Henri Gouraud : photographies d'Afrique et d'Orient : trésors des archives du quai d'Orsay

Recension rédigée par Jacques Frémeaux


            Ce livre album est constitué à partir du fonds d’Archives Gouraud détenu par les Archives du Quai d’Orsay. Les documents photographiques présentés couvrent la carrière du général depuis ses débuts à Saint-Cyr (1888) jusqu’à ses fonctions de gouverneur général des Invalides (1923-1937). Ils rappellent d’abord ses séjours au Soudan, au Niger, au Tchad, au Maroc. Plus loin est évoquée la Grande Guerre, avec l’épisode des Dardanelles, où, grièvement blessé, Gouraud dut être amputé du bras droit, puis (après un bref séjour au Maroc où il assura l’intérim de Lyautey), le commandement de la IVe armée qui contribua à briser l’offensive allemande de juillet 1918. Les dernières images évoquent les responsabilités de Gouraud comme Haut-Commissaire au Levant, et en tant que tel organisateur du Mandat sur le Liban et la Syrie. Ainsi se trouve revécue toute une séquence de l’histoire militaire et coloniale française, à travers un de ses grands acteurs.

            Nul ne pouvait être mieux qualifié que Julie d’Andurain pour assurer la rédaction de cet ouvrage, dont la documentation a été puisée parmi les très riches matériaux d’un fonds sur lequel elle travaille depuis de longues années, et dont elle a déjà tiré plusieurs livres. L’intérêt de la publication repose évidemment sur la qualité de l’iconographie. Celle-ci, comme l’explique Julie d’Andurain, n’est pas le fruit du hasard. Très tôt, Gouraud s’est soucié de conserver et de classer les souvenirs de ses campagnes, d’abord, bien sûr, sa correspondance privée et de nombreux documents plus officiels, mais aussi des photographies prises non par lui, mais par ses proches, au moyen d’un matériel de qualité. L’ensemble de ces illustrations reconstitue une atmosphère martiale avant tout : officiers et soldats, « marsouins », tirailleurs, méharistes, posent devant ou aux côtés des populations qu’ils ont conquises ou qu’ils protègent ; fusils, canons et, à la fin, avions et blindés illustrent le théâtre de la guerre. La violence n’est cependant guère présente : les officiers forment des groupes, comme des équipes de camarades ; les soldats défilent ou présentent les armes ou bivouaquent ; les femmes et les enfants des tirailleurs sourient. Les peuples traversés sont pleins de dignité, et notamment leurs chefs. Les arrière-plans ouvrent sur des horizons généralement paisibles. Cette vision de la construction de la paix française correspond exactement à celle que Gouraud, fidèle serviteur de la IIIe République, s’efforça de faire prévaloir, au sein d’un parti colonial dont il fut une des grandes figures.

            Ce que cette présentation orientée pourrait avoir de partial pour le critique (qui doit observer tout de même que les techniques photographiques de l’époque n’autorisaient guère la reproduction de scènes d’action) est largement compensé par le texte écrit. La reproduction de larges extraits des lettres inédites, adressées à Gouraud ou écrites par lui, contribue à nuancer le calme des images, et à évoquer des souffrances qu’il partagea dans sa chair avec les combattants, sort qui contribua sans doute à sa popularité. Surtout, le commentaire rédigé par Julie d’Andurain compose une étude extrêmement précise, riche de considérations historiques de fond, et qui était indispensable pour accompagner l’iconographie. Il permet d’apprécier en quoi consistèrent véritablement les épisodes de guerres, coloniales ou non, auxquels participa Gouraud, non seulement sous leurs aspects militaires, mais aussi sous leurs aspects politiques et diplomatiques, tout aussi importants. On doit toujours rappeler en effet que l’expansion outre-mer nécessita, d’abord, la formation dans la métropole, d’un mouvement susceptible de réunir les hommes, les capitaux et les moyens nécessaires, sans oublier la bienveillance de l’opinion publique[2]. Cette expansion s’inscrivit nécessairement aussi en fonction du jeu des alliances et des transactions entre grandes puissances européennes. Au total, cet ouvrage constitue une annonce très prometteuse de la biographie définitive du général dont la publication est bientôt prévue sous la plume du même auteur.                                                                                            



[2] Voir Julie d’Andurain, Colonialisme ou impérialisme ? Le parti colonial en pensée et en action, Lunay, Zellige, 2016.