Le voyage au Brésil : anthologie de voyageurs français et francophones du XVIe au XXe siècle

Recension rédigée par Jean Martin


           Cinquième puissance mondiale par l'étendue et par le chiffre de population, occupant le septième rang par l'économie, le Brésil est aujourd'hui classé au nombre des grands pays émergents et va peser d'un poids accru sur la scène internationale. Bien du temps s'est écoulé depuis la première conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), en 1964, où l'économiste Josué de Castro avait brillamment représenté son pays.

Assez paradoxalement, ce pays de langue latine est resté longtemps peu connu des Français qui le tenaient tout au plus pour un colosse aux pieds d'argile. Ceci est d'autant plus regrettable que la francophonie y eut longtemps des positions très solides, du moins dans les élites dirigeantes. Cette influence est sans doute depuis longtemps en déclin mais les écoles françaises restent relativement nombreuses et plus d'un million et demi de Brésiliens sont considérés comme francophones.

L'initiative de la collection Bouquins n'en est que mieux venue de nous proposer une anthologie, un recueil de morceaux choisis des écrivains français qui ont traité de ce pays et nous ont laissé des relations de leur séjour. Ils sont là 63 auteurs, dont certains, il faut bien le dire, et non des moins illustres, tels Victor Hugo, Jules Verne, Paul Eluard, n'ont jamais foulé le sol brésilien. D'autres, comme Arsène Isabelle, Adrien Delpech, ou Emile Carrey n'ont jamais accédé à la notoriété. Il serait vain et fastidieux pour le lecteur de les passer tous en revue, de Manet (dont l'exotisme pictural doit beaucoup au carnaval de Rio auquel il assista en 1849) à Bernanos (qui fut pendant sept ans planteur au Brésil) de Clémenceau au R.P. Lelong, sans oublier Abel Bonnard, Jane Catulle-Mendès, Paul Fort et tant d'autres.

Ces extraits littéraires sont agencés en trois grandes parties: Le Brésil des découvertes, le Brésil du Nord au sud, et enfin Histoire, mœurs et cultures du peuple brésilien. Ces trois parties sont divisées en chapitres thématiques eux-mêmes subdivisés en sous-chapitres regroupant les passages choisis. La lecture s'en trouve facilitée et des notices biographiques des auteurs cités complètent heureusement cet ouvrage, Rappelons toutefois au biographe de Jules Verne (p. 1.210) que Le Crotoy se situe en baie de Somme et non sur la côte normande. Enfin, un index eût rendu de grands services.

La première partie évoque les premiers découvreurs (Gonneville) et les grands voyageurs du XVIIIe siècle, notamment Charles-Marie de la Condamine, membre de la mission de l'Académie des Sciences, qui fut  en 1740 le premier scientifique à descendre l'Amazone après ses observations du Méridien au Pérou.

La sanglante guerre du Paraguay est décrite par Gobineau et surtout par Vallotton (p. 751) et l'historien lira avec intérêt (pp. 721-799) les passages consacrés à l'empereur Don Pedro II, souverain cultivé et libéral qui parvint à imposer l'abolition de l'esclavage aux grands propriétaires. Cette loi d'or de 1888 qui faisait suite à la loi du ventre libre (Loi Rio Branco) de 1871 lui valut de perdre son trône l'année suivante. Le monarque eut cette belle parole:" Je passe mais le Brésil reste ". La monarchie fut ainsi renversée (comme un fruit mûr écrit le journaliste Max Leclerc p. 804) par les forces de la réaction, les fazenderos, l'église et l'armée qui ne pardonnaient pas à Don Pedro la politique qu'il avait suivie.

Vint alors la République qui ne fut pas organisée par la réaction: francs-maçons et positivistes adoptèrent la devise d'Auguste Comte Ordem e progresso et s'entendirent pour rédiger une constitution fédérative et présidentielle largement inspirée de celle des Etats-Unis d'Amérique : les anciennes provinces devinrent des Etats dotés d'une large autonomie, la défense, la monnaie et les relations extérieures restant de la compétence du gouvernement fédéral. Ce régime est bien analysé par le jésuite Yves de La Brière (pp. 806-809). Dans un texte de 1949, (pp. 826-827) Paul Claudel, qui était ministre plénipotentiaire à Rio de Janeiro pendant la Grande Guerre, se targue d'avoir été à l'origine de l'entrée en guerre du Brésil aux côtés des Alliés, le 26 octobre 1917 (en fait la décision fut emportée par le torpillage du navire Parana et aussi par l'exemple des Etats-Unis).

Le chapitre " Identité brésiliennes " (pp. 881-924), donnera quelques sujets de réflexion aux Français qui s'interrogent sur l'identité nationale. Le texte consacré aux femmes brésiliennes (pp. 926) n'apporte que trop de lieux communs : Gobineau juge les femmes cariocas hideuses. On retrouve des constatations sur cet univers désolant des boites de nuit et lieux de divertissements analogues qui, au dire des habitués, se ressemblent tous à travers le vaste monde, si l'on excepte la couleur de peau des jeunes (ou moins jeunes) personnes qui font tapisserie, qui peut évidemment varier de Sao Paulo à Hong Kong. Plusieurs auteurs célèbrent la beauté de la femme noire et déplorent la vulgarité des métisses (p. 947).

Blaise Cendrars voit dans l'évolution du Brésil vers un métissage de plus en plus prononcé, un cinglant désaveu des thèses racistes de Gobineau qui fut ministre plénipotentiaire à Rio en 1869-70. (p. 895). On lira (pp. 840-849) sous la plume d'Henri Coudreau, de bonnes pages sur le contesté franco-brésilien, une affaire qui provoqua quelques incidents dans les relations franco-brésiliennes. Le sort de ce vaste territoire situé aux confins de la Guyane fut réglé en faveur du Brésil, en 1900, par un arbitrage du Président de la Confédération Helvétique (des colons ou plutôt des aventuriers, y avaient fondé une éphémère république du Counani).

Albert Camus ne séjourna au Brésil que pendant trois semaines en 1949 dans de mauvaises conditions de santé. Un extrait de son journal de voyage nous est donné, mais le Brésil lui a inspiré deux nouvelles, " La mer au plus près " (1954) et surtout " La Pierre qui pousse " (1957), la dernière du recueil "L'exil et le royaume" (pp. 601 on trouve le récit d'une excursion à Iguape qui a manifestement été à l'origine de la nouvelle). L'ingénieur français d'Arrast, envoyé pour étudier le projet d'une digue destinée à protéger des inondations les bas-quartiers d'Iguape, dans l'Etat de Sao-Paulo, se lie d'amitié avec un marin des quartiers pauvres. Il se substitue à son ami qui a fait vœu, en action de grâces pour un sauvetage, de porter une pierre de 50 kg jusqu'à l'église mais, à bout de forces, a trébuché en chemin. D'Arrast reprend le fardeau mais il ne portera pas la pierre à l'église, il la déposera dans la case de la famille de son ami, de pauvres gens qui l'inviteront à rester avec eux. Il est impressionné par l'apparition fugace d'une grande fille noire qui lui a servi un verre d'alcool de canne sur un plateau de bambou.

La vie intellectuelle est évoquée pp. 956-985, avec comme il se doit, une intéressante contribution de Roger Bastide. La vie quotidienne des Brésiliens est ensuite décrite. Des textes sur la vie sociale et les usages alimentaires nous apprennent que le riz cuit à l'eau, les haricots noirs au lard (feijoada), la farine de manioc, l'angu (espèce de polenta sans saveur) et la viande séchée font l'ordinaire des Brésiliens en qui Joseph Burnichon voyait en 1910 des gens de mœurs très frugales mais très hospitaliers. Les questions sanitaires sont passées en revue, notamment par Georges Clémenceau et Marie-Thérèse Gadala qui traitent de l'éradication de la fièvre jaune et de la lutte contre la malaria et rendent hommage à l'œuvre du Dr Oswaldo Cruz (pp. 1.044-1.046).

Au chapitre Religions (pp. 1.068-1.115) le lecteur trouvera des informations intéressantes sur la sensibilité religieuse des couches populaires et notamment sur les cultes afro-brésiliens, candomblé et macumba en particulier.  On sait aujourd'hui que Paul Morand n'a pas assisté à la séance de candomblé qu'il nous décrit p.1.107 et le poète surréaliste Benjamin Péret, époux d'une Brésilienne, voit dans Bahia une espèce de " Rome nègre ".
(p. 1.109). Le chapitre " musique et fêtes " nous livre, outre un hommage attendu à
Villa-Lobos, des observations instructives sur ces grandes réjouissances que sont le carnaval et le futebol. Dans le carnaval, André Maurois voit  (p. 1.148) une soupape de sureté, oblitérant temporairement les iniquités sociales par trois journées de licence, et comme telles très appréciées des pauvres, habitants des favelas. Un texte de Roland Fabre de 1954 nous entretient du culte que les Brésiliens vouent aux Dieux du stade. Au pays du Roi Pelé, le ballon rond fait partie de la culture nationale et contribue aussi à l'intégration sociale.

Il manque probablement des auteurs, mais comment prétendre à l'exhaustivité ? Précurseur de Valéry Larbaud, le poète Henry Jean-Marie Levet, qui fut consul de France à la Plata, voyagea au Brésil et Max Jacob a consacré un de ses poèmes à la fondation d'une communauté monastique dans ce pays.

Mais le Brésil restera pour nous lié au souvenir attristé de notre collègue
Maria-Drosila Vasconcellos, professeur de sciences de l'éducation à l'université de Lille, prématurément disparue en 2008. Originaire de Sao Paulo, elle nous avait plus d'une fois entretenu avec émotion de sa terre natale, qu'elle avait du fuir au temps de la dictature. Il est temps, sans plus nous attarder sous les cyprès qui bordent le cours de la vie, de terminer là notre recension.