France-Algérie : du côté des deux rives

Recension rédigée par Jean Nemo


 

L’ouvrage de Serge Pautot est ambitieux à plus d’un titre. D’abord par une certaine volonté d’embrasser, en perspectives diverses, dans la longue durée, les rapports de la France avec le monde arabe, les conditions et les épisodes saillants de la conquête coloniale, ensuite en resserrant son propos sur la récente période, les conditions dans lesquelles fut acquise l’Indépendance, le rôle joué par les Nations Unies, une analyse des accords d’Évian, la poursuite au Sahara des essais nucléaires jusqu’en 1967 et quelques autres thèmes inspirés par l’histoire récente. On rappellera que la littérature historique, politique, sociologique et journalistique sur ces sujets est très abondante. Une autre évidence, au moins pour beaucoup de lecteurs, mais moins pour l’auteur : les rapports entre l’Algérie et la France sont à tout le moins complexes et peu apaisés. 

Ce sera donc un élément d’appréciation à retenir pendant et à la fin de la lecture que de savoir si l’auteur, à défaut d’apporter des éléments nouveaux fondé sur des recherches de type disciplinaire (ce n’est visiblement pas son propos) propose un regard original.

Serge Pautot a écrit dans une lettre qu’il souhaitait « mettre l’accent sur ce qui réunit les deux rives de la Méditerranée » et qu’il était confiant « en l’avenir de la relation
franco-algérienne
 ».

Aujourd’hui avocat plutôt spécialisé dans la législation du sport, les droits des animaux, il fut au début de sa carrière coopérant enseignant, instituteur, en Algérie de 1964 à 1968, alors qu’il rêvait plutôt enseigner quelque part au Sénégal ou au Mali. Dans un long prologue, il explique son parcours depuis une école à ouvrir en Kabylie (où règne une mini guérilla de Kabyles hostiles à Ben Bella) jusqu’à une école à Bab El-Oued. Il suit des cours du soir à la Faculté de Droit. Manifestement, il a beaucoup de sympathie pour la révolution algérienne, « démocratique et populaire ». Il suit avec le plus grand intérêt la « construction d’une économie socialiste ». Ce qui l’amène à quitter son école pour devenir cadre dans  une société nationale. Il a manifestement gardé de ces années algériennes un grand souvenir, d’une certaine façon très engagé.

Les deux premiers chapitres n’apprendront rien au lecteur raisonnablement instruit en histoire. Ils concernent les relations depuis l’an 800 avec le monde arabe puis la conquête et l’histoire de l’Algérie coloniale. Rien à reprendre dans  ces très brefs résumés. Cependant, la relation entre Arabes et Francs «est passée au fil des siècles par de nombreuses péripéties pour aboutir aujourd’hui à un dialogue constructif entre la France et l’Algérie et fécond avec les représentants de l’islam en France », tels sont les mots du premier paragraphe du premier chapitre. Le ton est donné avec un optimisme que le lecteur nuancera peut-être. Mais l’objectif de l’ouvrage est clair : il est nécessaire pour les deux pays et les musulmans de France de dépasser les clivages parfois dramatiques des siècles et des décennies passés et de se tourner vers l’avenir.

Le premier chapitre, s’il part des origines, aborde en peu de pages, voire peu de mots, des sujets plus contemporains, tels l’évocation de l’Institut du Monde Arabe, la création du Conseil français du culte musulman, la « France guerrière » d’Irak et de Lybie, les attentats terroristes en France, les relations avec les pays du Golfe…

Un second chapitre traite de la conquête et de l’histoire coloniale de l’Algérie. Forcément très synthétique, il est raisonnablement objectif. Il conclut – mais cette opinion ne peut choquer personne, elle est partagée par beaucoup d’historiens, de militaires, d’hommes politiques hexagonaux – par « l’échec des réformes trop tardives ».

Suivent une quinzaine de chapitres qui traitent de questions aussi variées que la lutte pour l’indépendance, les accords de coopération et leur mise en œuvre, les « années noires », les applications plus ou moins contestables par l’une ou l’autre partie des accords d’Évian, les essais nucléaires et leurs lointains effets péniblement reconnus par la France, les relations de l’Algérie avec l’Union Européenne, le sport (l’avocat spécialiste ne l’oublie pas), l’appel au djihad auprès des jeunes musulmans de France.

L’essai – ou devrait-on dire le manifeste ? – intéressera le lecteur d’opinion plus ou moins différente, voire plus étayée. Selon la formule, il mérite le détour, car s’il n’apprend pas grand-chose, il témoigne avec ferveur d’un appel à l’avenir de relations apaisées et mutuellement bénéfiques entre la France et l’Algérie et, en France, à un regard éclairé sur la place de l’islam dans un pays laïque. En ce sens, s’il n’apporte rien d’original et prête à discussions ici ou là, il est très sympathique, ce qui constitue un élément d’appréciation positif.

On signalera, autre élément d’appréciation, que si en France cet ouvrage a été peu commenté, il a beaucoup intéressé bien des sites algériens.