L'Afrique émergente : enjeux et potentialités

Recension rédigée par Pierre Jacquemot


 « L’émergence est un pari sur l’avenir, elle se planifie et se construit dans un environnement stable, de paix, de sécurité et de respect des droits de l’homme ». L’acteur principal de cette transformation profonde est « l’Etat développementaliste africain » associé à une « gouvernance démocratique, mobilisatrice parce qu’éclairée, consensuelle et inclusive » (p. 9). D’emblée le ton est donné par Abdoulaye Mar Dieye, initiateur de cet ouvrage, élaboré par le gouvernement de la Côte d’Ivoire et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).

Il impressionnant par son ambition et par l’importance des contributions. Il regroupe 17 articles proposés par 28 auteurs, tous des personnalités africaines, occupant ou ayant occupé de hautes fonctions dans leur administration publique ou membres d’organisations du système des Nations unies. La coordination du livre, largement distribué lors de la Conférence internationale sur l’émergence de l’Afrique qui s’est tenue à Abidjan en 2017, a été assurée par quatre personnalités : Nialé Kaba, Ministre du Plan et du Développement de la Côte d'Ivoire, Babacar Cissé, représentant spécial adjoint du secrétaire général de l'ONU, Idrissa Diagne, Conseiller économique du PNUD en Côte d'Ivoire et en Guinée, et enfin Luc-Joël Grégoire, directeur pays du PNUD en Côte d'Ivoire.

            Si le concept d’émergence est revendiqué par tous, il n’est pas clairement précisé par les auteurs. Se substitue-t-il à celui de « transformation structurelle » en vogue jusqu’à présent ? Au fil du livre, on comprend que l’émergence est une conquête, celle mise en œuvre pour acquérir le statut de pays à revenu intermédiaire, en référence aux pays émergents (le plus souvent cités sont la Chine, le Brésil, l’Inde, la Turquie et la Malaisie). Tous s’accordent à faire référence à la « Vision 2063 » adoptée en 2013 par l’Union africaine, dans un contexte euphorique, avec un optimisme retrouvé sur le « renouveau africain ».

L’ouvrage s’organise en trois thèmes : 1. Gouvernance publique, 2. Changements des modes de production et de consommation, 3. Développement humain. Chacun des textes se termine par une conclusion et des recommandations. Le but est donc de servir de référentiel pour les pays africains, les institutions internationales et les partenaires au développement, aux fins d'une meilleure compréhension des enjeux de l'émergence.

S’il faut choisir certains textes parmi les 17, on retiendra celui consacré à la modernisation de l’Etat (Tertius Zongo et Pascal Abina Kouakou). L’essentiel repose sur l’adoption d’un comportement nouveau des acteurs au sein des administrations publiques. Après un examen des limites des politiques antérieures marquées par la gestion clientéliste des emplois, la tolérance des « anti-modèles et des anti-valeurs », les auteurs font le pari que l’émergence par la consolidation de la gouvernance publique adviendra grâce au renforcement des capacités, à l’amélioration des performances et également par la prise en compte des besoins des usagers. Pour servir de modèle en matière d’administration, les auteurs font notamment référence au programme français de la fin des années 2000 (Révision générale des politiques publiques - RGPP), mais surtout au modèle de la Corée du Sud, un pays sorti exsangue de la guerre civile et parvenu, avec une gestion très efficace de ses ressources humaines et un Etat interventionniste fort, à se classer parmi les 12 premiers pays du monde, devenu membre du G20 et de l’OCDE.

De l’exploitation de l’énergie géothermique au Kenya et de l’énergie solaire au Maroc, en Algérie comme en Tunisie, à l’investissement de fonds verts (green bonds) en Afrique du Sud, ou à l’élaboration de projets éoliens en Éthiopie, diverses voies vers des économies plus vertes et plus inclusives sont menées à travers le continent. Siaka Coulibaly et Luc-Joël Grégoire s’en félicitent évidemment pour monter que la croissance verte est non seulement une exigence absolue mais aussi une réalité concrète. Quatre conditions en découlent pour avancer dans ce chemin vertueux : l’implication des investisseurs à long terme, le développement de supports pour mobiliser l’épargne vers des projets d’adaptation et d’atténuation au dérèglement climatique, la vérité des prix écologiques et le partage des risques entre public et privé. La palette des modalités que peut prendre ce partage est large : contrat de partenariat pour les grands projets d’infrastructures, mutualisation du risque projet par des co-investissements en fonds propres pour le développement de l’innovation, garantie accordée par l’État aux emprunts pour apporter des fonds propres et des prêts à long terme aux entreprises en phase de démarrage.

Avec 43 % de la population ayant moins de 15 ans, on pouvait s’attendre à ce que la question controversée du « dividende démographique » occupe une place de choix dans le livre. Le chapitre que lui consacre Babacar Cissé, coordonnateur des agences des Nations unies en Côte d’Ivoire, a le grand mérite du traitement complet du sujet. Le dividende démographique est l’accélération de la croissance économique qui peut résulter d’une baisse de la fécondité d’un pays et de l’évolution ultérieure de la population par groupe d’âge. Les questions de la fécondité et de la santé maternelle et infantile sont par voie de conséquences décisives. Mais elles ne résument l’enjeu singulièrement complexe. Dans ce domaine aussi l’expérience des émergents (Corée du Sud, Taïwan) est mobilisée. Les conditions requises sont importantes : un renforcement du capital humain, l’utilisation de l’épargne locale pour faire des investissements judicieux et la mise en œuvre des réformes économiques pour créer un nombre important d’emplois décents et productifs.

            On sort de cet ouvrage un peu déboussolé. Si l’objet commun est l’analyse des défis, des potentialités et des pratiques à mettre en œuvre pour l'émergence de l'Afrique, on s’interroge : par où commencer ? Quelles priorités parmi toutes les priorités ? Comment construire cet État développementaliste si nécessaire mais encore si improbable dans des pays où les régimes patrimoniaux et rentiers prévalent encore ? On retrouve beaucoup d’incantations dans des textes généreux et aux accents volontaristes, mais pas suffisamment de propositions concrètes et inscrites dans le jeu des contraintes de la mise en application.