Recueil général de documents juridiques intéressant l'histoire du Royaume de Tahiti et des établissements français en Polynésie

Recension rédigée par Philippe David


            Voici le tome II, très attendu, de ce recueil méticuleux et obstiné dont on a déjà pu apprécier, en 2013, le premier tiers consacré aux “ sources françaises ” à partir de 1842. On repart cette fois de 1819 avec des sources qui ne le sont pas forcément puisqu’elles émanent surtout de la London Missionary Society / LMS protestante, fondée en 1818, et, plus modestement, des Picpusiens français installés à Tahiti en 1834. Experts dans les diverses langues de l’ensemble  reo ma’ohi, les missionnaires britanniques étaient partout bien décidés à arracher les insulaires à leurs temples, à leur idoles et à leurs mœurs sexuelles débridées. Imprimés sur place, leurs Codes et recueils, appelés d’ailleurs tura (pourthora!) et de conception toute européenne, ont d’abord écarté (ou puni) toutes les règles locales jugées primitives et rétrogrades. Les quinze codes reproduits ici (surtout les dix premiers, édictés entre 1819 et 1845) se ressemblent et se recopient entre eux, d’un mini royaume ou d’un archipel à l’autre, toujours, mais dans des proportions variables, vecteurs d’acculturation et reflétant de très près les réalités politiques et culturelles locales tant qu’elles sont compatibles avec la religion et l’occidentalisation. Respectueux en tout cas de la protection des terres et de l’autorité royale ou réginale, ils sont aussi sanctifiés d’une formule marquant l’approbation  des souverains locaux.

            D’abord, cinq grands Codes se succèdent dont chacun copie mais aussi précise et allonge le précédent : le Code Pomaré de 1819 pour Tahiti avec 19 articles (ou “ lois ”) ; pour Raiatéa, le Code Tamatoa de 1820 qui en aligne 25 ; le Code de Teriitaria de 1822 pour Huahine qui en compte 30 ; le Code Pomaré III de 1824 qui passe à 46 et le Code de Huahine de 1835 qui en empile 59. Ces textes traitent tous, dans un pittoresque désordre, de toutes les facettes d’une vie locale à la fois idyllique - peut-être - mais souvent encore
violente : meurtre... vol... divagation des porcs sauvages... non-respect du Sabbat... bigamie... refus de nourrir sa femme.... mensonge... célibat... ivresse... chien chapardeurs ou agressifs... suicide... tatouage... pêche... bornages... naufrages...  promeneurs de nuit... femmes qui rejoignent les navires à la nage... hébergement des Blancs/Papa’a en cachette et enfin statut et devoirs du jury et des “ juges ” avec de très longues listes nominatives.

            Se poursuivant après 1836, cette étonnante législation demeure en général si restrictive et si tracassière (dans le Code Pomaré de 1842, par exemple) qu’on se demande dans quelles rares conditions les insulaires pouvaient continuer à vivre en échappant à une infraction quelconque : danses et réjouissances inconvenantes, jeu de cartes, marche sur échasses, lancer de flèches à mains nues, bruits sourds, rythmes saccadés, combats de coqs, grands cris, prostitution bien sûr, mariages intempestifs (“ il est interdit aux Européens de coucher avec les femmes de Tahiti ”, loi VIII), errance des porcs dans la montagne, non observance du sabbat, actes de paresse des enfants, émission de paroles non conformes à la Bible, sentir l’alcool, embêter les animaux quand une personne les monte... et la liste n’est pas épuisée. Décidément, cette christianisation par le haut fut souvent “ ethnocidaire ” mais facilement imposée à des populations victimes un peu partout d’une très sévère régression démographique.  Poursuivie après 1845, au gré des annexions et des protectorats, dans un contexte colonial devenu plus politique et administratif, cette législation va perdre progressivement ses colorations missionnaires. Cette laïcisation toute relative n’en continuera pas moins de coller de très près aux réalités locales, amalgamant, toujours en désordre, le statut des terres, les institutions royales, la divagation des cochons et des chiens, les relations avec les navires et les marins (classés désormais “ français ” ou “ étrangers ” à partir de 1845 à Tahiti) et va même élaborer ici et là de mini systèmes juridiques et judiciaires modernes et presque complets comme le Code mangarévien de 1881.

            Après une introduction très alourdie par de longues et surabondantes notes en bas de page, cette seconde plongée pendant soixante ans dans l’immense variété des civilisations polynésiennes soumises, bon gré mal gré, à l’évangélisation et à la colonisation est, tout autant que la première, riche, surprenante et passionnante. On attend en tout cas la troisième.                                                                                                  

 



 
Les recensions de l'Académie des sciences d'outre-mer sont mises à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 3.0 non transcrit.
Basé(e) sur une œuvre à www.academieoutremer.fr.