Les Arabes, leur destin et le nôtre : histoire d'une libération

Recension rédigée par Christian Lochon


            Jean-Pierre Filiu, actuellement professeur de l’histoire du Moyen-Orient contemporain à Sciences-Po Paris, avait servi auparavant au Proche-Orient comme diplomate dans plusieurs pays arabes et sa connaissance du terrain est d’autant plus profonde qu’il est un parfait arabisant.

Cette expérience lui permet dans cet essai  comparatif entre les deux rives de la Méditerranée de nous livrer les clés d’une histoire commune aux peuples français et arabes faite de rapprochements et de désaffections auxquels on a donné des appellations à connotation manichéenne. En fait, comme l’auteur le rappelle, des liens permanents ont été maintenus entre les prétendus antagonistes durant les Croisades, l’expansion de l’Empire ottoman en Europe, les guerres coloniales, les conflits issus de l’arabisme et actuellement de l’instrumentalisation politique des religions.

Jean-Pierre Filiu soutient son argumentation avec un clin d’œil aux quatre vignettes du Panthéon sur le sujet ; l’une montre le Patriarche (orthodoxe) de Jérusalem offrant les clés de la ville à Charlemagne en 800 ; la deuxième, la tombe provisoire de Louis IX mort à Rosette en 1270 ; la troisième, la signature des Capitulations (Traité de Coopération) signé en 1536 entre François Ier et le Sultan de Turquie Soliman ; la quatrième, le consul de France à Alep en 1680, le Chevalier d’Arvieux connu pour ses cartes de la Syrie. L’expédition de Bonaparte en Egypte en 1798, comprenant 300 navires, 30.000 hommes de troupe et 177 savants, amorcera à partir de 1820 une coopération culturelle avec Le Caire qui durera jusqu’en 1953 et sera dénoncée par Nasser. En juin 1913, le premier Congrès panarabe se tiendra au siège de la Société de Géographie de Paris et rassemblera la plupart des hommes politiques qui lutteront pour l’indépendance de leur pays.

            L’évolution du monde arabe s’y découvre selon trois axes ; tout d’abord, chacun des pays arabes est étudié dans sa spécificité ; puis la critique de certains dirigeants enrichis par la vente des hydrocarbures et qui soutiennent une lutte contre la modernité ; enfin, note d’espoir, la naissance des « Lumières » arabes au XIXe siècle au cours de la Nahda (Renaissance des Lettres arabes) et la poursuite de cette émancipation intellectuelle au XXIe siècle qui finira bien par s’imposer aux régimes retardataires.

            La Ligue des pays arabes est créée en mars 1945 par l’Egypte, la Syrie, le Liban, l’Irak, la Transjordanie, l’Arabie saoudite et le Yémen. Elle rassemble aujourd’hui 22 états. Elle deviendra rapidement un lieu d’affrontements au moins verbaux car de 1949 à 1969, une série de coups d’Etat en Syrie, en Irak, en Egypte, en Tunisie, en Algérie, au Yémen, conduira à l’installation prolongée de régimes militaires, peu soucieux de l’intérêt des populations. En octobre 1973 le conflit permanent israélo-palestinien amènera l’Arabie saoudite à réduire les livraisons de pétrole tout en augmentant les prix de façon vertigineuse ce qui risquera de mettre en péril les économies occidentales.

En 1979, le renversement du Chah à Téhéran et la prise de pouvoir par des religieux hostiles à l’Occident, créeront aussi  une menace pour le monde arabe du fait de la relance de la « fitna » (guerre de religions) entre pays arabes sunnites et chiites qui a fait imploser partiellement l’Irak, la Syrie et le Yémen. En 1979, également, l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS livrera ce pays aux Talibans et en fera la base d’Al Qaïda. En 2011, des manifestations monstres notamment de jeunes gens réclamant plus de liberté et plus de développement économique vont ébranler le Maroc, la Tunisie, la Libye, l’Egypte, la Syrie ; elles seront pour la plupart étouffées par des mouvements réactionnaires et salafistes ; les Frères musulmans gagneront en partie les élections au Maroc, en Tunisie, en Libye, en Egypte. Il n’y a guère qu’en Tunisie que la classe moyenne (70% de la population) a pu se défendre et imposer un régime libéral mais qui est très menacé.

            L’Algérie aura connu une décade meurtrière causant 150.000 victimes entre 1990 et 2000 après l’interruption des élections qui avaient porté le F.I.S. au pouvoir. Tétanisées, les forces vives subissent avec un président moribond les effets d’une économie déstabilisée  dirigée par des généraux (comme cela était en Birmanie) accaparateurs. La Libye
post-kadhafienne a sombré dans le chaos tribal et confessionnel. L’Egypte, après le renversement des Frères musulmans, est à nouveau gouvernée par un régime militaire qui défend mollement la communauté copte menacée par des musulmans extrémistes. L’Arabie saoudite et le Qatar ont soutenu les milices « takfiristes » au nom du sunnisme et de l’iranophobie, mais maintenant les premiers privilégient les regroupements salafistes et les Qataris Daech. Cette situation a conduit la moitié des Irakiens et des Syriens à fuir dans les pays voisins ou en Europe dans des conditions inhumaines.

Le Liban est submergé de réfugiés syriens (1,5 million) tandis que les Palestiniens maintenus dans des camps depuis 1948 se mettent au service des groupes islamistes. Le conflit israélo-palestinien dure depuis 1948. En novembre 1947, une résolution de l’ONU avait divisé le territoire de la Palestine en deux états, israélien et palestinien. Le gouvernement israélien a tout fait pour empêcher la naissance d’un état palestinien, pourtant reconnu par une majorité de pays et ayant un siège d’observateur aux Nations Unies ; la tension
inter-palestinienne entre les autorités de Gaza et de Cisjordanie, le dépeçage pérenne par la création de nouvelles colonies juives des Territoires occupés laisse de moins en moins d’espoirs aux citoyens palestiniens d’avoir enfin une patrie.

Par ailleurs, les revenus imposants du pétrole permettront aux dictateurs locaux, prétendument « progressistes », voire « laïques » (sic) de se maintenir au pouvoir en distribuant des aides sociales, en important d’énormes quantités de blé et en réduisant le prix du pain et des denrées de base de la consommation. L’Algérie continue à le faire, d’autres états en suspendant ces subventions ont entraîné des révoltes populaires.

Quant à l’Arabie saoudite et aux états du Golfe, qui firent venir des millions de travailleurs immigrés du Maghreb, d’Egypte, de Syrie, de Jordanie, d’Irak, ils imposèrent des marqueurs identitaires archaïques ou inventés comme les tenues islamiques, (« qamis » et barbe des hommes, hijab des femmes), la pratique obligatoire des prières publiques accompagnée de l’amplification sonore de l’appel à la prière ou la promotion de l’équivoque « finance islamique ».

            On comprendra combien difficiles à assumer dans ces conditions ont été les tentatives d’émancipation politique, culturelle, sociale, commencées au XIXe siècle avec la Nahda puis constamment reprises jusqu’à aujourd’hui. Il est donc nécessaire de soutenir moralement les réformateurs arabes souvent assassinés par les services de renseignements des dictateurs comme Samir Kassir, qui prônent la naissance d’une nouvelle société arabe ; Jean-Pierre Filiu connaît bien tous ceux et celles au Moyen-Orient qui veulent faire bouger la société, promouvoir la citoyenneté, donner aux femmes l’égalité des droits.

Avec raison, il conclut : « Les bourreaux ne partiront jamais d’eux-mêmes, il faudra les renverser. Les Arabes le savent, et, à défaut de notre concours, ils aspirent au moins à notre compréhension. Il en va de notre avenir commun et de notre liberté à tous. ». Les événements dramatiques que la France a connus en 2015 devraient nous convaincre définitivement que nous partageons le destin de nos voisins arabes.

            On sera reconnaissant à l’auteur d’avoir ajouté une carte régionale (pages 92 et 93), une sélection bibliographique de 29 auteurs (pages 249 à 251) et un index de 191 personnalités citées dans l’ouvrage (pages 253 à 258).                                                                                                 



 
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