Charles de Foucauld, 1858-1916 : biographie

Auteur Pierre Sourisseau
Editeur Salvator
Date 2016
Pages 719
Sujets Foucauld , Charles de
1858-1916
Biographies
Cote 60.884
Recension rédigée par Paul Coulon


            Le centenaire de la mort de Charles de Foucauld, à Tamanrasset (Sahara), le 1er décembre 1916 a été salué par une floraison d’ouvrages dont la presse a moyennement rendu compte sous des titres divers : « Charles de Foucauld, une existence hors du commun » (La Croix), « Foucauld, itinéraire vers le ciel » (L’Est républicain), « Les trois vies de Charles de Foucauld » (Valeurs actuelles), etc.

            S’il ne fallait retenir qu’un seul ouvrage pour ce centenaire, nul doute que ce serait celui de Pierre Sourisseau ici recensé. Un journal l’a présenté comme « une biographie hagiographique très complète » : dans la mesure où le qualificatif « hagiographique » signifie « excessivement élogieux » (Le Robert), c’est faire injure à ce remarquable ouvrage d’histoire, au sens fort, de 719 pages, qui reposent sur trente-cinq ans de travail à partir de l’ensemble des archives « Charles de Foucauld » dont l’auteur était chargé. De plus, il offre un intérêt tout particulier pour notre Académie puisque Charles de Foucauld a correspondu à maintes reprises avec le journaliste Paul Bourdarie (rencontré également par trois fois),
celui-là même qui eut l’initiative de créer une société savante spécialisée dans les problèmes de l’outre-mer dont il allait être le premier secrétaire perpétuel, l’Académie des sciences coloniales, devenues en 1957 l’Académie des sciences d’outre-mer.

            Un monument biographique

            Certes, de très nombreux ouvrages ont été publiés sur cet homme étonnant et sur son parcours, parmi lesquels on signalera le Charles de Foucauld de René Bazin paru dès 1921, déjà remarquablement bien informé, et l’itinéraire spirituel de Charles de Foucauld de François Six paru au Seuil en 1958, qui a marqué une date. Mais dans l’ouvrage de Pierre Sourisseau nous avons autre chose, un monument biographique qui décrypte patiemment le chemin (pas simple) de l’homme, du militaire, de l’explorateur, du moine, de l’ermite, du linguiste : rien n’est affirmé qui ne soit appuyé sur des documents dont les
références remplissent les notes. Il fallait une grande science, une grande
patience et un grand talent de synthèse pour offrir aux chercheurs comme au
public cette biographie de référence retraçant la trajectoire humaine, spirituelle et missionnaire de ce personnage hors du commun.

            Jeunesse, armée et explorations

            Né à Strasbourg le 15 septembre 1858, Charles de Foucauld a connu de multiples vies. Après des études chez les Jésuites, il intègre Saint-Cyr, l’école de cavalerie de Saumur, puis un régiment de Hussards à Pont-à-Mousson. Il se fait remarquer par sa vie mondaine et son manque de discipline : sur ce sujet, Pierre Sourisseau fait bien le point sans en rajouter. Son affectation en Algérie où il se lie d’amitié avec Laperrine, marque un tournant dans sa vie. Il découvre la culture locale, le monde arabe et l’islam. Voulant s’engager pour une grande cause, il quitte l’armée, s’intéresse à la cartographie, apprend le berbère. Il effectue deux voyages d’exploration, un voyage de 11 mois au Maroc et un voyage dans le sud algérien et tunisien (1883-1884).

            L’homme insatisfait qu’il est voit sa vie transformée lorsque, de retour à Paris, en octobre 1886, il rencontre l’abbé Huvelin, à la paroisse Saint-Augustin, qui le fait entrer dans son confessionnal (Deux mois plus tard, à Noël, près du pilier de Notre-Dame, c’est la vie de Paul Claudel qui se verra également « retournée »…).

            La vie de Charles ne sera plus jamais la même, même si son itinéraire va se révéler long et compliqué. Charles veut désormais conformer sa vie à celle de Jésus à Nazareth. Il opte pour la vie religieuse, et met un terme à sa carrière d’explorateur par la publication en 1888 de sa Reconnaissance au Maroc (1883-1884) - Texte et Atlas dont la qualité scientifique est unanimement reconnue et lui donne une notoriété certaine.

            La recherche monastique

            Charles se cherche. Il visite la trappe de Fontgombault, voyage en
Palestine, effectue une retraite à Solesmes, puis à la Trappe de Soligny… il veut être cistercien mais en Palestine. La trappe de Notre-Dame des Neiges ayant une fondation en Syrie, il rejoint le monastère ardéchois en 1890. Charles, devenu Frère Marie-Albéric, commence une période trappiste de 7 ans. Après 5 mois à Notre-Dame des Neiges, il part à Notre-Dame du Sacré-Cœur en Syrie où il fait profession en février 1892. Il démissionne officiellement de l’armée et entreprend des études théologiques. Mais il cherche encore sa voie, guidé par l’abbé Huvelin, le père Eugène, Dom Polycarpe... Il quitte la Syrie pour la trappe de Staoueli en Algérie, puis il est envoyé faire des études à Rome.

            Mais une autre aventure religieuse l’attire : l’imitation de Notre Seigneur dans sa vie pauvre et cachée. Il quitte la Trappe en 1897 pour la Terre Sainte : il vivra en ermite pendant trois ans au service des Clarisses de Nazareth et de Jérusalem. Il écrit la règle des Ermites du Sacré-Cœur de Jésus, Fraternité vouée à l’adoration et pour fonder un ermitage, envisagera même d’acheter le Mont des Béatitudes. Il rentre en France, revoit l’abbé Huvelin, puis Notre-Dame des Neiges et se prépare au sacerdoce. Il demande l’incardination au diocèse de
Viviers. Après un bref voyage en Italie, il est ordonné à Viviers sous-diacre, le 22 décembre 1900, prêtre le 9 juin 1901.

            L’ermite du Sahara, « frère universel »

            Attiré par l’Afrique du Nord, il veut y fonder une fraternité vouée à l’adoration du Saint-Sacrement et à la vie cachée de Jésus à Nazareth. Canoniquement rattaché au diocèse de Viviers, il devient prêtre de la Préfecture apostolique de Ghardaïa en 1901 et s’installe dans l’oasis de Beni Abbès. Pour celui qui est désormais Frère Charles de Jésus, la Fraternité du Sacré-Cœur est une image de la maison de la Sainte-Famille de Nazareth. Il y accueille toutes les misères. Son évêque Mgr Guérin et son ami Laperrine, chargé des Territoires du Sud, le visitent.

            Il voyage dans le sud-algérien, fait du ministère auprès des soldats, et
rencontre nombre de musulmans. Les militaires le considèrent comme un facteur de pacification et de moralisation du pays. Mais, à cette notion de pacification, il veut ajouter celle de fraternité. Le 11 août 1905, il arrive à Tamanrasset : il y passera 11 ans. Il veut s’insérer en milieu touareg pour les évangéliser dans la proximité. Prière, pénitence, charité et travail manuel sont les mots d’ordre de celui qui devient un spécialiste incontournable du monde touareg, un grand connaisseur du pays et de la langue, et un référent officiel pour les militaires.

            Parmi les très nombreuses citations nourrissant le texte de Pierre
Sourisseau, donnons-en une, un peu longue certes mais qui est un parfait résumé de la méthode de Charles de Foucauld, s’inscrivant totalement dans le contexte colonial de 1909 qu’on se gardera bien de juger à l’aune d’aujourd’hui : « Je vais reprendre mon travail quotidien : apprivoisement des Touaregs, des indigènes de toute race, en tâchant de leur donner par moi ou par d’autres un commencement d’éducation intellectuelle et morale, ne m’adressant pas aux enfants mais aux grandes personnes, et travaillent, petitement et doucement, à civiliser matériellement, intellectuellement, moralement. Tout cela pour amener, Dieu sait quand, peut-être dans des siècles, au christianisme. Tous les esprits sont faits pour la vérité, mais pour les musulmans, c’est affaire de très longue haleine. Il faut faire d’eux intellectuellement et moralement nos égaux, ce qui est notre devoir. Un peuple a envers ses colonies les devoirs des parents envers leurs enfants : les rendre à l’éducation et l’instruction égaux ou supérieurs à ce qu’ils sont eux-mêmes. L’œuvre est difficile et longue : il faudrait les efforts d’un grand nombre pendant longtemps : où sont-ils ? Mais la difficulté et l’isolement ne sont pas une cause de découragement : au contraire, ils sont un motif de faires plus d’efforts. » (Lettre à Henry de Castries, 29 mai 1909, citation page 519.)

            Charles de Foucauld traduit les Évangiles, compose un abrégé d’Histoire Sainte, une grammaire et un lexique. Ses compétences ethnologiques et linguistiques sont officiellement reconnues. Il s’oppose à la tentative d’organisation des Touaregs en un royaume musulman avec des maîtres arabes hostiles aux Français. Il effectue trois voyages en France au cours desquels il revoit sa famille, ses amis Massignon et Laperrine, les moines de Notre-Dame des Neiges, l’abbé Huvelin, Mgr Bonnet avec qui il travaille les statuts de son Association. Lors de son troisième voyage (1913), un Touareg l’accompagne. Il sensibilise les catholique de France à leur rôle dans la Mission, il parle des Touaregs et il essaie de trouver des compagnons. À partir de 1911, son projet d’association puis d’union se développe ; les adhérents sont nombreux. Avec l’entrée en guerre de la Turquie, commencent les manœuvres de la guerre sainte des Sénoussistes. Tamanrasset est fortifié contre les razzias. Charles continue son travail sur les poésies touarègues et sur la grammaire. Les Sénoussistes cherchent à rallier les Touaregs, pour chasser les militaires français et éliminer les Européens influents. Le 1er décembre, une tentative d’enlèvement se solde par la mort du père de Foucauld. Enseveli à Tamanrasset, son ami le général Laperrine (mort dans un accident d’avion) sera enterré à ses côtés quatre ans plus tard. Mais en 1929, son corps transféré à El Goléa.

            La nouveauté de Charles de Foucauld

            Charles de Foucauld a été béatifié le 13 novembre 2005. Le contexte
politique aura sans doute retardé la reconnaissance officielle par l’Église de cette vie donnée, qui portera du fruit seulement après sa mort : un nombre
impressionnant de sociétés religieuses se réclameront de lui… Lors d’un
colloque international sur « La France, pays de missionnaires » (Centre
Saint-Louis de France, Rome, 5 octobre 2000), le grand historien Claude
Prudhomme, expliquait ainsi la nouveauté apportée par Charles de Foucauld dans la pratique de l’Église catholique : « À la mission itinérante, qui quadrille l’espace et repousse les limites géographiques de l’Église visible, il substitue la mission immobile. À la
stratégie de la conversion par le haut, celles des rois et des élites, il préfère le choix de la dernière place et du dénuement absolu. Renonçant enfin à la prédication offensive et au prosélytisme, il privilégie l’adoration eucharistique et entend se faire l’hôte des populations, jusqu’à entrer dans leur complète dépendance ».

            L’ensemble des annexes clôturant le volume sont autant de compléments permettant de se repérer en cours de lecture quant aux dates ou aux personnes rencontrées à une page ou à une autre de ce fort volume : chronologie de la vie de Charles de Foucauld et des événements du monde ; généalogie des familles (de Foucauld, Moitessier, de Morlet, Latouche, de Blic) ; double cahier de photographies commentées dans le texte (la qualité de reproduction est un peu faible…) ; index des personnes et des lieux, précédées des abondantes sources et de la liste impressionnante des écrits de et sur Charles de Foucauld. Si l’on ajoute que, fort pédagogiquement, chaque chapitre se termine par un condensé en rappelant l’essentiel, on ne peut que conclure : c’est le livre du Centenaire.