Arabesques littéraires : l'empire arabe et l'empire chinois en 750

Recension rédigée par Christian Lochon


            L'empire arabo-musulman s'est développé également vers l'Est dès le VIIe siècle et les populations résidant sur la Route de la Soie ont été en partie islamisées sous l'empire abbasside. A partir du VIIIe siècle, les Chinois ont été refoulés d'Asie Centrale puis du Sinkiang par les armées arabes et contenus jusqu'à la fin du XIXe siècle. Nous avions recensé dans ces colonnes en 2006 l'ouvrage bien documenté de Dominique Farale Talas Expansion musulmane en Asie Centrale (Paris, Economica, 2006) qui décrit cette période et ces batailles. La recherche de Monsieur Lupascu, historien des religions à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris, est consacrée aux rapports religieux, politiques et culturels entre la dynastie des Abbassides (750-1258) et celle des T'ang (618-907). Trois des six chapitres sont consacrés à l'empire abbasside, l'un au mythe pan asiatique de la lumière et les deux derniers à la vie intellectuelle chinoise médiévale ; la conclusion est consacrée à l'influence de Confucius et à son symbole de la Licorne.

            Rappelant la conquête du pouvoir par les Abbassides sur leurs cousins Ommeyades, l'auteur analyse en amont les luttes intertribalesd'Arabie du Sud, qui se réclament d'un ancêtre éponyme Qahtan et leurs homologues d'Arabie septentrionale se  revendiquant d'Ismaël, fils d'Abraham ; il y eut également, à l'époque de Mohamed, une concurrence pour le pouvoir entre les « Muhajirun » (Exilés) ayant quitté La Mecque avec le Prophète et les « Ansar » soutenant ce dernier à Médine. Les Abbassides s'appuieront moins sur l'appartenance ethnique à l'arabité et plus sur les nouveaux convertis persans à l'islam. Dans la région actuelle du Sinkiang, à partir du VIe siècle, les Turcs venant des Monts Altaï renversent les principautés persanes sogdiennes ; il en naîtra un syncrétisme artistique turco-sogdien admiré jusqu'à Byzance qui importait de cette région les robes de soie rouge, les bourses, les ceintures en grande quantité. On sait que ce sont des prisonniers chinois qui livreront le secret de la fabrication de la soie. Les fresques des anciens palais royaux de Samarcande en témoignent. Les Sogdiens avaient été aussi les promoteurs du bouddhisme en compétition avec le taoïsme, le manichéisme et le christianisme nestorien dans l'espace chinois du Ier au VIIe siècles.

            Venant de l'Ouest, le gnosticisme hellénistique puis sa version égyptienne de la bibliothèque de Nag Hammadi, découverte en 1945, dont les 52 Traités décrivirent la
ré-identification ontologique du soi avec l'Unité divine la libération de l'homme par la connaissance, influenceront la théologie soufie ; ces principes traduits du grec seront, après avoir été transcrits en araméen, accessibles en arabe. Les Sabéens de Harran (Anatolie actuelle), dont parle le Coran, seront précisément ces monothéistes sémitiques qui auront adopté la cosmologie grecque. Aux VIIIe et IXe siècles, les théologiens chrétiens et musulmans se livreront à de nombreuses études comparatives ; ainsi, le Coran n'aurait pas été transmis par l'Archange Gabriel mais par le moine Bahira à Mohamed afin que les Arabes abandonnent le polythéisme. Le docétisme (en arabe « diqtaniyya »), qui enseignait que Jésus n'était pas mort sur la croix mais qu'on lui avait substitué Simon de Cyrène, a influencé la version coranique.

            Le soufisme aura joué un rôle important dans la diffusion de l'islam ; il enseignera la hiérarchisation des humains par la grâce divine et une lecture initiatique du Livre révélé comme dans les versets 29 et 30 de la sourate XIV qui décrivent l'Arbre de la Gnose. Les Soufis adopteront aussi des concepts hindouistes comme Azizuddin Al Nasafi (XIIIe s.) qui, sans sonLivre de l'Homme Complet décrit l'alchimie de la nourriture, en fait inspirée du Taittiriya Upanishad en ces termes: « Brahman est nourriture, atman est nourriture », exprimant la vénération qu'on doit porter à la nourriture, dynamique du métabolisme. La force de l'homme vient du fait qu'il ne doit manger qu'une fois par jour des aliments sains tout en menant une retraite mystique qui consiste en peu parler, peu manger, peu dormir. Nasafi reprend également les concepts manichéens de la lumière et des ténèbres, qu'il considère, pour rester dans l'orthodoxie, comme égales créations de Dieu.

            Quant à Confucius, il représente la voie du « monarque non couronné » ; sa doctrine de l'empathie profonde pour régénérer l'humanité est développée sous la dynastie des Han de l'Est (années 25 à 220) comme celle de postuler l'interdépendance entre l'histoire et l'éthique. Les Cinq Livres Classiques des Hymnes, des Documents, des Changements, des Rites et des Annales Printemps Automne, attribués au Maître et à ses disciples, seront adoptés comme doctrine officielle de la Chine, ainsi que la cosmologie Yin / Yang « qui a des continuités et des saisons, des limites et des mesures ». Il semble, en conclusion, qu'en Orient comme en Occident, le problème du Créateur se pose dans les termes qu'emploie Tzu Kung : « Le Ciel
a-t-il jamais parlé ? Néanmoins, il met en mouvement les quatre saisons et les myriades d'êtres reçoivent le don de la vie de sa part.»

            L'ouvrage est dense, l'auteur d'une grande érudition comparatiste qui oblige le lecteur à faire appel à une attention constante. On regrettera cependant les assez nombreuses erreurs syntaxiques sur le genre des mots, l'oubli d'articles, les fautes d'accord substantif / adjectif (cf. page 138 « ce ne sont pas de fausse mots »). Quant au texte de la page 139, il devient illisible par sa rédaction négligée et la longueur de certaines phrases. On félicitera par contre l'auteur pour sa bibliographie très diversifiée (p. 161 à 177), ses deux index exemplaires des noms propres (p. 179-188) et des termes techniques (p. 189-211).                                                                                                     

 



 
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