Sociologie et sociolinguistique des francophonies israéliennes

Recension rédigée par Joëlle le Morzellec


Cet ouvrage, publié en 2013, à Francfort, chez Peter Lang, sous la direction de Eliezer Ben-Rafael et Miriam Ben-Rafael, a pour origine une commande faite aux deux auteurs en 1985 par le Bureau d’Action linguistique dépendant de l’Ambassade de France à Tel-Aviv qui souhaitait que soit menée une enquête sur la sociologie de la présence du français en Israël. Commande renouvelée en 2009 par le Conseiller culturel de l’Ambassade et le Consul général à Tel-Aviv.

Dans cette étude, très fouillée, les auteurs ont cherché à cerner la place et la fréquence d’utilisation de la langue, ainsi que les significations de la notion de francophonie dans une société où le français est langue minoritaire et d’immigration pour environ 5 % de la population (page 11).

Commençant par évoquer la langue parlée par les immigrants provenant d’Afrique du Nord, de condition souvent défavorisée, ou moyenne, puis les immigrations plus contemporaines, notant que la pratique linguistique en Israël a donné naissance à un langage hybride, le franbreu, à l’image de ce qui s’est produit avec l’anglais, l’hebrish, ou le russe, hebrush, les auteurs abordent ensuite le contexte actuel de la mondialisation où la langue française est considérée comme une langue étrangère utile à apprendre.

L’étude sollicite beaucoup l’histoire : elle revient sur la présence juive en France attestée depuis le Ier siècle (page 33), retrace le passé en Afrique du Nord et décrit la situation actuelle du judaïsme en France (page 40). Puis elle présente la société israélienne dans ses aspects démographiques et socioculturels contemporains (page 45 et sq.). L’hébreu ayant peu de rayonnement hors d’Israël, les langues étrangères sont donc nécessaires pour communiquer, et l’anglais est accepté sans réserve comme langue de communication internationale (page 48). Cependant l’acquisition du français y est appréciée.

Suit un inventaire des ressources linguistiques en Israël, véritable mosaïque de langues parlées, selon l’origine des individus et leur contexte social (page 59), étude précise, analytique et quantifiée.

Dans une seconde partie, l’ouvrage s’attache aux aspects sociologiques de la francophonie en Israël. Sont rappelés les efforts de la France pour maintenir des services culturels nombreux, certains récents (page 76 et sq.) et l’enseignement de la langue, en difficulté par rapport à l’anglais. Une étude, particulièrement originale, menée à Natanya, ville située au bord de la mer et proche de Tel-Aviv, où les courants migratoires les plus récents, en provenance de France, ont trouvé un point d’ancrage (page 123), fait apparaître que le français occupe un large paysage que l’on découvre dans tous les aspects de la vie courante : enseignes, affiches, noms de magasins, restaurants, hôtels, y compris le nom de synagogues, etc. Enfin les auteurs démontrent que le français, dans le contexte de la mondialisation, a acquis une place importante, sans doute la seconde après l’anglais, devançant l’arabe, l’espagnol et le russe (page 133 et sq.), car langue utile, de culture et considérée comme la preuve d’un certain statut social.

La troisième partie de l’ouvrage s’adresse davantage à des linguistes de métier, et connaissant l’hébreu. Elle s’appuie sur des entretiens individuels conduits avec des francophones apprenant l’hébreu et des hébréophones parlant français, ainsi que des débats entre professionnels des langues. L’enquête fait apparaître l’introduction de mots hébreux dans les différentes variétés de français parlé selon le contexte retenu, et même l’influence d’autres langues, outre l’hébreu, sur le lexique, la syntaxe, la grammaire, etc. Elle présente, en détails, le franbreu, hybride de français et d’hébreu (page 154 et sq.), en s’appuyant sur des conversations où l’ordre des mots dans la phrase se modifie dans une sorte d’interpénétration des deux langues et où les mots et expressions dans les deux langues se mélangent. Cette dernière partie est remarquable et témoigne de l’imagination et de l’inventivité langagière et conversationnelle des locuteurs : le test de la grenouille (page 189) en apporte la preuve.

Une bibliographie importante conclut l’ouvrage.

En résumé, cette étude, qui fait un bilan, relativement positif, de la situation du français et de la francophonie en Israël, est une contribution scientifique, riche, précise, et sans doute unique, sur l’état actuel de la langue dans un pays où la variété des idiomes parlés est considérable.