Histoire du monde au XIXe siècle

Recension rédigée par Jean de La Guérivière


            L’association des deux directeurs de cet ouvrage collectif est significative. L’on doit à Sylvain Venayre Les Origines de la France : quand les historiens racontaient la nation (Seuil, 2013) qui veut remettre en question les notions de territoire, de langue et de race. Pierre Singaravélou, outre son récent Tianjin Cosmopolis (Seuil 2017), histoire d’une concession étrangère en Chine présentée comme un laboratoire de la mondialisation, est un des quatre coordinateurs d’un autre ouvrage collectif, la controversée Histoire mondiale de la France (Seuil, 2017). On se rappelle que, sous la direction de Patrick Boucheron, cet ouvrage ambitionnait de rompre avec le « roman national » en se mettant en résonnance avec le reste de l’univers. Un peu de la même veine, Histoire du monde au XIXe siècle se propose de décrire « à la fois les dynamiques d’intégration mondiale et une exacerbation des identités » pour aboutir à « une certitude : celle d’être devenus, ensemble, et pour la première fois, contemporains ».

            Les contributions de la centaine d’historiens et historiennes de ce collectif, tous des universitaires, sont ventilées en quatre parties : « L’expérience du monde », c’est-à-dire le contexte historique ; « Les temps du monde », un choix de dates significatives ; « Le magasin du monde », une liste d’objets et de produits caractéristiques d’une époque ; « Le monde en ses provinces », une façon de sortir de l’eurocentrisme.

            Contributeur de la première partie, David Todd décrit les échanges de marchandises et de capitaux constituant déjà « le processus d’intégration planétaire » amorcé au XIXe siècle et enrayé parla Grande Guerre. Dans la même partie, ce sont justement « les guerres », celles d’Europe, pas les plus meurtrières en ce siècle-là, comparativement à la sanglante guerre de Sécession du continent américain, et celles d’Afrique et d’Asie, que résume Jacques Frémeaux. Cela conduit naturellement aux guerres de conquête coloniale et aux « colonisations », au pluriel, sous la plume de Pierre Singaravélou. Celui-ci propose plaisamment de « décoloniser le colonialisme » à partir de l’histoire comparée. S’appuyant sur le cas du Vietnam, qui fut à sa façon un colonisateur du Cambodge avant le protectorat français, il rappelle que l’impérialisme n’était pas l’apanage de l’Occident. « Les empires européens sont bavards. Ils possèdent cette capacité rare de produire massivement des discours sur eux-mêmes, notamment par le biais de leur propre corpus d’archives, qui influencent par la suite grandement le point de vue des historiens. Lesquels ont eu tendance à reprendre à leur compte le grand récit sans faille et bien huilé d’une colonisation omniprésente et d’un empire omnipotent au XIXe siècle au cours duquel le monde devient européen ».

            Il y a dans la deuxième partie des choix inattendus mais qui ne reposent pas seulement sur le désir de surprendre. Il en est d’autres plus prévisibles mais qui offrent une analyse innovante. Ainsi la conférence de Berlin de 1884, habituellement présentée comme celle du « partage » de l’Afrique. La contribution d’Isabelle Surun illustre le propos liminaire d’Alain Corbin : « Après que l’on a longtemps répété que les frontières créées par les colonisateurs dans leur entreprise de découpe du territoire africain étaient artificielles, les historiens modèrent désormais cette conviction ».

            La troisième partie est bien plus qu’un cabinet de curiosités avec, parmi beaucoup d’autres, de denses contributions sur le daguerréotype, qui permit la « description vraie » du monde ; sur le bibelot exotique, voué à satisfaire la « demande touristique » ; sur la montre, qui imposa une nouvelle discipline du travail en même temps qu’elle facilitait le voyage. Sans parler du barbelé, longuement évoqué dans ses divers usages par Olivier Razac, qui lui a consacré rien de moins qu’un livre entier intitulé Histoire politique du barbelé, comme indiqué dans la bibliographie qui accompagne chaque contribution.

            Avec une quatrième partie qui conduit de l’Empire ottoman aux « mondes du Pacifique », cet ouvrage peut se lire de deux façons. Soit on se plonge de bout en bout dans ses sept cents pages imprimées serré en essayant de suivre un fil conducteur pas toujours évident. Soit on picore dedans, en fonction de ses curiosités, avec une préférence pour celles des contributions qui sont écrites avec du style et de l’esprit. Par exemple les pages « Ivoire » d’Henri Médard qui explique l’explosion de sa demande par la démocratisation du piano, « car sa dureté, sa stabilité et sa finesse sont particulièrement adaptées aux touches ». Conclusion en forme de paradoxe : « L’enrichissement et l’accroissement des classes aisées en Europe au XIXe siècle, le goût bourgeois pour le piano, menèrent en Afrique à l’essor d’une économie de la prédation caractérisée par la diffusion des armes à feu et le commerce de traite […] En d’autres mots, le goût pour Brahms conduisit à la colonisation ».                                                                                             



 
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