionnel. La Conférence de San Remo (25/04/1920) attribue le mandat de la Syrie à la France. Le 24 juillet 1920, Gouraud entre à Damas. Le Traité franco-syrien de 1936, proclame l’indépendance de la Syrie, mais en 1938, la France donne à la Turquie le sandjak d’Alexandrette afin qu’elle ne s’allie pas avec l’Allemagne. La Constitution est restaurée en 1942, des élections tenues, Choukri Al Kouatly élu président. Le 7 avril 1946, les forces françaises évacuent la Syrie. Plusieurs coups d’État interrompent le régime parlementaire. La popularité de Nasser unifie Égypte et Syrie en République Arabe Unie de février 1958 à septembre 1961. En 1963, des officiers affiliés au Baas, créé en 1940 par 3 Syriens, le sunnite Salah Bitar, le chrétien Michel Aflaq et l’alaouite Zaki El Arsouzi, et qui avait admis de nombreux officiers alaouites, prennent le pouvoir. La minorité alaouite va gouverner le pays sans partage. En 1971, Hafez El Assad se fait élire Président de la République (12/03/1971). Son fils Bachar lui succèdera en 2000. En 2011, la société civile syrienne participe au Printemps arabe mais la répression du régime plonge la Syrie dans une guerre civile qui dure encore. En 2014, les radicaux d’Al Qaïda puis de Daech s’emparent de régions entières. La Russie soutient le Clan Assad, l’Iran également avec ses miliciens iraniens pasdaran et libanais du Hezbollah. Puis les États-Unis organisent une coalition en s’appuyant localement sur les Kurdes, attaqués par les Turcs voisins. Cette guerre aura fait 400.000 victimes en dix ans. En 2020, la Turquie tient la poche résiduelle d’Idleb où sont retranchés les djihadistes syriens et étrangers. Sur les 20 millions d’habitants, 5,6 millions sont réfugiés à l’étranger dont 3 millions en Turquie. 92% de la population syrienne se dit arabe, 90% est musulmane, dont 12% Alaouites, 600.000 Druzes, 150.000 Yézidis. Les chrétiens, souvent élèves dans le privé confessionnel, évalués à 6% de la population, émigrent en grand nombre. Damas est le siège de 3 patriarcats orientaux, grec-orthodoxe, melkite et syriaque. Une refondation devra prendre en compte la nouvelle identité syrienne et l’histoire des rapports entre majorité et minorités.

Au LIBAN (p.137), le Mont-Liban formé de minorités chrétiennes et druzes essaya de se protéger de l’empire ottoman, qui, en 1516, reconnut l’autonomie des Emirs druzes Maan qui administreront la région jusqu’en 1697. Leur succèderont leurs cousins, les Emirs Chehab jusqu’en 1841. Les affrontements constants entre notables druzes et fermiers maronites conduiront alors sous la pression européenne à créer deux caïmacamats (cantons), l’un druze, l’autre maronite, dirigés par un pacha ottoman serbe. En 1860, de nouveaux massacres de chrétiens par les Druzes entraînent une expédition française au Mont-Liban et la création d’une préfecture (mutasarafiya) confiée à un catholique ottoman et d’un Conseil Administratif formé de 4 maronites, 3 druzes, 2 orthodoxes, 2 melkites, un sunnite et un chiite. En 1918, les Ottomans évacuent les provinces arabes, qui deviennent des mandats attribués par la Société des Nations. En 1920, le Général Gouraud proclame le Grand Liban dans ses frontières actuelles. En 1926, la Constitution libanaise institue le confessionalisme d’État « à titre transitoire » dans l’article 95 : « Les communautés seront équitablement représentées dans les emplois publics et dans la composition des ministères ». Le premier Président de la République Charles Debbas est orthodoxe. En 1943, le Président Bechara Al Khoury et le Premier Ministre Sami Solh élaborent un pacte national selon la formule « les chrétiens renonceront à la protection de la France et les musulmans à la Grande Syrie ».  Le Président de la République sera désormais maronite, celui du Conseil, sunnite, celui du Parlement, chiite. En 1957, la création de l’Union égypto- syrienne déclenche une guerre civile de six mois. En 1958, le nouveau Président Fouad Chehab restaurera la confiance. En 1989, l’accord de Taef mettant fin à une deuxième guerre civile de 15 ans réformera les institutions dans un sens favorable aux musulmans. Dans la formation d’une société civile, où 1% des plus riches possède 58% de la richesse du pays, les milices permirent la promotion politique et sociale des régions rurales maronites et chiites. Dans le Mouvement du 17 octobre 2019, les contestataires réclament un processus de déconfessionnalisation en dissociant le confessionnalisme politique du social et du culturel. La participation massive des femmes de toutes confessions dans les manifestations montre bien le refus du système confessionnel. Les chiites, dont en 1927 le Mandat français reconnut le rite djaafarite, ont acquis un poids politique considérable. En 1969, un religieux chiite, Musa Sadr fonde le Conseil Supérieur Chiite, en 1973, le Mouvement des Déshérités puis la milice Amal que dirigera ensuite Nabih Berri. Depuis 1992, le Hezbollah est la seule force milicienne à avoir gardé ses armes. En 2012, ce parti aide l’armée syrienne contre les rebelles. En 2016, il soutient l’élection du Président Aoun. Depuis 1948, des centaines de milliers de Palestiniens (aujourd’hui 455.000) s’étaient réfugiés au Liban. Ils se conduiront comme un État dans l’État. En 1975, sous prétexte de sauver le Liban de l’emprise palestinienne, l’armée syrienne entrera au Liban pour y rester jusqu’en 2005. Quant aux Israéliens, suite à un raid palestinien, ils pénètrent au Liban, occupant le Sud en 1978. Ils renouvellent leurs opérations en 1982 et 1996. En 2000, ils évacuent le Sud Liban au bout de 22ans. En 2006, ils feront une nouvelle incursion. Le 4 août 2020, des silos du port de Beyrouth contenant du nitrate, explosent, causant la mort de 200 personnes, 4.000 blessés, détruisant 13.700 maisons. Le Gouvernement a été incapable de réagir comme pour la faillite économique qui aboutit au défaut de paiement des intérêts de la dette atteignant 92 milliards $, soit 170% du PIB.

Au YEMEN (p.171), la population adopte l’islam zaïdite, par référence à l’Imam Zayd ibn Al Zayn Al Abidin, petit-fils de Hussein. Le Zaïdite Yahya Ibn Hussein al Rassi arrive à Saada en 898 pour régler des conflits intertribaux. Il fonde l’imamat zaïdite qui durera jusqu’en 1962. Les Imams percevront la zakat, appelleront au djihad et imposeront la charia aux dépens des lois tribales, d’où les conflits avec les tribus. Au XVIe siècle, les Imams centraliseront le pays. Au XXe siècle, l’Imam Yahya en 1926 signe des traités avec les Wahhabites et la Grande Bretagne pour la délimitation des frontières. Assassiné en 1948, son fils Ahmed lui succède jusqu’en 1962, mais son petit-fils Al Badr ne parvient pas à s’imposer et l’Arabie Saoudite le soutient contre l’invasion égyptienne. La guerre civile durera jusqu’en 1972. Ali Abdallah Saleh, officier zaïdite devenu sunnite, devient président du Nord Yémen en 1978 puis de 1990 à 2012, président du Yémen unifié. En 2011, djihadistes et difficultés économiques font soulever la population dans le cadre des Printemps arabes. En 2012, Abd Rabbo Mansûr Hadi succède à Saleh qui rallie momentanément la rébellion puis l’abandonne ; les Houthistes le tuent en 2017. Hussein Al Houthi qui avait fondé les Ansâr Allah à Saada en 2002 et résisté au pouvoir de 2004 à 2010, prend Sanaa en septembre 2014, soutenu par l’Iran et le Hezbollah et combattu par une coalition Arabie Saoudite/Emirats, qui soutient Abd Rabbo, lequel fuit à Aden puis à Riyad. Le Gouvernement Central restera en exil à Aden. Déjà, le Sud-Yémen était resté sous occupation britannique de 1839 à 1967. L’Union proclamée le 22 mai 1990 est contestée en 1994 puis en 2017. En 2020, les ingérences étrangères ont acté la division du Yémen. Des djihadistes investissent Maarib dans le Hadramaout, riche en pétrole ; Hodeïda et le Sud-Ouest est aux mains de Tarek Saleh ; les Houthistes contrôlent le Nord et la capitale, se battent à Taezz contre la Coalition. Sur 31 millions d’habitants, 24 manquent de nourriture, 4 millions sont déplacés, 400.000 en exil à Djibouti, en Égypte et 100.000 victimes entre 2015 et 2019. L’aide humanitaire a du mal à parvenir, le coronavirus restant alarmant, car le conflit a détruit les services de santé et les réserves humanitaires ; 66% de la population est dépendante de l’aide humanitaire. Les idéologies importées comme le marxisme au Sud Yémen de 1967 à 1990 et le nationalisme auront été en inadéquation avec les structures tribales de la société yéménite.

La LIBYE (p.199) ne deviendra un État-nation qu’en 1912 lors de la colonisation italienne. Auparavant on l’aura connue comme Régence de Tripoli (1552-1912), reprise par les Ottomans en 1835. Après l’occupation, elle devient un royaume confié à Idris Ier, Cheikh des Senoussis. Sa population de 7 millions de Berbères Amazigh arabisés se répartit entre la Tripolitaine agricole, la Cyrénaïque pastorale et le Fezzan qui produit le quart du pétrole et où prospèrent les trafics de drogue, d’armes et d’êtres humains. En 1969, le capitaine Mouammar Kadhafi, influencé par les Officiers Libres égyptiens, renverse le monarque. Ses appels à la démocratie directe avec des comités populaires cacheront la mainmise de la famille sur l’État et les réseaux de clientélisme tribal durant 42 ans de pouvoir dictatorial. Les unions projetées avec l’Égypte, la Tunisie, le Tchad, le Soudan n’aboutiront pas. En 1986, à cause du soutien de Kadhafi aux djihadistes, l’aviation américaine bombarde plusieurs villes libyennes et impose un embargo jusqu’à 1999 puis l’affichage antiislamiste de Kadhafi le rapproche de l’Occident. En 2011 éclate une insurrection à Benghazi ; les rebelles du Congrès Général de Transition définissent la Libye comme État démocratique conservant la législation par la charia en 2012. Une nouvelle guerre civile en 2014 se déroule entre le Gouvernement d’Union Nationale, reconnu par l’Onu, siégeant à Tripoli et le maréchal Haftar à Benghazi qui dirige l’Armée Nationale libyenne, composée d’anciens militaires kadhafistes et de milices tribales. Syrte, occupée par les djihadistes de Daech et Fajr Libya est reprise en décembre 2015 par le GUA. L’Égypte soutient Haftar avec les Émirats, la Jordanie, l’Arabie, la France, La Russie qui envoie des mercenaires, tandis que la Turquie soutient Tripoli en y transférant des mercenaires syriens. L’État failli laisse prospérer les trafics d’esclaves, l’immigration illégale vers l’Europe. Il faudra refonder un État libyen sur une base fédérale répartissant la manne pétrolière (qui assurait 80% des revenus nationaux) entre les 3 régions.

Ce livre aura permis de comprendre comment le Printemps arabe de 2011, le Mouvement d’Octobre 2019 en Irak et au Liban, se sont faits sur un mode confessionnel. Il faudra désormais proscrire Confessionalisme et Assabiyya (Clanisme) et susciter une citoyenneté commune en marginalisant progressivement les statuts personnels et en reconnaissant le mariage civil.

Le lecteur appréciera également le glossaire (p.225) et les différentes bibliographies (p.229).