Fresques de Koguryŏ : splendeurs de l'art funéraire coréen (IVe-VIIe siècle)

Recension rédigée par Dominique Barjot


Formé en histoire de l’art aux universités de Séoul, Harvard et Princeton, Hwi Joon AHN est un chercheur éminent. Il a été notamment professeur à l’Université de Séoul, directeur de son musée, directeur du département d’histoire de l’art de l’Académie des études coréennes et directeur de la commission des musées et galeries du ministère sud-coréen de la Culture, du sport et du tourisme. Aujourd’hui émérite, il a reçu de nombreux prix, entre 1982 et 2006, et publié des ouvrages de référence sur l’histoire de la peinture coréenne. L’ouvrage présente pour la première fois au public français, dans un beau livre, les plus anciennes peintures coréennes existantes. La traduction, de bonne facture, a été effectuée par Nae-young Ryu, docteure en histoire de l’art, avec une thèse sur l’œuvre du peintre lettré Du-seo Yun, et Andrea Paganini, anthropologue virtuel. Il s’agit en outre d’un ouvrage assorti d’un appareil critique soigné.

Du IVe au VIIe siècle après J. C., des fresques de grande qualité esthétique et technique ont été réalisées dans le royaume coréen de Koguryo, le plus puissant de toute l’histoire coréenne. Le royaume a vécu de 37 à 668 après J. C., contrôlant un vaste de territoire empiétant largement sur l’actuelle Mandchourie et sur le nord de la Corée actuelle. Au Sud, il s’est rapidement trouvé en conflit avec les petits États de Kaya (42-532) et de Paekche (18-660) at, surtout, avec le royaume de Silla (57-668), qui, après avoir absorbé les deux États précités, a vaincu militairement le Koguryo. De 668, date de l’unification coréenne et la succession des trois dynasties nationales : Grand Silla (668-935), de Goryeo (918-1392)et de Joseon (ou Choson, 1392-1010).

En Corée du Sud, la civilisation du Koguryo a fait l’objet de recherches beaucoup moins poussées que Silla ou, même, Kaya et Paekche. En effet, la civilisation de Koguryo s’est développé principalement autour de deux pôles : Jian, dans la province chinoise de Jilin, et Pyongyang, en Corée du Nord. Ainsi s’explique le fait que les principales découvertes            archéologiques aient été faites en Chine. L’histoire de Koguryo est marquée en effet par de nombreux conflits avec les dynasties impériales chinoises successives : les Han, les Jin de l’Est , les Sui et les Tang (618-907), qui ont été pour beaucoup dans son effondrement. Il en a résulté qu’aujourd’hui, la China a tendu à en accaparer l’héritage. De plus, la guerre froide a conduit, en Corée du Sud, à forcer l’opposition entre d’une part le Koguryo, État militaire et belliqueux, de l’autre le Silla, État marchand et pacifique. Cependant, comme le montre bien l’ouvrage, il est impossible aujourd’hui de ramener le Koguryo à un pur État militaire. Tout autant que le Silla, le Koguryo a constitué une civilisation avancée, qui a exercée une influence spécifique au Japon, à travers le bouddhisme et le taoïsme. C’est ici un second apport du livre.

Sans vouloir entrer dans le détail d’apports scientifiques à la fois riches et variés, il convient de signaler que l’ouvrage s’articule en trois parties. La première se centre sur « la peinture murale funéraire et la culture du royaume de Koguryo » (p. 25-78), autour de deux chapitres. Le premier offre une approche rapide de la culture de Koguryo, dans sa double dimension historique et culturelle (p. 27-32). Le second cherche à analyser « la culture de Koguryo au prisme des fresques funéraires » en soulignant l’importance des fresques funéraires dans l’histoire de l’art coréen, puis en offrant une typologie des sujets et des styles de ces fresques. Dans une seconde, l’auteur montre tout l’intérêt historique de ces fresques, à travers leurs caractéristiques philosophiques, religieuses, mais aussi techniques de la peinture funéraire, qui en ont favorisé le rayonnement international. L’esthétique des fresques associe vitalité et rythme, élégance et raffinement, à contre-courant des idées reçues.

La partie 2 s’intéresse à l’évolution des fresques de Koguryo (p. 79-200). Trois époques sont distinguées dans le chapitre 1 (p. 81-122) : première période, correspondant en gros au IVe siècle (tombe n° 3 d’Anak, tombe de Tokung-Ri à Nampo), où les fresques décrivent la vie du défunt ; seconde période, dite médiane, couvrant les Ve-VIe siècles et dominée par les images données de la société (tombes « de la scène de lutte » et « de la scène de danse », tombe n° 1 de Chanchon et « à trois chambres », toutes à Jian ; troisième période, correspondant aux VIe et VIIe siècles (grande tome de Kangso à Nampo et « des divinités des quatre points cardinaux de Tongsu à Jian). Les fresques de cette dernière époque ont une portée plus métaphysique (immortels et divinités des points cardinaux du taoïsme) et accordent une plus grande place aux paysages. Le chapitre 2, remarquable, s’attelle à décrire « la figuration humaine » (p. 123-200) : images biographiques des maîtres de la tombe, à travers leurs portraits ; scènes de défilé et de chasse, images à la fois officielles et dynamiques ; scènes de procession, de danse et de loisirs rendant compte de la vie courante ; vigoureuses scènes de lutte à mains nues ; images de la jeunesse éternelle et de la longue vie (immortels taoïstes, divinités des quatre points cardinaux et civilisatrices).

La partie 3, tout à fait originale, s’attache à définir « l’influence des fresques de Koguryo au Japon, le chapitre 2 procède d’un inventaire raisonné des « œuvres japonaises de style Koguryo » autour de cinq ensembles : la « broderie du mandala[1] de la terre pure » (temple Horyu, à Nara, XIIIe siècle) ; les peintures du « tabernacle aux élytres[2] de coléoptères » (à l’origine très discutée), les fresques de la tombe « de Takamatsu », à Asuka (préfecture de Nara), celles du pavillon d’or du temple Horyu (entre 598 et 606), la peinture à l’ »arbre au tronc double et à l’être céleste volant » sur un socle de statue du Bouddha (623) et celle du « luth en santal[3] rouge à la scène de chasse et de divertissement (408), conservées respectivement dans le pavillon d’or du temple Horyu et dans le pavillon « du trésor du temple Todai ».

De cet ouvrage se dégagent deux conclusions majeures :

1 – S’agissant de la figuration humaine à Koguryo, les fresques des deux premières périodes illustrent l’autorité, le pouvoir et la richesse du défunt. Cependant avec la troisième, apparaît un processus de simplification, corrélative de celle de la structure des sépultures et donc de la surface à peindre. En même temps, le style chinois, dominant à l’origine, se transforme rapidement en style coréen, mais avec des différences notables entre les ères de Pyongyang et de Jian. De surcroît, dans les portraits des défunts, la hiérarchie sociale apparaît très marquée, la taille des personnages variant en fonction de leur statut, tandis que s’exercent une nette influence bouddhique durant les deux premières périodes et une autre, taoïste, dans la troisième. Enfin, la figuration humaine est toujours marquée par l’énergie, la vivacité, la dynamique et la tension.

2 – Concernant l’influence des fresques de Koguryo au Japon, il est clair que celle-ci s’intensifie à partir du VIIe siècle. Ces œuvres japonaises mêlent au style archaïsant de l’art des trois royaumes coréens, surtout de Koguryo, le nouveau style des Tang. L’influence coréenne commande au plus tard au Ve siècle et se prolonge, toujours avec une dominante Koguryo, jusqu’au IXe-Xe siècles.

Très érudit, l’ouvrage apporte ainsi beaucoup d’éléments nouveaux, parmi lesquels, en annexe, le compte-rendu du voyage d’Edouard Chavannes en Chine et en Corée en 1907 (p. 344-351).

 


[1]Mandala, est un terme sanskrit signifiant cercle, et par extension, sphère, environnement, communauté, utilisé dans l'hindouisme, ainsi que le bouddhisme et le jaïnisme. Il est composé des termes sanskrit « manda », signifiant « essence », et « la » signifiant « contenant ».

[2]Aile dure et cornée des insectes coléoptères, qui recouvre l'aile inférieure à la façon d'un étui.

[3] Santal désigne en français certains bois appartenant principalement au genre Santalum, de la famille des Santalacées. Les arbres des espèces produisant ce type de bois poussent naturellement en Inde, au Népal, en Australie, en Nouvelle-Calédonie, au Vanuatu et à Hawaii.