La loi sur le statut de l'opposition à Madagascar : un mal nécessaire

Recension rédigée par Étienne Le Roy


            En recevant ce livre et avant même d’entrer dans les deux préfaces puis dans le déroulé  des arguments de ce court ouvrage de 88 pages suivi d’une bibliographie et de six annexes, on s’était demandé si la nature erratique et spontanée de l’opposition politique et parlementaire peut être enfermée dans un texte législatif et si, dans le contexte de la Grande île, le culte que voue implicitement tout malgache au « fandjakana », cette représentation holistique du pouvoir central (plutôt que « d’État ») inscrit géographiquement et symboliquement dans la palais de la Reine  à Antananarivo, autorise l’idée même d’un opposition déclarée. On remarque aussi l’absence de point d’interrogation à la fin du titre, donc on suppose que la loi est un mal dont on s’accommode ou dont on doit s’accommoder, vaille que vaille.

            Pourquoi ce mal est-il nécessaire ? Si les trois analyses de nos collègues juristes vont apporter des arguments nuancés c’est, de loin, la seconde dimension, ethnoculturelle, qui trouve rapidement et pratiquement sa réponse. Depuis les dernières élections présidentielles puis législatives (législature 2014), nul parlementaire  n’a pris le risque de se réclamer de la loi n° 2011-013 portant sur le statut de l’opposition et des partis d’opposition. Ne s’en réclament, en dehors de l’assemblée, donc hors champ d’application, que des candidats battus et appartenant à des « entités » (17 entités, des associations semble-t-il), l’auteur apportant la justification suivante : «  le pouvoir ne trouve aucune opposition à l’Assemblée nationale.

            De fait, la loi devient utile car elle permet à des non-élus  de se déclarer officiellement , ce qui évite dans un pays qui se dit démocratique la honte  de se voir sans opposition » (2016, 32). Sans doute est-ce idéologiquement important pour certains Malgaches à l’échelle internationale. Mais ces non-élus ne peuvent bénéficier des avantages (droits et obligations détaillés p. 43 et s.) juridiquement reconnus à l’opposition tel un poste de vice-président à l’assemblée avec  tous les attributs honorifiques et le droit de réplique qui lui est reconnu  par l’art. 16 de la loi.

            On dit parfois que le diable se loge-t-il dans les détails  mais dès lors que seul un parti et seulement un parti politique peut se recommander de ce statut d’opposition cette disposition écarte tant les individus isolés que les associations qui ne se sont pas insérées dans le dispositif de la loi 2011-012 sur les partis politiques.

            Par contre selon des avis unanimes et de manière paradoxale, un non élu (leur leader ?) pourrait être désigné chef de l’opposition par les parlementaires opposants réunis dans un parti déclaré, bien que ce chef ne puisse apparemment occuper, puisque non élu,  le poste de vice-président à l’assemblée.

            D’autres critiques sont apportées concernant l’imprécision de catégories, l’absence de voies de recours ou de décret d’application, ce qui conduit à partager une observation introductive de Jean du Bois de Gaudusson parlant « d’une loi et de ses pratiques qui engendrent de multiples controverses politiques et juridiques : elles sont à l’origine de situations inextricables et donnent lieu à des questionnements surprenants auxquels il faut bien apporter des éléments de réponse » (2016, p. 14). Notre confrère ajoute que
« M. Ralambomahay nous convie à poursuivre une série de réflexions sur le rôle du droit et de ses limites ; on ne peut tout attendre de l’encadrement normatif et institutionnel, [ajoutant] même s’il est indispensable ».

            Mais est-ce bien ici le cas, car la loi 2011-013 ne m’est pas parue indispensable ? De même que trop d’impôt tue l’impôt, trop de droit tue le droit. Ma remarque ne vise pas le principe herméneutique de cet ouvrage ni la justesse des arguments de l’auteur mais la croyance  dans la possibilité de conjurer par le verbe juridique les difficultés de l’action politique. Le droit constate des armistices sociaux écrivait Maurice Hauriou, un juriste du premier XX° siècle. On doit reconnaître à la science du droit cette fonction privilégiant un ordonnancement négocié et non continuer à jouer à l’apprenti-sorcier ou au démiurge coupé de ses racines locales.

            En fin d’ouvrage, l’auteur synthétise son argumentation relative à ce « mal nécessaire », en reposant la question «  et si la loi n’existait pas ? «  (p. 84).  Selon mon point de vue, ce qui est indispensable n’est pas une loi sur l’opposition  mais une conception appropriée de la  démocratie qui reste une exigence mal vécue parce que mal conçue. Si mal il y a, il est là mais ce  mal est non seulement « nécessaire » mais indispensable. Ce « mal  démocratique » vient de l’inadaptation de la conception du droit (public et privé) que les spécialistes mettent en œuvre à Madagascar depuis l’époque coloniale.

            En reprenant en conclusion (p. 86) les quatre reproches principaux que l’on peut faire à ce texte, l’auteur, tout en s’émouvant de l’apparente absence de réactions de la société civile malgache, termine son ouvrage en proposant d’améliorer formellement le texte puis en  confrontant  les positions de Baron, Proudhon et Guizot sur la démocratie (p. 88). Que révèle ce double déplacement dans le temps (le milieu du XIXe siècle) et vers la vie constitutionnelle française, selon un mode argumentatif fréquent valorisant la supériorité d’un modèle exogène ? S’il flatte chez le lecteur des sentiments ambigus, il révèle aussi que la décolonisation juridique des élites malgaches n’est toujours pas advenue et que tant que ces élites continueront à tourner le dos à leur riche passé juridique et institutionnel, l’invocation de la démocratie sera comme cataplasme sur jambe de bois, faute d’une mythologie républicaine endogène à la hauteur des enjeux contemporains ?

            Le palais de la Reine à Antananarivo qui avait été détruit par un incendie criminel au début des années 1990 a été reconstruit matériellement mais non symboliquement.  On devine tout le travail qui reste à faire et on doit remercier M. Ralambomahay de relancer ce débat pour refonder, voire ré-enchanter,  la démocratie malgache.