Une histoire sociale et culturelle du politique en Algérie et au Maghreb : études offertes à Omar Carlier

Recension rédigée par Jean Nemo


Cet ouvrage relève d’une catégorie bien connue, celle des disciples ou amis qui rendent hommage à leur maître ou ami, parfois qualifiée de « Mélanges ». Ici, vingt-huit de ces disciples ou amis, y compris les deux « éditeurs », se sont fait devoir ou plaisir d’y contribuer. Ils ne sont pas tous historiens mais parfois sociologues, journalistes, illustrateurs ou littérateurs, au bon sens du terme.

Certains collègues historiens ou d’autres critiques ont parfois qualifié Omar Carlier d’ « islamo-gauchiste ». À défaut d’être courtoise, cette appréciation à l’emporte-pièce situe le personnage comme étant plutôt compréhensif pour l’Algérie indépendante et les luttes qui y ont mené. La bibliographie des contributeurs semble indiquer la même sympathie.

Peut-être le nom d’Omar Carlier est-il un peu moins connu du grand public que ceux de Benjamin Stora ou de Mohammed Harbi. Dans sa propre contribution – elle ouvre l’ouvrage – il s’en explique longuement, on y reviendra.

L’homme auquel ces études sont offertes avait soutenu une thèse en 1994, « Socialisation politique et acculturation à la modernité : le cas du nationalisme algérien, de l’Étoile Nord-Africaine au Front de Libération nationale, 1926-1954 ». Depuis, il a dirigé une dizaine d’autres thèses, plusieurs relatives aux luttes pour l’indépendance et d’autres à différents aspects de la vie algérienne. Il continue aujourd’hui à publier, à animer des colloques publics ou radiophoniques. Rien qui pousse à un « islamo-gauchisme » partisan…

Alors que sa bibliographie « officielle » (celle de la BNF par exemple) est plutôt restreinte, l’ouvrage sous revue en propose beaucoup plus : de nombreux chapitres d’ouvrages collectifs, des articles de revue, des préfaces…Une vie active donc, toujours à propos de l’Afrique du Nord, avec prépondérance de l’Algérie.

Dans la présentation générale, « Au shaykh Omar », les deux « éditeurs » écrivent « Daniel Rivet et Omar Carlier nous disaient le Maghreb, et nous amenaient à le penser. Cours magistral pour l’un, travaux dirigés pour l’autre… ». Travaux dirigés donc par Omar Carlier. Lequel a joué un rôle actif dans l’élaboration de l’ouvrage : « … il y a insufflé une vigueur, son goût de vivre… ». Ce, afin de constituer un collectif de chercheurs des deux rives méditerranéennes, chercheurs débutants ou confirmés.

Contrairement donc à d’autres ouvrages de « mélanges offerts à… », le maître et l’ami auquel ils sont offerts ici en a été le véritable maître d’œuvre. Il s’en explique d’ailleurs, en tête de l’ouvrage, sous le titre « Devenir historien de l’Algérie ». Il y rappelle son parcours, depuis le temps de ses années de volontaire du service national, en 1969 et 1970 à l’université d’Oran. Au cours de cette période, il passe des livres au « réel », avant d’enseigner il apprend, il va rapidement sur le terrain pour y enquêter et en découvrir la complexité. Il entremêle intelligemment sa passion des archives, le terrain et les écrits, il « explore au présent un monde d’hier en devenir ». À la fin de son « parcours naïf dans le jardin d’Alice au pays des merveilles », il rappelle que l’histoire, tout comme la sociologie, est un « sport de combat ». Non pas, si on le comprend bien, un engagement idéologique mais un métier difficile où l’on doit apporter sa pierre et encourager de nouveaux talents à apporter les leurs…

Et au passage rappeler les grands anciens, tels Ageron, Aron, Berque, Julien, Massignon qui lui ont tracé le chemin, un chemin qui lui a malheureusement fait perdre quelques années d’enquêtes de terrain, celles pour lesquelles il était fait : « un pays, des terroirs, des hommes et des femmes ordinaires…des manières de vivre (et de mourir)… ».

Pour terminer cette revue des « études offertes à Omar Carlier », on rappellera qu’il fut l’un des signataires d’un appel au président Sarkozy alors en visite à Alger, paru dans Le Monde, pour reconnaître « la responsabilité de la France dans la tragédie coloniale », qui du côté français portait les signatures des Stora, Manceron, Meynier, Frémeaux… et, du côté algérien, celles des Harbi, Carlier, Merouche…Par « islamo-gauchisme » ? Vaine question ici, Car Omar Carlier met « au point une méthode d’enquête…intuitive d’abord, empirique ensuite, rationalisée, systématisée et élargie enfin ». Mais surtout, il cherche à former des chercheurs capables de le dépasser, tant sur le fond que sur les méthodes.

Laissons maintenant la parole à ceux-ci. Comme il est d’usage dans tout travail collectif, ils se sont proposé un ou plusieurs axes.

Tout d’abord « les lieux, habits et rituels du politique », remontant parfois loin : à titre d’exemple de ces courtes monographies le peuplement du Touat aux XIVe et XVe siècles, l’histoire de la statue du duc d’Orléans à Alger…

Ensuite « le Maghreb en débat entre les empires, les revues et les arts », qui évoque l’espace maghrébin (y compris l’Égypte) dans sa totalité, toujours sous forme de courtes monographies.

Puis vient « l’histoire sociale et culturelle de la guerre d’indépendance en Algérie », toujours sous forme de courtes monographies, vue par des contributeurs qui en exposent certains aspects en véritables historiens chroniqueurs (l’attaque de la poste d’Oran en 1949, Alger ville en guerre en 1956-1957, les fêtes de l’indépendance…).

Dans la dernière partie, consacrée à l’Algérie post-coloniale, on pourra regretter l’absence de toute contribution relative à la sanglante décennie des années 1990. On notera une contribution qui constate et s’efforce d’expliquer les incohérences démographiques quant au nombre des victimes algériennes de la guerre.

Bref, un ouvrage intéressant que l’on peut parcourir en sautant d’une contribution à l’autre mais qui, tout en éclairant le lecteur sur tel ou tel aspect politique, culturel, local, ne traite évidemment pas de l’histoire, de l’ethnologie ou de la sociologie de « synthèse ». Ceci n’est certes pas une critique sur le fond, ces disciplines ne se bâtissent pas sans ce genre de monographies. Celles-ci ne constituent-elles pas les pierres à partir desquelles on construit le ou les monuments.

On retiendra surtout la première contribution, « Devenir historien de l’Algérie », celle où le dédicataire explique ses parcours d’historien de terrain, de remords successifs, d’animateur de jeunes chercheurs.