Gens de guerre au Maroc : suivi de textes inédits

Recension rédigée par Jean de La Guérivière


Quel aurait été le destin littéraire d’Émile Nolly si le capitaine Émile-Joseph Détanger, dont il était le nom de plume, n’était pas mort à Lunéville en 1914 à l’âge de 34 ans, des suites d’une blessure au champ d’honneur ? Il était édité par Fasquelle et Calmann-Lévy. Son roman « Hiên le Maboul » avait été couronné par l’Académie française et repris dans la célèbre collection Nelson ; inspiré par son passé militaire en Indochine. « La Barque annamite : roman de mœurs », publié en 1910, fut réimprimé à plusieurs reprises jusqu’en 1927. En 1910, la Revue de Paris avait sorti en prépublication « Gens de guerre au Maroc », roman-récit autobiographique écrit à la première personne du singulier, celui que L’Harmattan vient de rééditer dans la collection joliment intitulée « Autrement mêmes ».

Inspiré par l’expérience militaire de Nolly, qui avait participé à la prise de Fez, « Gens de guerre » est situé dans le Maroc de 1911. Les titres des vingt chapitres en annoncent le contenu : « Soir de nostalgie », « Sous les murs de Meknès », « Jour de sirocco », « Chez les Zemmours », « Au bivouac », « Soldats indigènes », « Ida, ribaude », etc. Des thèmes essentiels reviennent au fil des pages : le sens de l’engagement loin de la France, le soldat indigène associé à la conquête, la femme.

« Trop longtemps, les jeunes hommes de France ont laissé le sabre au fourreau. L’espoir de dégainer enfin les lames claires, d’ouïr la musique ardente des balles, ranime le feu sacré qui couvait sous la cendre : l’instinct guerrier de la race qu’assoupissaient les éloquents sophismes des pacifistes ». Ces lignes pourraient induire en erreur : Nolly n’est pas un va-t-en-guerre. Sans atteindre la qualité littéraire de Montherlant dans « La Rose de sable », il présente un tableau de la conquête tout en nuance et interrogation.

Le livre commence par un débarquement de Sénégalais sur les quais de Casablanca, « ces soldats noirs qui apportent avec eux tout le mystère des Soudan, des Guinée, des Côte d’Ivoire, des jungles et des forêts où les racolèrent les recruteurs ». Plus loin, l’on lira : « Les peaux noires s’argentent et reluisent, les têtes crépues s’enfoncent entre les épaules comme pour éviter la lame sifflante du sabre ennemi ». C’est un ton d’époque qu’il ne faut pas juger hors contexte.

Il y a dans ce livre quelques passages obligés sur les moukères. Mais aussi de la psychologie quand le narrateur observe une « chanteuse » française dans un bouge et cet « attendrissement secret » qui règne dans l’auditoire. « Cette musique sautillante et saugrenue est une musique d’Europe, cette femme pâle qui se trémousse devant les jets d’acétylène est une femme d’Europe. Il passe, semble-t-il sur ce lambeau de terre marocaine qui est, malgré tout, la terre d’exil, une brise d’Europe ».

Ce qui est devenu cliché après des décennies de littérature coloniale avait un accent neuf quand ce livre parut. Roger Little, directeur de la collection « Autrement mêmes », assure : « Le choix se fait d’abord selon les qualités intrinsèques et historiques de l’ouvrage », mais le spécialiste qui le présente « met en valeur l’intérêt littéraire du texte ». En l’espèce, le présentateur est Gérard Chalaye, docteur ès-lettres, agrégé de l’université, membre, comme Roger Little, de la Société internationale d’étude des littératures de l’ère coloniale (Sielec). « Gens de guerre » est le cent-trente-cinquième ouvrage d’une collection dans laquelle on retrouve Pierre Mille, Jean d’Esme, Maurice Delafosse, Robert Delavignette et bien d’autres. Georges Hardy et André Chevrillon sont parmi les auteurs de « titres en perspective ». Il est beau qu’il se trouve encore des esprits désintéressés pour permettre la lecture de ce genre d’ouvrage autrement que sur de peu alléchants reprints.