Vous irez porter le fer et la flamme : les corsaires français de la Révolution française et du Premier Empire en Caraïbe (17903-1810)

Recension rédigée par Jean Martin


            Originaire du Lamentin, localité portuaire de la Guadeloupe, Myriam Alamkan se consacre à la recherche en histoire maritime et en archéologie navale, domaines dans lesquels elle a publié plusieurs articles et participé à divers colloques.

            La période des guerres de la Révolution et de l'Empire vit l'arc caraïbe devenir un important théâtre de la guerre de course. Dès le 14 mars 1793, la nouvelle de la déclaration de guerre à l'Angleterre et aux Provinces-Unies était parvenue en Guadeloupe.

            La marine de guerre française, mal commandée, mal équipée, désorganisée malgré les efforts du représentant Jeanbon Saint-André et de quelques autres, n'était guère en état de lutter efficacement, en ces mers lointaines, contre l'adversaire de toujours, et les îles n'avaient d'autre moyen de défense qu'en armant à la course. Myriam Alamkan a entrepris de nous retracer, en 26 chapitres, les activités et les exploits de ces corsaires entre 1793 et 1810. Elle nous en donne une relation chronologique très détaillée avec textes et documents à l'appui. Dès le début des hostilités, le gouverneur Georges Collot fit appel aux planteurs pour armer un navire " Le Vengeur "[2] , commandé par le capitaine Jean-François Landolphe, à qui ses expéditions à la côte d'Afrique avaient valu une certaine notoriété, mais cette croisière ne fut pas un succès et au début de 1794, la France était en voie de perdre toutes ses possessions dans la Caraïbe.

            Une figure étonnante allait dominer la période révolutionnaire à la Guadeloupe. Celle de Victor Hugues, personnage haut en couleurs, originaire de Marseille, mais apparenté à de grands planteurs de Saint Domingue. On l'avait connu boulanger à Port au Prince puis capitaine de navire marchand et enfin accusateur public auprès du tribunal de Rochefort. Appelé par la Convention au commandement d'un corps expéditionnaire d'un millier d'hommes, il avait reçu pour mission de reprendre possession des Petites Antilles avec le titre de " commissaire civil de la république aux îles du Vent ".  (Il y avait en fait deux commissaires, mais l'autre, Pierre Chrétien, mourut dès le 16 juin. Il fut remplacé en 1795 par un nommé Antoine Lebas qui se contenta d'un rôle de contreseing). Débarqué au Gosier en juin 1794, Victor Hugues promulgua aussitôt le décret du 16 pluviôse An II abolissant l'esclavage, lequel fut remplacé par le régime du " Travail libre obligatoire ". En quelque huit mois, il parvint à bouter hors de la colonie la garnison anglaise, pourtant forte de plusieurs milliers d'hommes et fit impitoyablement massacrer un bon nombre de grands colons royalistes, dont beaucoup avaient pactisé avec l'ennemi, tandis que les autres s'enfuyaient dans les îles anglaises. En décembre, la Guadeloupe était totalement évacuée. Pendant quatre ans, (1794-1798), l'énergique proconsul marseillais fit  régner dans l'île une sorte de dictature de Salut Public, caractérisée par la vente des biens des planteurs créoles émigrés ou exterminés et surtout une intense guerre de course.

            On sait que la course était une activité légale. Le corsaire, armateur ou capitaine, (certains ont cumulé ces deux fonctions) est un " entrepreneur de guerre " : il pratique, à titre privé, la guerre sur mer contre les adversaires de sa nation et sa part du bénéfice des prises lui sert à entretenir son bâtiment et à rétribuer son équipage, le reste du butin étant versé au trésor de la colonie. Mais un jugement du tribunal de commerce était nécessaire pour enregistrer ces prises et les valider après avoir vérifié leur régularité (déclaration de bonne prise) et surtout pour procéder à leur répartition entre les bénéficiaires. Bien qu'il existât une législation nationale en la matière, Victor Hugues avait réglementé l'activité des corsaires particuliers qu'il convient de distinguer des " corsaires de la République " montant des navires armés par la colonie et généralement chargés d'acheminer le courrier de l'administration ou de conduire des émissaires officiels à destination.

            Le lecteur trouvera au chapitre V, p. 49 et suivantes, de précieuses informations sur les armateurs guadeloupéens et sur le type d'embarcations affectées à la course : goélettes, balaous (appellation locale des schooners), bricks, sloops de cabotage  (ou de contrebande) dits bermudiens, ou encore fortes pirogues. L'obtention d'une caution était subordonnée à la remise d'une importante caution à l'officier du port et l'armement d'un navire à la course était une opération particulièrement onéreuse (p. 53).

            Les capitaines devaient être porteurs d'un document appelé commission ou encore lettre de marque mais la délivrance de ceux-ci ne tarda pas à donner lieu à des abus et à des falsifications. Le Directoire réagit tardivement contre cette pratique par un arrêté du
13 thermidor an VI (31 juillet 1798) dont on peut penser qu'il ne fut pas d'un grand effet (chapitre X).

            Le 18 août 1796,  (1er fructidor An IV) Victor Hugues et Lebas déclaraient vouloir porter le fer et la flamme  dans l'ensemble des îles Vierges. Cette proclamation belliqueuse, qui a inspire le titre de l'ouvrage, peut surprendre puisque les relations de la Guadeloupe avec les colonies danoises, relevant d'une puissance neutre,  étaient assez bonnes. Hugues avait placé des agents spéciaux à Saint Thomas et Sainte Croix, ce qui n'avait pas empêché les corsaires de capturer des bâtiments danois. La menace se transforma en un arrangement commercial : échanges de sucre provenant des " habitations nationales " de la Guadeloupe contre diverses denrées notamment de la farine. Il y eut encore des prises danoises mais le tribunal ordonna la mainlevée de plusieurs d'entre elles.

            Avec les Etats Unis la situation était plus sérieuse: les corsaires avaient capturé de nombreux bâtiments américains ce qui entravait le commerce de la jeune république: il y eut même à partir de 1798 un état de " quasi-guerre " entre les deux puissances. L'un des faits les plus notables fut la capture de la frégate française " L'Insurgente" par le USS
" Constellation " 9 février 1799. L'année suivante, le traité de Mortefontaine (20 septembre 1800) mit fin à cette quasi guerre, deux ans avant le Traité d'Amiens.

            Bien que représentant du gouvernement, Victor Hugues avait placé d'importants capitaux personnels dans des armements à la course. Nous trouvons p. 33, mention de huit bâtiments (dont l'un porte le nom, d'une triste actualité, de « Terroriste »!) dans l'armement desquels son nom figure pour des montants parfois considérables. Il fut à plusieurs reprises, et non sans quelque vraisemblance, soupçonné d'avoir puisé dans les caisses de la colonie et détourné à son profit une partie des revenus de la course, mais Myriam Alamkan n'est pas très affirmative à ce sujet. Il est certain qu'en 1798, son successeur, le général Etienne Desfourneaux, constata que les caisses étaient vides et que les écritures comptables avaient disparu, ce qui permet de se poser des questions. Le Directoire ne lui retira pas sa confiance pour autant (il était protégé de Talleyrand) puisqu'il fut bientôt nommé agent particulier en Guyane où il continua  à encourager la course. En 1808, le capitaine corsaire Alexis Grassin fut décoré de la Légion d'honneur (rappelons à cette occasion, p. 239, que Napoléon n'était pas empereur en 1802).

            Le 5 février 1810, la Guadeloupe, dernière colonie française d'Amérique, tombait aux mains des Anglais (La Martinique et la Guyane avaient été occupées l'année précédente) mais à cette époque, si les Antilles n'armaient plus à la course,  les corsaires de Saint Malo, Lorient et Bordeaux apparaissaient encore dans la mer Caraïbe.

            Les hostilités entre la France et l'Angleterre au temps de la Révolution et de l'Empire ont été comparées à la lutte d'un éléphant contre une baleine. L'image a certes beaucoup servi. Il y eut des épisodes de la guerre sur mer qui ne se résument pas tous à Trafalgar ni aux exploits de Surcouf et des autres corsaires du Port Louis, qui ont inspiré une assez abondante littérature. Le mérite de l'ouvrage de Myriam Alamkan, dont on peut regretter qu'il n'ait pas été relu avec soin, surtout du point de vue de l'orthographe et de la syntaxe, est de nous éclairer sur un aspect peu connu de la guerre de course dans les petites Antilles.                                                                                                    

 


[2] Qui ne doit pas être confondu avec le vaisseau de 74 "Le Vengeur-du-Peuple"  (ex-Marseillois) coulé dans les combats de prairial, dont le nom est resté célèbre dans la légende révolutionnaire.