Là où le crépuscule s'unit à l'aube

Auteur Marina Dédéyan
Editeur Robert Laffont
Date 2022
Pages 544
Sujets Russie
Roman
Cote 66.085
Recension rédigée par Guy Lavorel


Ce livre de 545 pages est à la fois une histoire sentimentale et une fresque historique russe, avec une saga familiale qui remonte à l’arrière-grand-mère, une conteuse dont la petite-fille narratrice reconstitue l’héritage. C’est donc un parcours personnel en même temps que celui d’une évolution dans l’histoire et la culture. Car le récit est parsemé de rencontres avec les écrivains et artistes de cette époque, avec une transition de Tolstoï à Gorki (mais on côtoie Dostoïevski ou Nabokov), de Tchaïkovski et ses ballets à Stravinsky, sans oublier aussi que la cousine Lou Salomé passera des bras de Friedrich Nietzsche à ceux de Rainer Maria Rilke. Et les héros vont converger à Saint-Pétersbourg, qui est encore une capitale politique et culturelle, avant le bouleversement du renversement du tsar. L’histoire sentimentale au sein d’une révolution peut faire penser à L’Éducation sentimentale de Flaubert, mais d’abord au Docteur Jivago. Dans un monde où la pauvreté peut mener à toutes sortes de soumissions pour espérer arriver, une jeune femme, Julia, tenace et qui a reçu une éducation paternelle forte, bien qu’issue d’un milieu populaire, se refuse à céder à des avances explicites et, après quelques déboires, retrouve sa sœur. Apparaissent alors deux milieux différents, et c’est le paradoxe de la rencontre entre Julia et William, deux personnages qui vont aller au-delà de ce qui n’est au début qu’un flirt amusé, avant de devenir une sérieuse histoire d’amour. La révolution viendra bouleverser la vie, avec ses violences, ses menaces et son évolution, jusqu’à obliger une fuite hors de ce monde en mutation.

Ce roman vaut bien sûr par la conjonction habilement menée entre les deux centres d’intérêt, le roman sentimental et le roman historique. Mais ce n’est qu’un aspect d’un remarquable traitement de la dualité. Car c’est aussi le choc des sociétés, haute bourgeoisie et peuple ; c’est un texte à plusieurs voix, deux présentées dès le début, celle de Baba et celle de la petite-fille, mère de Julia, lesquelles alternent avec une habile maîtrise ; c’est l’entrelacement entre les souvenirs transmis et ceux présumés, entre un réel et un supposé, comme si la transmission devait rendre compte au mieux d’une aventure personnelle particularisée par sa situation locale et temporelle. Et tout est soutenu par une écriture dynamique mais contrôlée, émue mais consciente, nécessaire au témoignage autant que dépendant de la mémoire et de l’Histoire.

C’est donc un livre très riche et plaisant, dont la progression stimule l’esprit du lecteur. Comme le dit son auteur : « Un roman, une quête, un défi… » Et c’est réussi.