Souvenirs d'un enfant de Bingerville : brève histoire de mon entrée en francophonie

Recension rédigée par Philippe David


Les recensions de l’Académie[1]

 

            Voici deux mini livres un peu jumeaux, dans l’ensemble hargneux et grinçants, d’un auteur plus que jamais ancré dans ses convictions militantes originelles.

            Marcel (Anoma) Amondji, Ivoirien né en pays ébrié, très tôt étudiant rebelle violemment hostile au régime du président Houphouët et à la “ pseudo indépendance ” de la Côte d’Ivoire, et s’estimant menacé pour ses opinions politiques, a choisi dès 1961 l’exil volontaire en Algérie puis en France depuis plus d’un demi-siècle. Aujourd’hui octogénaire mais n’ayant rien perdu de sa virulence, il s’en prend, de nouveau et tout à la fois, à la francophonie aussi bien en tant qu’institution qu’idéal politique et culturel ; à la langue française ; aux Français de France d’aujourd’hui parce qu’ils la parlent ; aux Français coloniaux d’autrefois parce qu’ils l’ont imposée en refoulant les langues africaines ; et enfin aux Africains francophones, non seulement parce qu’ils la parlent (et l’écrivent) eux aussi mais parce qu’ils s’en satisfont et même s’en enorgueillissent, parfois “ couchés devant le président de la République française et son ministre de la Coopération ”.

            Il est permis d’estimer qu’un tel massacre, vu son ampleur, est excessif, à la limite inacceptable. D’abord parce qu’un tel discours est évidemment en pleine contradiction avec le parcours personnel de l’auteur, écrivain francographe, mais aussi parce que celui-ci semble ignorer, veut oublier ou méprise les travaux de bon aloi de tous les Français qui se sont consacrés, avant et depuis les indépendances et parfois dans des conditions difficiles et décourageantes, à la pratique, à l’étude, à l’enseignement ou à la promotion des langues africaines, combattant, naguère encore, les ravages d’une politique de coopération absurdement et strictement francophone. Ils ne sont pas légion mais auraient droit à une certaine reconnaissance et je m’honore d’en faire partie. Quelques anecdotes coloniales, hélas véridiques, mais rabâchées et vulgaires, n’ajoutent rien à une telle violence francophonophobe, et encore moins la brève “ histoire de fou ”, hors sujet et inutile, qui clôt le premier petit livre.

            Dans le second, l’auteur, reprenant deux de ses textes de 1986 et 2014, énonce d’abord une violente critique de Climbié, romande Bernard Dadié publié en 1956, entre une longue
“ hibernation politique “ (1950-1956) et une “ période de grand silence ” (1958-1966). Qualifié de “ roman du désespoir et de la renonciation ”, Climbié, selon lui, livrerait “ un arrière-goût d’incomplétude ”, révèlerait “ une faille dans la volonté ” et trahirait “ un accord profond du narrateur avec un certain courant d’idées plutôt malsaines ”. On assassine un écrivain pour moins que cela ! Dadié ne serait rentré en grâce qu’en publiant enfin, en 1981, son Carnet de prison de 1949,  désormais inséparable de Climbié, ainsi finalement, mais très tardivement, comme son auteur, explicité et réhabilité.

            Après un rapide portrait du père, Gabriel Dadié (1891-1953) qu’il qualifie, avec raison, de patriote et de résistant au sein pourtant d’une petite minorité bassamoise
d’“ évolués ” aisés et sincères qui, en singeant les Blancs, croyaient pouvoir s’affranchir, l’auteur revient en détail sur le parcours et l’œuvre du fils. Et c’est un portrait incontestablement élogieux qu’il en dresse d’abord : “ militant des lettres ”, “ le premier et le plus grand écrivain de ce pays ”, dont l’œuvre littéraire pionnière contenait déjà en germe toutes celles de la génération suivante et s’est encore poursuivie : vingt-sept opus au total : onze pièces de théâtre, trois essais, cinq romans, un recueil de nouvelles, trois de poésies et quatre volumes de contes et légendes... Français ou nigérians, les éloges abondent, même si l’on y ajoute, “ pour l’équilibre ”, une critique défavorable émanant de Toulouse en 2008. Souvenons-nous en tout cas que Bernard Dadié, membre associé de notre compagnie, immense et multiple, né dans un “ continent ” encore presque sans écoles, ni bibliothèques, ni théâtres, ni journaux, vient, en février 2017, de fêter ses 101 ans.                                                                                                  

 



 
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